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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une bouillie législative, technocratique et profondément libérale

Nouvelle organisation territoriale de la République -

Par / 16 décembre 2014

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est le dernier volet législatif d’un profond bouleversement de nos institutions intervenu sans que nous ayons eu réellement à débattre de ses objectifs d’ensemble.

Débuté sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le big-bang territorial se poursuit avec la même cohérence, c’est-à-dire celle d’un projet profondément libéral, à mille lieues des attentes fortement exprimées par les élus en octobre 2012, à l’occasion des états généraux de la démocratie territorial, organisés ici même au Sénat. Plutôt que d’en arriver à cette bouillie législative, technocratique, inaudible pour nos concitoyens, saucissonnée en trois textes, il aurait été préférable de se doter d’abord d’un projet de loi d’orientation.

De fait, peu à peu, sans réelle vision d’ensemble, nous bouleversons notre pacte républicain, fondé sur des institutions locales de proximité, qui disposaient jusque-là d’un pouvoir d’intervention décentralisée afin de répondre aux besoins et aux attentes de nos populations. Ces diverses réformes avancent sans qu’à aucun moment il ait été envisagé de donner la parole au peuple. Ainsi s’installe pourtant une autre République, toujours plus technocratique, qui ne serait plus une et indivisible, mais d’abord fédéraliste et concurrentielle.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

M. Christian Favier. Nos institutions locales vont se transformer en outils au service de la concurrence entre les territoires, et les politiques publiques en marchandises.

Dans le même temps, le principe d’égalité des territoires, cher à la gauche, se dilue, celui de fraternité a toujours autant de mal à s’affirmer et les libertés locales sont toujours plus encadrées.

Dans une société de plus en plus inégalitaire se met en place une nouvelle organisation de l’action publique à son image, fondée sur les inégalités entre les territoires, où toute ambition pour les réduire a été de fait abandonnée.

Alors que les tenants de la pensée libérale ne cessent de clamer, contre toute réalité, qu’il faudrait plus de riches pour qu’il y ait moins de pauvres, nous sommes appelés, à partir de ce même précepte, à créer des institutions locales « riches », pour qu’il y ait prétendument moins de territoires « pauvres ». Or chacun sait qu’en nous éloignant d’un aménagement du territoire équilibré et harmonieux, construit dans la proximité, nous allons, au contraire, renforcer les poches de pauvreté en dehors et au sein de ces territoires dits plus favorisés que les autres.

C’est dans ce contexte que nous venons de terminer nos débats sur les nouveaux périmètres de nos super-régions et que nous entamons la discussion sur le projet de nouvelle organisation territoriale de la République. Seulement, depuis plusieurs mois, l’absence de lisibilité de cette réforme de nos institutions locales est sans cesse renforcée par des prises de position changeantes du Gouvernement.

Ainsi, madame la ministre, après le discours du Premier ministre laissant entendre que la fin des conseils départementaux n’était plus d’actualité, vous avez déclaré devant notre commission : « La suppression des départements suppose la majorité nécessaire à une révision constitutionnelle. Nous avons cinq ans pour élaborer une solution ». Pour vous, l’objectif de suppression des départements demeure donc.

Une chose est sûre, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, dans sa version gouvernementale, organise bel et bien l’évaporation des départements, préconisée par la commission Balladur en son temps. Dans ces circonstances, nous nous félicitons que la commission des lois ait rejeté à la quasi-unanimité les articles qui prévoyaient de déshabiller les départements au profit des régions, tout en regrettant qu’elle n’ait pas fait de même complètement pour les transferts de compétences des départements vers les métropoles. Il est dommage qu’elle soit restée au milieu du gué dans sa défense de l’échelon départemental.

Par ailleurs, en renforçant la compétence économique des régions, objectif que nous pouvons entendre et même approuver, le Sénat s’apprête à remettre en cause le principe de libre administration pour les communes et les départements en les plaçant sous la tutelle des régions, mais la nouvelle majorité sénatoriale de droite n’a malheureusement pas l’exclusivité du double langage.

