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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une réforme minimaliste, opérée sous la contrainte

Garde à vue -

Par / 3 mars 2011

Monsieur le garde des sceaux, nous sommes ici parce que le Gouvernement y a été contraint. Il aura d’ailleurs résisté jusqu’au dernier moment (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.), puisque jusqu’au débat à l’Assemblée nationale nous était proposée une solution hybride consistant à prévoir un laps de temps important, sous couvert d’auditions libres, sans la présence de la défense.

Les débats sur la garde à vue que nous avons eus ici même à trois reprises sur l’initiative de parlementaires ont montré combien le Gouvernement était résistant à toute réforme, alors que toutes les données étaient pourtant sur la table.

En effet, la France a été condamnée et, eu égard au nombre important de gardes à vue, l’opinion publique a fini par s’émouvoir, car elles peuvent toucher tout un chacun ; elle ne le faisait guère quand elle considérait que seuls les criminels étaient concernés !

En réalité, il y a matière à aller plus loin que ce qui est proposé tant par le Gouvernement que par la commission, d’ailleurs. Mais nous avons bien l’impression que vous n’y êtes pas décidés.

À l’origine, la garde à vue avait pour objet de garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations le temps de leur déferrement devant le juge. Il est vrai que c’était une autre époque, durant laquelle les droits de la défense étaient moindres. Toutefois, force est de le constater, au fur et à mesure que les droits de la défense se sont accrus dans l’instruction, la garde à vue a été utilisée comme un élément de l’enquête à part entière sans défense. Elle était en quelque sorte la compensation imaginée par le pouvoir pour avoir, par l’intermédiaire du procureur et de la police, une procédure de nature à aboutir à l’aveu, qui était la pierre angulaire de toute la durée de l’instruction.

Il faut bien le dire, la garde à vue est employée comme un moyen d’intimidation. Au fil du temps, elle est devenue un indicateur de la performance en matière policière. Nous respectons la police républicaine, à telle enseigne que nous la défendons contre toute tentative de la dessaisir de ses prérogatives au profit de polices privées. Cela dit, on ne peut pas considérer que la performance qui vient de la hiérarchie et non pas de la police elle-même aboutit à la politique du chiffre que nous connaissons, et qui est d’ailleurs dénoncée non seulement par les professionnels de la justice, mais également par les services de police. En effet, nul n’ignore que les commissaires de police touchent des primes en fonction du nombre de gardes à vue réalisées dans leur commissariat !

Cette inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement explique en partie l’augmentation exponentielle du nombre de gardes à vue. Les chiffres ont déjà été communiqués, je n’y reviendrai pas. Cela étant, il est étonnant que certains, dont vous n’êtes pas, essaient par tous les moyens de les contester.

Quoi qu’il en soit, on a largement dépassé, en 2009, les 800 000 gardes à vue. À cela s’ajoute l’augmentation de la durée des gardes à vue : plus de 74 % d’entre elles durent plus de vingt-quatre heures. Avant d’être juridique, la banalisation de la garde à vue est donc politique.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette réforme contrainte présentée par le Gouvernement, qui se limite à une adaptation obligée a minima, sans dénoncer les orientations de la politique pénale, sera sans doute, de fait, d’une portée limitée sur les droits réels des gardés à vue.

Vous l’avez certainement lu comme moi, mes chers collègues, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 2 mars 2011, des juges, des avocats et des policiers – ce qui prouve qu’ils ne sont pas si opposés les uns aux autres ! –, les professionnels ont exprimé leur crainte que ce projet de loi ne soit une « rustine de plus sur un code de procédure pénale à bout de souffle, usé par des années d’incohérence au gré des amendements de circonstance votés dans l’émotion d’un dramatique fait divers ».

Ces représentants des différentes professions de la justice illustrent le ras-le-bol à l’égard des politiques pénales et de la pression sécuritaire permanente, une pression d’affichage qui ne diminue d’ailleurs en rien les chiffres de la délinquance.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous partageons leur crainte.

Certains l’ont déjà souligné, nous avons déjà débattu il y a un an de la nécessité de réformer la garde à vue, ainsi que l’ensemble de la procédure pénale. Le garde des sceaux de l’époque avait renvoyé à plus tard une réforme plus globale de la procédure pénale, comme vous le faites vous-même aujourd’hui.

