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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Simplification du droit : question préalable

Par / 13 octobre 2004

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

L’affichage est habile : lourdeur administrative, complexité du droit. A vrai dire, le gouvernement qui nous somme aujourd’hui de simplifier n’a rien fait depuis trois ans pour y contribuer.
Il suffirait pour s’en convaincre de lire les milliers d’articles des projets votés, sans hésitation par la majorité parlementaire.
On peut penser qu’il s’en repent aujourd’hui. Mais il ne s’agit pas de cela. Le gouvernement demande aujourd’hui au Parlement de se dessaisir dans des domaines très vastes, variés, dont la plupart méritent pour le moins un débat parlementaire.

Les parlementaires communistes se sont toujours opposés à la procédure des ordonnances de l’article 38 de la Constitution. Celle-ci s’inscrit effectivement dans un processus d’affaiblissement du Parlement, du pouvoir législatif face à l’exécutif, ce dernier tendant à devenir omnipotent.

Pourtant, historiquement, le Parlement est le seul organe à pouvoir se prétendre mandaté par la Nation parce que procédant de l’élection au suffrage universel. Cette fonction exclusive de représentation de la population est très importante car elle fonde la prééminence institutionnelle, politique, mais surtout philosophique et morale qui a été longtemps concédée aux assemblées par rapport aux organes exécutifs.

Aujourd’hui, cette prééminence tend à s’effacer, tant dans les esprits que dans les textes, ce qui est regrettable. L’article 38 s’inscrit ainsi dans un ensemble de dispositions constitutionnelles qui restreignent fortement l’action du Parlement.

Les articles 34 et 37 de la Constitution procèdent à un partage inéquitable des domaines de compétences de la loi et du règlement, l’article 37 favorisant celui-ci face à la loi. En effet, le pouvoir réglementaire excède désormais très largement l’application des lois. Il devient autonome chaque fois que des normes sont nécessaires dans des domaines autres que ceux pour lesquels la Constitution donne compétence à la loi, organique ou ordinaire, « la colonne 34 devant être soustraite de l’infini 37 », comme le résumait parfaitement le doyen Jean Carbonnier.

En définissant ainsi le domaine de la loi, de façon matérielle par l’article 34 et limitative par l’article 37, il n’est pas abusif d’en déduire que l’autorité réglementaire est devenue le pouvoir normatif de droit commun, ce qui semble être malheureusement être le cas aujourd’hui.

En effet, le premier texte significatif de cette rentrée parlementaire confirme mes propos, puisqu’en raison de l’étendue de ce projet de loi d’habilitation, les compétences et les pouvoirs du Parlement sont effectivement remis en cause.

L’article 38 de la Constitution, en court-circuitant le Parlement dans la phase d’élaboration de la loi, ne permet pas non plus aux parlementaires d’exercer dans de bonnes conditions leur pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale.

En effet, le dépôt d’un projet de loi de ratification des ordonnances permet certes de faire en sorte que celles-ci ne deviennent pas caduques, mais sa discussion en séance publique n’est nullement obligatoire, et intervient rarement. La meilleure preuve est que vous profitez de ce projet de loi d’habilitation pour ratifier des ordonnances prises précédemment.

Le contrôle que les parlementaires assurent sur l’action du gouvernement ne peut être sérieusement effectué dans ces conditions.

Et même si vous vous engagiez à ouvrir un débat lors de la ratification des ordonnances prises dans le cadre de ce projet de loi, cet argument ne pourrait nous convaincre d’adopter ce texte.

En effet, le travail et le débat parlementaires doivent se faire en amont des décisions gouvernementales. Renvoyer à une date ultérieure un débat virtuel sur une ratification d’ordonnance ne s’apparente pas au travail parlementaire de fond que nous exigeons, et que nos concitoyens attendent de leurs représentants également.

La pratique des ordonnances apparaît ainsi contraire non seulement aux principes démocratiques les plus élémentaires, mais aussi à la volonté de rapprocher la sphère politique des citoyens.

Depuis le 21 avril 2002, tout le monde s’accorde pour dénoncer cette fracture entre le monde politique et les Français, qui se sentent exclus des centres de décisions, décisions qui pourtant les concernent en premier lieu.

Or, le recours aux ordonnances s’inscrit dans une démarche inverse, totalement opaque, et qui ne fait qu’éloigner le peuple et ses représentants des enjeux actuels et des décisions qui s’appliqueront dans leur quotidien.