Ainsi, le Gouvernement a fait adopter en décembre dernier, avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi MAPTAM, le rétablissement de la compétence générale, pour les régions et les départements. Vous disiez alors, madame la ministre qu’il s’agissait là d’un « marqueur de gauche » et d’un engagement décentralisateur. Comment comprendre alors que vous proposiez aujourd’hui de leur retirer cette compétence générale ? Devons-nous en conclure que, désormais, le Gouvernement recherche des « marqueurs de droite » et un engagement recentralisateur ?

Toujours dans la loi MAPTAM, vous décidez de nommer les régions chef de file du développement économique. Cette loi n’est pas encore appliquée que vous revenez sur cette mesure et transformez, dans le projet de loi NOTRe, les régions en collectivités « responsables » du développement économique, concept juridique inexistant, non prévu dans notre Constitution.

On a parfois l’impression d’une navigation à vue, même si l’on doit reconnaître que vous gardez le cap : concentrer les pouvoirs locaux entre les mains de grandes intercommunalités, organiser l’évaporation des communes et des départements, renforcer les compétences régionales, réduire la libre administration des collectivités territoriales, tenter de les hiérarchiser, réduire leurs ressources et mettre sous contrôle leurs dépenses. C’est parce que l’ensemble de ces ingrédients sont tous contenus dans le projet de loi que nous le contestons, comme nous avons rejeté les précédents qui étaient de la même veine.

Nous aussi, nous gardons le cap. Nous continuons d’affirmer que le « millefeuille » est une grossière affabulation, que l’avenir appartient aux communes, aux départements et aux régions, travaillant avec un État stratège garant de l’égalité des citoyens.

Mme Cécile Cukierman. Parfait !

M. Christian Favier. Nous réaffirmons que chaque collectivité a sa place et son utilité, qu’elle doit disposer de compétences identifiées, des moyens d’agir pour des projets partagés et d’intervenir librement quand les intérêts de son territoire sont en cause. L’heure n’est donc pas à la caporalisation de nos institutions et de l’action locale.

Toutes les collectivités territoriales ne doivent pas s’aligner derrière un chef, fût-il « de filat ». Elles doivent au contraire travailler ensemble, se coordonner, coopérer entre elles, en réseau, en partenariat, dans le respect de la place et du rôle de chacun, dans le cadre de projets d’actions publiques partagées, pour décupler leurs actions et ainsi mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population.

L’heure n’est pas à l’austérité, mais au contraire au déploiement de l’investissement et de l’action publique. L’heure n’est pas venue, pour nos collectivités, de se recroqueviller sur elles-mêmes, sur leur pré carré. Il faut au contraire ouvrir en grand l’intervention publique partagée en associant toujours plus les citoyens.

Vous le voyez, nous ne nions pas le besoin de réformes, mais nous récusons des orientations qui ne constituent en rien une nouvelle étape de décentralisation. Vos réformes, madame la ministre, manquent singulièrement de clarté, ce qui est un comble quand vous présentez ce texte comme étant celui de la « clarification de l’action publique ».

Ainsi, ce texte porte globalement sur les compétences, mais il ne dit rien sur les moyens dont les collectivités territoriales disposeront réellement pour les mettre en œuvre. Pis, une réforme de la dotation globale de fonctionnement est annoncée pour 2016, donc plus tard, sans que l’on en connaisse les orientations. Nul ne sait si les régions et les intercommunalités disposeront des moyens nécessaires pour leurs nouvelles interventions ; nul ne sait si leur autonomie financière sera renforcée.

En cette période de diminution radicale des dotations publiques et de dégradation des capacités d’autofinancement, on peine à imaginer comment tout cela fonctionnera.

Le même manque de clarté caractérise la définition des compétences économiques des régions. Si nous avons bien compris le texte, il ne s’agit pas d’un transfert de compétences de l’État, mais d’un redéploiement. Comment vont s’articuler alors l’action des régions et celle de l’État, qui reste responsable de l’essentiel de la politique économique ? Comment vont se construire ces interventions régionales dans le cadre du développement de filières de production qui dépassent les frontières des régions, fussent-elles devenues plus grandes ?

Finalement, cette affirmation du rôle économique des régions ne vise-t-elle pas d’abord à mettre en place un guichet unique, distributeur quasi automatique d’aides et de subventions aux entreprises, sans réelles contreparties en termes d’emploi ?