Depuis, l’architecture du système pénal français a été, à diverses reprises, remise en cause. La Chancellerie a ignoré l’arrêt Medvedyev relatif à l’indépendance du parquet, mais l’arrêt Moulin c. France en a confirmé les griefs, ainsi que mon collègue Jacques Mézard l’a souligné. Or le projet de loi ne tient pas compte de cette jurisprudence et le Gouvernement préfère gagner du temps en renvoyant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devant la Grande chambre. Toutefois, l’Hexagone ne pourra pas indéfiniment se mettre en infraction avec les principes européens.

Dans le même temps, le report des effets de la décision du Conseil Constitutionnel, comme de celles de la Cour de cassation, qui gèlent les droits de la défense, ne permettra pas d’éviter les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, au titre du paragraphe 3. de l’article 5, et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’au titre de l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif.

De plus, la réforme proposée est largement compromise par le manque de moyens financiers. Le budget consacré à l’accès au droit, et plus généralement au ministère de la justice, par l’État français apparaît comme l’un des plus bas d’Europe, ce qui n’est certainement pas compatible avec ce que doivent être les standards d’un État européen souhaitant permettre et garantir l’égalité en droits de tous ses citoyens, ainsi que l’édicte l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La nouvelle place de l’avocat impose bien évidemment une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle, ne se limitant pas forcément à la question de la rémunération de l’intervention en garde à vue, et ce afin de garantir à tous les justiciables l’accès effectif aux droits de la défense. Celui-ci implique donc nécessairement un accroissement important de l’enveloppe budgétaire consacrée aux interventions de l’avocat en garde à vue.

Ces remarques étant faites, je voudrais aborder plus en détails six questions essentielles de la réforme, mais que le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte. Il s’agit des conditions permettant le déclenchement de la garde à vue et sa prolongation, des rôles du parquet et du juge des libertés et de la détention, de l’assistance effective de l’avocat, des régimes dérogatoires, du respect de la dignité humaine et, enfin, de la nullité de la procédure en cas de violation de droits reconnus.

L’article 1er du projet de loi n’impose aucun seuil minimal de la peine encourue pour conditionner le placement en garde à vue, puisque la rédaction de l’article 62-3 du code de procédure pénale qu’il propose définit la garde à vue comme concernant « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Ainsi, ce texte ne permettrait pas de limiter le nombre de gardes à vue, car seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Nous vous proposerons un amendement sur ce point.

Au-delà de la décision de placement, c’est la durée même de la mesure qui doit être strictement proportionnée aux nécessités de l’enquête. En effet, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les actes d’enquête sont trop souvent soit diligentés dans les premières heures de la garde à vue sans pour autant impliquer une remise en liberté, soit espacés par des intervalles de temps très longs. Nous devons absolument proscrire ces gardes à vue « de confort », ce que le projet de loi ne garantit pas.

Le Gouvernement ignore également le problème majeur tiré de l’incompatibilité avec les exigences européennes du contrôle du parquet sur les mesures privatives de liberté. Cela a déjà été largement évoqué, mais le problème est que nous ne sommes pas en conformité avec la garantie des droits effectifs de la défense.

Si, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que l’autorité judiciaire comprenait à la fois les magistrats du siège et du parquet, comme le note le professeur Frédéric Sudre : « C’est vrai en droit interne, mais non au regard de la Convention européenne ». En effet, selon l’arrêt Medvedyev c. France, confirmé par l’arrêt Moulin c. France, le procureur français n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme car « il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». C’est tout à fait clair !

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que le « juge […] habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » devant lequel « toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite » selon le paragraphe 3. de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, « doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties ». Le procureur de la République ne répond ni à l’un, ni à l’autre !