Monsieur le Ministre, le débat parlementaire public seul permet et d’impliquer les citoyens et une compréhension de la loi.

Si une simplification du droit est aujourd’hui plus que justifiée, c’est bien parce qu’il y a eu complexification. Et celle-ci est en grande partie due à l’accumulation des textes législatifs, ce que nous appelons l’inflation législative, laquelle n’est pas nouvelle.

La demande de loi est devenue incontrôlée, l’inflation législative a suivi, le genre régressant en qualité au rythme auquel il progresse en quantité.

Sans atteindre les records de la Quatrième République, la Cinquième, depuis une vingtaine d’années, semble vouloir les renouveler. Des textes préparés à la hâte et adoptés dans la précipitation révèlent très vite des malfaçons que sont supposés corriger d’autres textes préparés à la hâte et adoptés dans la précipitation, etc, etc, ….
La simplification est de ce point de vue indispensable. C’est un effort que nous, parlementaires, devons faire, afin que, peut-être, l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » reprenne un sens.

Mais faut-il rappeler que le gouvernement reste maître de l’ordre du jour : il est en quelque sorte responsable de cette inflation législative que nous connaissons, surtout depuis deux ans !

Si votre volonté était réellement de simplifier le droit, il vous suffisait alors d’inscrire moins de textes à l’ordre du jour, afin que leur élaboration et leur rédaction soient irréprochables, et qu’ils répondent à l’exigence d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Cette méthode semble être la meilleure voie vers la simplification du droit, tout en suivant la procédure législative normale, et donc en respectant les droits du Parlement.

Le problème est qu’en utilisant sur une grande échelle la procédure des ordonnances, le gouvernement prend le risque de créer une instabilité juridique, de fragiliser le droit au lieu de le simplifier. J’insiste ici sur le fait que fragiliser le droit ne doit pas être entendu de manière abstraite. Concrètement, ce sont les droits de nos concitoyens qui seront fragilisés, et cela nous ne pouvons l’admettre.

Cette instabilité juridique trouve sa source dans deux problèmes, le premier étant lié à la nature même des ordonnances, le second au contenu « fourre-tout » du projet de loi.

Tout d’abord, le recours aux ordonnances peut être une source d’insécurité juridique. En effet, la valeur juridique des ordonnances est liée à la question de leur ratification. On aurait pu imaginer que la Constitution la rende obligatoire, mais elle ne l’a pas fait. Elle impose simplement au gouvernement, à peine de caducité des ordonnances, de déposer, dans un délai prédéterminé par la loi d’habilitation, un projet de loi de ratification, sans être tenu à l’inscrire à l’ordre du jour.
Avant leur ratification, les ordonnances, bien qu’ayant un contenu en partie législatif, sont des actes de l’exécutif, et donc considérés comme administratifs. À ce titre, ils sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
De ce fait, lorsque l’ordonnance est ratifiée, celles de ses dispositions qui ont un contenu législatif redeviennent des dispositions législatives à titre définitif, tandis que celles qui ont un contenu réglementaire sont, pourrait-on dire, des dispositions législatives « à titre précaire », car à tout moment susceptible de délégalisation.

Ce changement de valeur ne facilite donc pas le contrôle des ordonnances et des dispositions qu’elles contiennent. Parce que, avant leur ratification, elles sont des actes administratifs, c’est le Conseil d’Etat qui est compétent pour apprécier leur légalité.

Mais parce que la ratification, même implicite, leur donne valeur législative, le Conseil d’Etat, s’il n’a pas encore jugé, doit conclure au non-lieu à statuer puisqu’il n’a pas compétence pour censurer des textes de valeur législative.
Quant au Conseil constitutionnel, il est naturellement incompétent pour être saisi des ordonnances, puisque ce sont des actes administratifs. En revanche, il peut être appelé, s’il est saisi, à vérifier leur constitutionnalité au moment de leur ratification, et à ce moment-là seulement.

En principe donc, les ordonnances peuvent toujours être contrôlées, par le Conseil d’Etat avant ratification, ou par le Conseil constitutionnel à l’occasion de la ratification. Mais dans les faits, il en va tout autrement, la ratification passant le plus souvent inaperçue. Par ailleurs, nos concitoyens, s’ils ne sont pas informés précisément du contenu des ordonnances, ne formeront jamais de recours devant le Conseil d’Etat en cas d’irrégularité. Or, si des normes ne peuvent être contrôlées par personne, comment s’assurer que le droit est respecté. Le recours aux ordonnances, par l’opacité et l’insécurité juridique qu’il induit, affaibli les principes démocratiques de notre société.

