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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Violences contre les femmmes

Par / 29 mars 2005

par Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Le groupe des sénateurs communistes républicains et citoyens ne peut que se féliciter de l’examen par le Sénat de propositions de loi relatives à la lutte contre les violences conjugales.

Il était temps que le Parlement débatte enfin de ce problème, entende l’alerte lancée par de nombreuses association et différents rapports et que des mesures politiques soient prises pour éradiquer ce véritable fléau social.
Si des avancées ont été incontestablement réalisées grâce à la lutte des femmes pour leur émancipation et affirmées l’égalité entre les hommes et les femmes dans de nombreux domaines, force est de constater la persistance de violences masculines exercées à leur encontre. Pendant des siècles, une tolérance sociale a existé comme une forme admise de la domination des hommes sur les femmes. Le rapport de domination caractérise encore et toujours les rapports sociaux.

Mais s’il est un domaine où les violences ont été longtemps occultées car intervenant dans la sphère privée, c’est celui des violences conjugales.

Les élus communistes ne sont pas restés inactifs face à aux violences faites aux femmes au sein de leur couple. C’est en octobre 2003 que notre collègue communiste Muguette Jacquaint, députée de Seine-Saint-Denis, a déposé une proposition de loi relative à la lutte contre les violences au sein du couple, proposition de loi déposée au Sénat et objet aujourd’hui de notre discussion.

Le problème des violences (faites aux femmes) au sein du couple est urgent à traiter, et pourtant nous connaissons les chiffres officiels depuis déjà cinq ans. Dans ce cadre, nous pouvons d’ailleurs parler sans grande hésitation de violences à l’égard des femmes : les violences au sein du couple sont, dans près de 99 % des cas, le fait d’agresseurs masculins adultes.

Grâce à l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes de France, l’ENVEFF, qui date déjà de 2000, il a été possible de mesurer l’ampleur des violences à l’encontre des femmes au sein de leur couple.

L’ENVEFF confirme avec force les principales analyses déjà produites par les organismes et les associations luttant contre les violences faites aux femmes.

De cette enquête, il ressort que les violences à l’égard des femmes sont très fréquentes. Parmi les femmes de 20 à 59 ans vivant en couple, une sur dix a été victime de violence de la part de son conjoint ou concubin dans l’année précédant l’enquête, mais peu d’entre elles ont fait appel aux services de police et encore moins déposé une plainte.

Le rapport présenté par le professeur Henrion au ministre de la Santé en février 2001 est encore plus inquiétant. Il révèle que « les violences conjugales sont une des causes principales de mortalité des femmes, qu’il s’agisse de suicides, d’homicides ou de décès dus à des pathologies en lien avec la violence. »

Ainsi, si une femme sur cinq est victime de violence conjugale au cours de sa vie, six femmes meurent chaque mois des suites d’actes violents de leur conjoint ou concubin, les violences surgissant d’ailleurs dès la première année de vie commune.

Par ailleurs, malgré les idées reçues, il n’existe pas de profil particulier des couples où se déroule une telle violence, et rien ne prédestine une femme à devenir la victime de son conjoint. Les pourcentages et les chiffres rapportés sont équivalents quelle que soit la catégorie sociale, avec néanmoins une légère surreprésentation des catégories sociales élevées et des femmes sans emploi.

Comment se fait-il alors que la lutte contre les violences conjugales n’ait pas fait l’objet de travaux législatifs plus tôt ?

Certes le couple, voir la famille est une institution sociale, c’est une affaire privée, c’est une histoire intime où interviennent les sentiments, la relation amoureuse. Cependant la violence qui s’y déroule ne peut être appréhendée comme une affaire privée, et elle est d’autant plus inacceptable qu’elle est cachée, presque reconnue comme ordinaire, s’alimente d’un sentiment d’impunité mais aussi de domination et de non respect de l’autre. Elle est véritablement un problème de sécurité et de santé publique et donc doit être traitée comme telle.

Encore faut-il qu’une situation de violence au sein du couple soit connue et dénoncée par la victime. Car ce qui caractérise souvent une situation de violence conjugale, c’est l’isolement et le silence dans lequel se retrouve la victime. Dans la majorité des cas, les femmes ne parlent pas des violences qu’elles subissent et s’isolent progressivement de leur famille et amis.

Le rôle des associations, des professionnels de santé, de la justice, de la police ou encore du législateur n’est pas ici de s’immiscer dans la vie privée de chacun de nos concitoyens. Mais il était important que le tabou des violences conjugales tombe enfin et que le débat sur les moyens de lutter contre ces violences soit enfin public. Car c’est par la connaissance de leurs droits que les femmes victimes trouveront les moyens de sortir du cercle de la violence et de l’isolement dans lequel elles peuvent se trouver.