Rappelons que, dans son arrêt Huber c. Suisse, la Cour avait examiné sans équivoque possible la question sous l’angle de l’impartialité et avait conclu : « sans doute la Convention n’exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d’autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s’il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante ». Selon le professeur Frédéric Sudre, « d’une part, le magistrat, au sens de la Convention européenne, doit être indépendant de l’exécutif, ce qui n’est pas le cas du procureur de la République, placé dans une situation de subordination hiérarchique. D’autre part, ce magistrat doit pouvoir se prévaloir d’une impartialité fonctionnelle, c’est-à-dire ne pas être susceptible d’exercer ensuite des poursuites contre la personne qu’il aura lui-même placée en garde à vue, ce qui n’est pas non plus le cas du procureur de la République. »

Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le procureur conserve son rôle de direction de l’enquête, mais ne jouons pas sur les mots : contrôler, ce n’est pas gérer ! Yves Gaudemet le résume très bien : « La jurisprudence européenne impose aujourd’hui un tel contrôle, ce qui ne signifie pas que le parquet est dessaisi de la conduite de la garde à vue. Mais un magistrat du siège, disposant seul de la qualité de magistrat au sens de cette jurisprudence, doit intervenir, non pour en surveiller les modalités, notamment la conduite des interrogatoires, mais pour vérifier que l’atteinte ainsi portée à la liberté de l’individu est bien proportionnée à ce que requièrent l’ordre public et la politique pénale. »

Il est temps que le Gouvernement accepte le fait que le procureur n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il en prenne la mesure pour réformer la procédure pénale, l’instruction et le statut du parquet.

Enfin, l’argument avancé par la majorité parlementaire et le Gouvernement selon lequel l’intervention différée du juge du siège serait suffisante ne nous paraît pas recevable. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais fixé à quel délai correspond l’exigence de traduire « aussitôt » devant un juge une personne privée de liberté. Pour le moment, la juridiction européenne a condamné des délais supérieurs à trois jours, mais elle porte une appréciation au cas par cas.

Par ailleurs, les jurisprudences européennes, constitutionnelles et de cassation sont unanimes pour reconnaître le droit à l’assistance effective de l’avocat dès le début de la garde à vue. Nous ne reviendrons pas sur les moyens substantiels qui sont nécessaires pour y parvenir.

Nous critiquons aussi le fait que le texte permet de nombreuses dérogations, nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, pour que le droit à un procès équitable consacré par le paragraphe 1. de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Et même lorsque de telles raisons peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction, quelle que soit sa justification, ne doit pas indûment préjudicier au droit découlant pour l’accusé de l’article 6 de la Convention. Je citerai l’arrêt Salduz c. Turquie en la matière.

Tout cela m’incite à aborder de nouveau la présence de l’avocat dans le cadre des procédures dérogatoires. Nous y reviendrons également pendant la discussion. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, je le sais, totalement opposé à la suppression des procédures dérogatoires mais, pour ma part, je suis favorable à ce que ces procédures soient assorties des mêmes droits que les autres. En effet, à mon sens, plus on est gravement « présumé coupable », plus on a le droit de se défendre et d’être défendu dès les premières heures de sa mise en garde à vue. Nous aborderons ce point plus longuement au cours de la discussion.

J’ajoute que nous sommes défavorables à ce que les mineurs soient placés en garde à vue. Là encore, nous aurons l’occasion d’en discuter mais je crois que ce point mérite réflexion et que nos propositions sont peut-être acceptables.

Enfin, je suis particulièrement attachée à la question des conditions de garde à vue. La Commission nationale de déontologie et de sécurité que j’ai saisie à plusieurs reprises au sujet de gardes à vue humiliantes et abusives a souvent donné raison à ces requêtes et la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France le 20 janvier 2011 à indemniser un détenu pour violation de son droit à la dignité en raison de fouilles intégrales répétées,…

M. Roland Courteau. Exactement ! C’est scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … ce qui est tout de même significatif, parce que, en réalité, les fouilles sont souvent pratiquées sans nécessité.

Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point durant le débat, mais là encore la question des moyens est tout à fait importante pour qu’on puisse réellement mettre les lieux et les pratiques de garde à vue à l’aune du respect de la dignité des personnes.

Pour finir, nous regrettons que le projet de loi reste silencieux sur les nullités de procédure et notamment sur leurs conséquences sur le déferrement. Nous proposerons des amendements sur ce sujet.

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, si vous faites quelques avancées sous la contrainte, soyons clairs : ce projet de loi ne permettra pas de garantir une garde à vue digne de notre époque !

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