Opacité encore quand le recours aux ordonnances, souvent justifié par l’urgence, est ici un moyen pour le gouvernement de faire passer nombre de réformes sans avoir à ouvrir un débat de fond avec les parlementaires sur certains sujets délicats.
Ces questions et dispositions de fond se retrouvent complètement noyées dans un amoncellement de propositions d’habilitation ou de ratification. Pourtant, cela ne n’a pas empêché le gouvernement de déclarer l’urgence sur ce texte. Le sentiment d’opacité qui règne autour de ce projet de loi ne s’en trouve que renforcé.

Cette méthode utilisée par le gouvernement nous inquiète d’autant plus qu’elle risque de devenir un nouveau mode de gestion et de production de la norme dans notre pays, les ministres successifs à la réforme de l’Etat ayant annoncé le dépôt d’un projet de loi d’habilitation par an. Ceci constitue un réel danger pour le fonctionnement de notre démocratie.

L’objectif de la simplification du droit est louable et nous le partageons. Cependant, le présent projet de loi ne répond pas à cette exigence. Évidemment, simplifier les règles relatives à l’accès aux documents administratifs, au développement de l’administration électronique ou aux français de l’étranger est nécessaire. Évidemment, force est de constater que le droit est devenu tellement complexe que plus personne n’est en mesure de pouvoir affirmer connaître la Loi.

Mais est-ce un argument valable pour recourir à une procédure qui limite les droits du Parlement à débattre de questions qui sont loin d’être purement techniques, et pour justifier l’ampleur exceptionnelle de l’habilitation demandée au Parlement ?
En effet, réformer le droit de la filiation, les conditions d’attribution de l’aide juridictionnelle, la réglementation relative aux aides personnelles au logement ou bien encore la gouvernance de l’hôpital, tout ceci est loin de s’apparenter à de la simplification du droit.

Par ailleurs, il n’y a aucune commune mesure entre un texte d’habilitation de quelques articles, comme c’était l’usage, et le premier texte d’habilitation que vous avez déposé, qui en comprenait vingt et un, ou encore celui-ci, qui en comporte désormais plus d’une soixantaine.

Un texte d’une telle ampleur ne peut contenir que des mesures techniques, vous ne tromperez personne à ce sujet. Il contient également des mesures de fond.

Alors que nous avons discuté du projet de loi sur le handicap puis, en plein mois de juillet, de la réforme de l’assurance maladie, et que le ministre de la Santé, monsieur Douste-Blazy s’était engagé à ne pas procéder à la réforme de la gouvernance de l’hôpital par ordonnance, un chapitre entier, le chapitre IV, concerne des mesures de réorganisation dans le domaine sanitaire et social.

Avec l’article 48, le gouvernement entend modifier par ordonnances certaines dispositions dans le domaine de la sécurité sociale. L’article 49 autorise le gouvernement à modifier par ordonnances la partie législative du code de l’action sociale et des familles. Enfin, l’article 50 intervient dans le domaine de la santé, et donne la possibilité au gouvernement de recourir aux ordonnances en matière de gouvernance de l’hôpital, mais aussi afin de transformer le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies en société anonyme, c’est-à-dire de le privatiser.

Sous l’argument mensonger de mesures trop techniques, le gouvernement empêche le Parlement de débattre et de légiférer sur des pans entiers de la politique sanitaire et sociale et sur la privatisation d’établissements publics.
Ces dispositions auraient dû être intégrées aux différents textes que nous avons eu l’occasion d’examiner ces derniers mois, nous aurions pu notamment en discuter lors du débat sur l’assurance maladie, ou faire l’objet de projet de loi du gouvernement.

Vous l’avez compris, et c’est le sens de cette question préalable, notre groupe ne peut accepter, sous couvert de simplification, une loi d’habilitation, en urgence, dans des domaines aussi vastes, touchant le code civil, le code du travail, les régimes sociaux, le régime juridique des établissements publics, le code de l’urbanisme, dont l’urgence est contestable, et qui en l’occurrence relèvent par essence des compétences du législateur.

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