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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Transposition par ordonnances des directives communautaires : question préalable

Par / 25 octobre 2000

par Robert Bret

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai une remarque préalable : curieux règlement de notre Haute Assemblée qui ne m’autorise à défendre notre motion tendant à opposer la question préalable qu’après la discussion générale, qui a eu lieu, avant la suspension du soir, et après les réponses du Gouvernement. Il y a là, du point de vue de notre fonctionnement, matière à réflexion.

Cette session parlementaire s’est ouverte il y a trois semaines dans un contexte particulier.

Le référendum sur le quinquennat qui s’est tenu le 24 septembre a connu un taux d’abstention sans précédent.

Quel homme ou femme politique, quel observateur n’a pas noté à cette occasion la méfiance croissante des Français à l’égard de la politique,...

M. Alain Lambert. La politique du Gouvernement !

M. Robert Bret. ... une inquiétude forte quant à l’éloignement des centres de décision.

Notre peuple a le sentiment que les centres du pouvoir sont ailleurs, qu’ils sont essentiellement économiques et financiers.

Le caractère du projet de loi dont nous débattons ne peut, à l’évidence, que conforter cet avis.

Le contexte de cette rentrée, c’est aussi l’expression d’attentes sociales fortes, notamment en matière de redistribution des richesses.

A ces interpellations, il est trop souvent répondu que l’Europe, les critères de convergence ne permettent pas de desserrer les cordons de la bourse.

Quels sont les pouvoirs réels des peuples, de leurs élus pour modifier le cours des
choses ? C’est bien la question d’une construction réellement démocratique de l’Europe qui se trouve ainsi posée.

Que nous est-il proposé avec ce projet de
loi ? Je cite l’exposé des motifs : de " délester la charge de travail du Parlement de textes de transposition à caractère essentiellement technique ".

Je tiens à dire d’emblée que tel n’est pas notre avis.

Tant par sa densité - les 1 400 pages des annexes du rapport de notre collègue M. Hoeffel, présenté au nom de la commission des lois, l’attestent - que par la saisine de l’ensemble des commissions, et par sa qualité et son caractère exceptionnel, ce texte mérite toute l’attention du Parlement.

Or - ce sera mon premier constat - la procédure des ordonnances, régie par l’article 38 de la Constitution, n’autorise pas un travail sérieux, pleinement démocratique, du Parlement.

Depuis 1958, les parlementaires communistes et bon nombre de démocrates se sont opposés à cette procédure. Cette dernière prend, en effet, place dans un dispositif global d’affaiblissement du Parlement, du pouvoir législatif face à l’exécutif et d’un droit communautaire qui s’impose sans discussion possible au droit national ; je m’explique.

Cet article 38 rejoint une cohorte de dispositions constitutionnelles qui brident, voire bloquent, l’action du Parlement.

Comment ne pas rappeler les articles 34 et 37 qui favorisent le règlement face à la loi, l’article 40 qui a transformé au fil des années la loi de finances en formalité, la véritable guillotine institutionnelle que constitue l’article 49-3 ?

Comment ne pas rappeler l’existence même du Conseil constitutionnel, censeur sans légitimité de la volonté populaire ?

S’ajoute à cet ensemble le renforcement potentiel du pouvoir du Président de la République, dans le cadre d’un quinquennat facteur de personnalisation et de bipolarisation de la vie politique.

La campagne référendaire n’a-t-elle pas été d’ailleurs l’occasion d’une débauche de prises de positions en faveur du renforcement du rôle du Parlement ? A droite comme à gauche, tout le monde était d’accord sur cette nécessité.

Quant à moi, je considère que la revalorisation du rôle du Parlement fait partie des engagements de la gauche.

Malheureusement, l’un des premiers textes significatifs de la session met gravement en cause les compétences des assemblées.

Comme le Premier ministre, lors de son discours d’investiture du 19 juin 1997, nous estimons que le Parlement " incarnation de la souveraineté nationale doit pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos institutions ".

Le Premier ministre se fixait, à juste raison, l’objectif " d’impliquer davantage le Parlement dans la construction
européenne ".