Sachant que les petites et moyennes entreprises sont, pour près de 70 % d’entre elles, des sous-traitantes de grands groupes, comment allons-nous faire pour que ces aides régionales ne soient pas absorbées par les grands groupes, compte tenu de leur emprise sur l’activité de leurs sous-traitants ? Comment nous assurer que ces aides ne serviront pas, comme le CICE, à la restauration des marges des entreprises et non à la relance de la production, et donc au développement économique et social de nos régions ? Nous attendons des explications et des garanties sur ces points, et nous serons particulièrement vigilants sur le contrôle et la transparence dans l’utilisation de ces fonds publics.

On peut s’interroger également sur l’articulation de l’action économique des régions et des quatorze métropoles. Que se passera-t-il en cas de désaccord entre ces deux instances ?

Le deuxième aspect essentiel du projet de loi concerne l’élargissement contraint des intercommunalités, auquel nous ne saurions souscrire, pour deux raisons essentielles.

D’une part, il s’agit une nouvelle fois, dans la droite ligne de la loi de 2010, de contraindre les communes et leurs intercommunalités à des regroupements autoritaires. Or, pour nous, les intercommunalités doivent demeurer des outils de coopération volontaire, fondés sur des projets partagés au service du développement de nos communes, et non pas des outils de leur intégration visant à leur disparition.

D’autre part, la carte intercommunale issue de la loi de 2010 vient seulement de s’appliquer. Il faut donc laisser à ces nouvelles structures le temps de se mettre en place, d’apprendre à travailler ensemble, de mettre en œuvre les compétences dont elles viennent, pour la plupart, d’hériter.

Le nouveau paysage intercommunal a besoin de stabilité. Il n’y a donc aucune urgence à le bouleverser à nouveau, avec de nouveaux périmètres et compétences élargis. Pour ma part, je me félicite que la commission des lois se soit prononcée à une très large majorité, pour ne pas dire à l’unanimité, pour le maintien à 5 000 habitants du seuil des intercommunalités.

Par ailleurs, le projet de loi, usant de la confusion des mots et des concepts, met en place un « schéma départemental des services au public » à la place des « schémas de services publics », sous l’égide de l’État, qui est là dans son rôle, mais en zappant au passage les départements, qui sont pourtant les mieux placés pour intervenir en ce domaine. Si le changement visait à examiner l’ensemble des services utiles à la population, nous ne pourrions que le soutenir, mais il est en fait l’instrument de la création de maisons de services « au public », pouvant être gérées par le secteur privé.

Dans le même temps, il met en place pour les services pouvant revêtir des missions de service public, l’équivalent des partenariats public-privé : c’est la privatisation des services locaux qui se dessine ; c’est la casse de la place et du rôle spécifique de nos administrations locales, de nos services municipaux, sur des périmètres d’intervention qui n’auraient plus rien à voir avec nos délimitations administratives et qui s’apparenteraient en fait à des zones de chalandise.

Enfin, pour terminer, le projet de loi confirme le vaste plan social qui se prépare dans nos collectivités territoriales appelées à concentrer leurs services et à réduire leur voilure.

Mutation et transfert d’office, éloignement, perte de responsabilités, changement de poste, carrière réduite, plan de licenciement des contractuels et vacataires, non-remplacement des départs à la retraite, telles sont les sombres perspectives de ce bouleversement institutionnel pour les agents de la fonction publique locale. Tout cela se met en place sans concertation réelle et sans négociation sociale à la hauteur des enjeux. Aussi comprenons-nous et partageons-nous les inquiétudes des personnels qui se manifestent actuellement. Dans ce domaine, il ne s’agit pas pour nous de défendre des corporatismes, car c’est bien l’avenir de l’emploi local et des services publics, partout sur le territoire national, qui est en cause.

Aussi comprendrez-vous, pour toutes les raisons que je viens de développer, qu’il faudrait de profondes modifications de ce projet de loi pour que nous puissions le soutenir. Nous défendrons donc de nombreux amendements pour tenter d’en infléchir certains aspects et nous serons sensibles au débat qui va s’ouvrir et, je l’espère, aux avancées qui pourront être obtenues.

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