Dans le cas des violences au sein du couple, c’est précisément la prise de conscience et le refus des violences subies qui constituent le déclenchement de toute procédure, civile ou pénale. Refuser la violence signifie donc tout d’abord que la femme qui en est victime ait conscience de sa situation.

À ce stade, ce n’est pas la loi qui joue un rôle primordial, mais bien les acteurs de la prévention des violences conjugales. Et cela fait déjà longtemps que les associations, véritables acteurs de terrain, interviennent dans ce domaine. Néanmoins, l’Etat doit également mobiliser ses moyens et ne pas laisser aux seules associations cette responsabilité.

Leur rôle est précieux, tant en termes d’accueil et d’écoute que de conseils juridiques. Mais surtout, par l’information qu’elles diffusent et leurs diverses campagnes de prévention, elles contribuent à la prise de conscience que les violences conjugales sont inacceptables. Cette information est indispensable afin que les femmes qui subissent des violences, et qui n’arrivent pas à sortir de l’emprise de leur conjoint, sachent que la situation qu’elles vivent n’est pas tolérable, qu’il est porté atteinte à leur intégrité physique et morale et que leur conjoint n’a pas le droit d’exercer des violences sur leur personne.

Par ailleurs, elles permettent également d’aider la femme à trouver un logement provisoire si celle-ci a décidé de quitter le domicile conjugal, à prendre contact avec un avocat, à faire les démarches auprès de la police.

Car là encore, les violences conjugales ne relèvent pas du même processus psychologique que les autres catégories de violences. Un des éléments qui caractérisent les violences conjugales, c’est le fort sentiment de culpabilité ressenti par les femmes qui en sont victimes vis-à-vis de leur conjoint. Cette culpabilité vient s’ajouter à l’emprise exercée par leur conjoint. Elles s’imaginent être responsables de leur situation et se sentent coupables. Ce sentiment est d’autant plus accentué que leur conjoint les confortera dans cette culpabilité et exerceront une emprise psychologique telle que les femmes s’imaginent parfois incapables de se sortir de cette situation.

Ceci explique notamment pourquoi les plaintes sont si peu nombreuses. En effet, de manière générale, les violences contre les femmes donnent rarement lieu à une démarche auprès de la police. Il existe un fort décalage selon la sphère de vie concernée. Pour des violences subies dans l’espace public, 43 % des femmes font une démarche auprès de la police ; cette proportion chute à 13 % pour des violences subies au sein du couple.
Ce décalage est encore plus marqué pour ce qui est du dépôt de plainte : 35 % pour des violences subies dans l’espace public et 8 % pour des violences subies dans la relation de couple.

Il est donc nécessaire que la formation des professionnels susceptibles d’être confrontés à des femmes victimes de violences conjugales soit renforcée, qu’il s’agisse des acteurs sociaux, médicaux ou judiciaires. Il convient d’inciter ces acteurs, en fonction de leurs missions respectives, mais toujours dans un souci de coopération, à s’impliquer dans la prévention, le dépistage et la protection des femmes victimes de violences conjugales.

L’information est un des facteurs qui permet à la victime de franchir l’étape souvent douloureuse de la dénonciation de la situation de violence. En ce sens, il convient de soutenir des actions telles que la campagne de publicité télévisée récemment organisée par le ministère de la justice afin de lutter contre les violences conjugales

Si la victime réussit à porter plainte, tout n’est cependant pas encore terminé pour elle.

Se pose en effet le problème de l’éloignement du conjoint du domicile conjugal.
On déplore aujourd’hui l’insuffisance des lieux d’accueil destinés aux femmes victimes de violences au sein du couple. Mais est-ce là le seul moyen d’agir ? Il nous semble insuffisant et injuste d’orienter une politique de prévention des violences conjugales uniquement sous cet angle. Fuir son foyer est un acte qui peut être ressenti comme particulièrement traumatisant, surtout si la femme part avec ses enfants. Sans compter l’appréhension du manque de moyens financiers.

On peut même supposer que les femmes seraient davantage enclines à porter plainte plus tôt, à ne pas vivre si longtemps dans la peur et la culpabilité si elles savaient que leur conjoint violent peut être obligé de quitter le domicile du couple. Cette possibilité est désormais inscrite dans la loi pour les couples mariés, suite à l’adoption de la loi sur le divorce. Néanmoins, les violences ne concernent pas que les couples mariés, nous le savons bien. L’éloignement du concubin, ou du partenaire, doit être également possible.

Cependant, en matière d’éloignement du conjoint violent, deux impératifs sont ici à respecter. Il s’agit de concilier le principe de la présomption d’innocence et la nécessaire protection de la victime. Selon nous, cette mesure doit être prescrite et encadrée par un juge, et soumise à son contrôle.