La pratique des ordonnances dans le cadre européen apparaît fondamentalement contradictoire à la volonté de rapprocher l’Europe des citoyens, rapprochement qui constitue l’un des défis des mois et des années à venir.

M. Alain Lambert. Quelle déception !

M. Robert Bret. Aussi, je souhaite m’arrêter sur les conditions de mise en oeuvre de l’article 38.

Premièrement, les ordonnances doivent être autorisées pour l’exécution du programme. Vous ne manquerez pas de m’opposer certainement la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais celle-ci doit-elle être considérée comme parole divine et supplanter à jamais le texte constituant
lui-même ?

Je considère, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, que des dispositions contenues dans ce projet de loi ne font pas partie du programme du Gouvernement.

L’exemple le plus frappant concerne les télécommunications. Certes, les dispositions contenues à l’article 1er sont le prolongement de mesures déjà effectives, mais elles participent au vaste mouvement de libéralisation et de privatisation du secteur. Qui peut le contester ?

Or, le Premier ministre, le 19 juin 1997, évoquant le secteur public des télécommunications, déclarait : " nous ne sommes pas favorables à la privatisation de ce patrimoine commun que sont les grandes entreprises publiques en situation de concurrence ".

Ma deuxième remarque concerne la ratification des ordonnances. Le Gouvernement s’engage à déposer des projets dans ce sens, ce qui est intéressant.

Nous souhaitons toutefois un engagement solennel à l’organisation d’un débat sur ces futurs projets. Trop souvent en effet ces textes de ratifications demeurent dans les tiroirs, car seul le dépôt suffit à la réalisation de la ratification.

Au-delà de ce propos, l’argument d’un débat à venir nous semble bien mince.

C’est en amont des décisions gouvernementales que le débat parlementaire prend son sens. Renvoyer aux calendes grecques le travail précis du Parlement nous apparaît peu conforme aux principes démocratiques les plus élémentaires.

Enfin, si c’est la surcharge de travail du Parlement qui justifie le recours aux ordonnances, pourquoi, au cours de toutes ces années, ne pas avoir organisé un débat qui aurait dû avoir lieu au moins sous la forme de l’examen d’un projet de loi de ratification ?

Contrairement à ce qui est indiqué dans l’exposé des motifs, le champ couvert par le projet de loi est important. Dans la discussion générale, Nicole Borvo a mis en évidence un certain nombre de dispositions.

Appliquées à la transposition des directives en droit interne, les ordonnances renforcent le déficit démocratique de l’actuelle construction européenne.

L’un des moyens de rapprocher les peuples européens du processus en cours consiste en une participation forte des parlements nationaux à l’élaboration des normes européennes et à leur contrôle.

C’est le Président de la République lui-même qui déclarait le 27 juin dernier, devant le Parlement allemand : " D’abord rendre l’Union européenne plus démocratique. La construction communautaire a trop été la seule affaire des seuls dirigeants et des élites. Il est temps que nos peuples redeviennent les souverains de l’Europe. Il faut que la démocratie en Europe vive mieux, notamment à travers les parlements européens et les parlements nationaux. "

Loin de moi l’idée de soupçonner d’incohérence l’attitude du Président de la République, mais je note qu’il a donné son accord préalable au texte qui nous est soumis. Curieuse méthode pour rendre le peuple souverain...

Or, si la majorité sénatoriale n’a certes pas pu se laisser dépouiller en silence de ses prérogatives, force est de constater que,
au-delà des protestations - rappelons que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis presque vingt ans sont responsables de la situation actuelle - elle accepte le principe même des ordonnances.

Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je refuse de limiter la compétence du Parlement, alors que des directives concernant des domaines aussi importants et durs que la libéralisation du secteur des télécommunications ou de la poste, le travail de nuit des femmes, les conditions de travail des femmes enceintes, la protection sociale.

Ces directives abordent également des questions importantes dans le domaine de l’enseignement supérieur ou de l’écologie, avec la directive Natura 2000.

Certaines de ces dispositions nous agréent, d’autres suscitent notre interrogation, voire notre opposition, mais rappelons que le délai imparti ne nous a pas permis d’étudier dans le détail les mille quatre cents pages de directives...

Mais l’objet de cette motion tendant à opposer la question préalable n’est pas de séparer le bon grain de l’ivraie, car toute disposition d’essence législative, fût-elle positive, doit être, selon nous, débattue au Parlement.

Les articles 3 et 4 du projet de loi aggravent encore notre appréciation. La réforme d’ampleur du code de la mutualité qui est proposée suscite, nous le savons, l’approbation des acteurs de ce secteur.

Mais une démocratie peut-elle fonctionner si l’on saute l’étape pourtant obligée de l’examen par les représentants de la nation, garants de l’intérêt général ?

L’article 4, qui comporte des dispositions sur les infrastructures routières, suscite le débat. Tout en comprenant parfaitement le caractère d’urgence et la nécessité de trouver des financements nouveaux et originaux pour le développement des transports collectifs, nous estimons, là encore, que ces dispositions qui, reconnaissons-le, sont fort loin d’être de simples transpositions de directives, devraient être soumises dans de bien meilleures conditions au débat.

L’attitude du groupe communiste républicain et citoyen est donc claire : notre question préalable est une question de principe. Elle n’est pas tournée vers tel ou tel gouvernement, puisque vingt ans de direction des affaires du pays sont en cause.

Notre attitude dépasse les querelles politiciennes du moment. Il s’agit d’alerter, certes, les parlementaires mais aussi,
au-delà, nos concitoyens sur la persévérance d’un mode de construction européenne tournant le dos aux aspirations démocratiques qui s’expriment avec une force croissante.

Cette motion porte sur l’ensemble du texte, que nous rejetons dans sa globalité.

Dans le cadre du débat, nous demanderons le retrait, par le dépôt d’amendements, des directives et dispositions dont le vote, sans débat réel au Parlement, nous apparaît le plus inacceptable.

Notre volonté est de favoriser la recherche de modalités nouvelles.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la possibilité d’évolutions institutionnelles. Nous nous inscrivons dans cette démarche qui permet la discussion des directives, dans le respect des prérogatives parlementaires, notamment du droit d’amendement. Nous sommes bien conscients de l’accumulation des textes, alors pourquoi ne pas réfléchir à l’utilisation d’une procédure de vote sans débat, voire de débat restreint, réservée à l’examen des transpositions de directives, garantissant à tout président de groupe la possibilité d’exiger un débat classique s’il juge la disposition importante ? Une telle procédure permettrait l’adoption en commission des directives sans enjeu particulier et le débat en séance publique des autres. Dans tous les cas, le droit d’amendement serait maintenu.

A l’Assemblée nationale, une adaptation de la procédure d’examen simplifiée pourrait être également étudiée. Des solutions existent ou peuvent être créées.

Mais l’essentiel n’est pas là. Pour permettre la pleine association des parlements nationaux, l’Europe doit être mieux construite en amont. L’article 88-4 de la Constitution, qui donne le pouvoir au Parlement de prendre des résolutions doit être mieux utlisé. Mais le vote de résolution suffit-il ? Nous ne le pensons pas et nous estimons que les parlementaires nationaux doivent pouvoir mandater les ministres qui négocient au sein du Conseil. Cette proposition n’est pas irréaliste puisque des pays comme le Danemark, cité en exemple par M. Hoeffel, disposent d’un tel aménagement.

J’ai la conviction profonde que, pour permettre à l’Europe d’aller de l’avant, ce qui est mon souhait, il faut remettre sa construction sur pied.

C’est aux peuples, à leurs représentants, d’élaborer les normes en interaction avec les institutions européennes. Ce n’est certainement pas en confirmant de manière si flagrante le confinement du Parlement dans le rôle de chambre d’enregistrement de normes supraétatiques que l’Europe trouvera son nouveau souffle.

Afin de permettre à chacun de se positionner clairement sur le principe même de la pratique des ordonnances, je demanderai, avec mon groupe, un scrutin public sur la motion portant question préalable que je viens de présenter.

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