C’est pourquoi nous avons souhaité inscrire un possible éloignement du conjoint du domicile du couple dans le cadre du contrôle judiciaire. Certes, l’article 138 du code de procédure pénale prévoit déjà que le juge peut interdire au mis en examen de « ne pas se rendre en certains lieux » et de « s’abstenir de rencontrer certaines personnes ». Notre proposition a donc pour objectif d’inciter les magistrats à utiliser l’article 138 afin d’éloigner le conjoint violent du domicile conjugale.

Cette proposition a été reprise dans la proposition du rapporteur, ce qui est évidemment positif.

En revanche, nous proposions également de compléter l’article 138 du CPP en prévoyant que l’injonction de soins peut être prononcée à l’encontre d’un conjoint violent. En effet, la violence conjugale s’exprime directement, physiquement ou par ce type de violence que l’on nomme « emprise psychologique ». L’une et l’autre sont des entreprises de démolition de l’estime de soi. L’emprise est destinée à obtenir l’adhésion de la victime au système agresseur, tout en permettant à l’agresseur de se déresponsabiliser et de transférer la responsabilité de son comportement sur la victime. C’est pourquoi, sans préjuger de l’état psychologique de l’agresseur, il ne semble pas disproportionné de lui enjoindre rapidement d’être suivi par des professionnels de santé.

Cette injonction de soins thérapeutiques existe déjà dans le cadre du contrôle judiciaire, notamment aux fins de désintoxication, et nous ne comprenons pas pourquoi son extension aux cas de violences conjugales n’a pas été retenu. La lutte contre les violences conjugales ne doit pas tourner uniquement autour d’un renforcement des sanctions pénales.

C’est pourquoi nous n’avons pas voulu, dans notre proposition de loi, renforcer des sanctions qui existent déjà dans le code pénal. A titre d’exemple, le viol conjugal est reconnu depuis la loi du 23 décembre 1980. Le nouveau code pénal a retenu la circonstance aggravante pour le conjoint ou le concubin de la victime dans les cas d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, nous l’élargissons aux pacsés.

Enfin, si les victimes sont parfois hésitantes à porter plainte, à dénoncer leur agresseur, à quitter leur conjoint violent, c’est également pour des raisons financières. Cette crainte de se retrouver sans ressources est accentuée quand il y a des enfants.

Pourtant, il faudra que la femme puisse se reconstruire, soigner ses blessures physiques et ses traumatismes. D’après le rapport Henrion, la violence au sein des couples a une incidence majeure sur la santé des femmes, que ce soit du fait de blessures provoquées ou des affections chroniques qu’elle peut engendrer.

La prise en charge médicale ne peut pas toujours être supportée seule par la victime, comme ne peut l’être un départ du domicile du couple. C’est pourquoi nous avions proposé que la victime de violences conjugales bénéficie d’une indemnisation, au même titre que les victimes d’attentats, d’accidents de la route ou de la chasse. Nous proposons également par amendement que la victime puisse bénéficier d’une aide financière immédiate si elle ne dispose pas des moyens suffisants pour quitter le domicile.

Il est évident que, comme en matière d’éloignement du conjoint violent, si les femmes savent qu’elles seront soutenues financièrement, que leur statut de victime est reconnu, elles hésiteront moins à se sortir de la situation de violence.

La législation en matière de violences conjugales est actuellement insuffisante. Cela résulte en partie du fait que les violences conjugales n’ont jamais été appréhendées comme un problème concernant la société mais uniquement la sphère privée. Aujourd’hui, la sensibilisation sur ce sujet est grandissante. Il est donc nécessaire que la législation une véritable politique de lutte contre cette forme de violence.

Notre texte initial reposait sur des mesures immédiates à prendre lors de violences avérées (éloignement du violent), sur des mesures rassurantes pour une reprise de confiance en elle de la victime, et des moyens financiers nécessaires. Sur le plus long terme, éradiquer la violence par des mesures éducatives en direction des jeunes, un renforcement de la formation de tous les acteurs (travailleurs sociaux, médicaux, police...) et par l’information pour une sensibilisation de l’opinion publique. Nous réintroduirons ces articles dans la loi par des amendements. L’un deux est une proposition de loi pour lutter contre les mariages forcés en établissant l’âge légal du mariage à 18 ans pour les femmes, mais nous en reparlerons au cours du débat. J’ose espérer que nous aurons tous mes chères collègues la volonté d’écrire une loi qui dans l’esprit et dans la lettre apporte une réponse juste et efficace afin d’éradiquer ces violences qui nous montrent combien est perverse le non respect et la domination d’un individu par un autre.

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