Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Ce projet de loi de sortie de crise n’en a que le nom
Gestion de la sortie de crise sanitaire : question préalable -
Par Éliane Assassi / 18 mai 2021Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi promet la sortie, dès le mois de juin, de l’état d’urgence sanitaire, ce régime juridique exorbitant du droit commun, facteur de restrictions de libertés comme les Françaises et les Français n’en ont jamais vécues.
Comme des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens, nous estimons que les libertés publiques et individuelles, sous cloche depuis trop longtemps, doivent être déconfinées, notamment celle d’aller et venir.
Hélas, d’une gestion de sortie de crise, ce projet de loi n’a que le nom, et de nombreuses interrogations et inquiétudes nous animent encore aujourd’hui. Il en est ainsi des pleins pouvoirs que s’est octroyés l’exécutif dans la gestion de cette crise et dans le processus décisionnel qu’il a choisi de mettre en œuvre, du conseil scientifique au conseil de défense, rendu plus puissant que le conseil des ministres, et mettant au ban le Parlement, qui est réduit, comme nous le dénonçons régulièrement sous ce quinquennat, au rôle dégradé et dégradant de chambre d’enregistrement.
Ce texte l’illustre une fois encore. S’il est nécessaire que le Gouvernement passe pour la huitième fois devant le Parlement, avec sa copie censée ouvrir la voie à la sortie d’un régime d’exception, nous pouvons présumer qu’il ne s’agit pas de la dernière fois, et je pense ne pas beaucoup me tromper, pour peu que je me fie à la lecture de l’amendement n° 53 que vous avez déposé à l’article 4, monsieur le ministre.
Tout d’abord, il s’agit, factuellement, d’un nouveau régime transitoire et non pas d’un régime de sortie de crise. Le Gouvernement demande le blanc-seing du Parlement afin d’agir dans les mois à venir comme bon lui semblera ; il s’offre même le loisir d’esquiver un nouveau passage devant la représentation nationale, en se donnant la possibilité de décréter un nouvel état d’urgence sanitaire territorialisé pour deux mois. Un simple rapport présenté au Parlement entre les deux mois viendrait remplacer la possibilité pour les membres de celui-ci d’exprimer leur vote.
Tout en prorogeant de nombreuses dispositions issues d’ordonnances déjà prises et entrées en application, ce texte reprend toutes les mesures qu’avait introduites la première loi instaurant un régime transitoire. Celles-ci correspondaient finalement aux dispositions permises par l’état d’urgence sanitaire sans les restrictions d’aller et venir.
Or, cette fois-ci, ces dernières restrictions sont incluses dans le texte, et le couvre-feu, prolongé jusqu’à la fin du mois de juin prochain, vient agrémenter le dispositif.
Nous nous y opposerons, comme nous nous opposons depuis le début de la crise à cette manière d’infantiliser les Français, de les tenir pour responsables de la situation, en quelque sorte de les sommer, à chaque expression télévisée, de bien obéir aux consignes édictées, sous peine de se voir de nouveau privés de libertés et d’être un peu plus restreints dans leurs droits.
Restreints, ils le seront, d’ailleurs, encore davantage, comme l’indique ce texte qui prévoit de nouvelles mesures antisociales, telles que la possibilité d’imposer une prise de congés d’une durée que le Gouvernement souhaitait faire passer de six à huit jours. Cette mesure a été supprimée par la commission des lois, mais nous pouvons craindre qu’elle ne soit réintroduite en commission mixte paritaire.
Sous prétexte qu’un grand nombre de salariés souhaitent partir en vacances au moment précis où l’activité économique redémarre, le Gouvernement veut leur imposer à tous de rester au travail. Alors qu’ils ont pourtant été les premiers à être pénalisés par les conséquences de la crise sanitaire, qu’il s’agisse du confinement, du télétravail imposé depuis un an, de l’école à la maison et du travail en première ligne sans masque ni vaccin, les salariés ne pourraient pas décider de leurs dates de congés ! Une fois encore, la situation sanitaire sert de prétexte au Gouvernement pour s’attaquer aux droits des salariés, en autorisant les employeurs à leur imposer leurs congés.
Pendant ce temps, les entreprises peuvent licencier et augmenter les dividendes versés aux actionnaires, tout en bénéficiant des aides publiques, puisqu’elles ont reçu 200 milliards d’euros, depuis un an, sans aucune contrepartie. On entretient ainsi une certaine idée du sens de l’histoire et de la progression sociale à rebours.
En revanche, la marche vers une société de surveillance généralisée est bien enclenchée et s’accélère sans que rien semble pouvoir l’arrêter.
L’instauration d’un pass sanitaire sur le territoire national suscite de nombreuses interrogations, bien que nous soyons comme des milliers de nos concitoyennes et concitoyens des êtres responsables et solidaires. TousAntiCovid nous fichera donc désormais, qu’on le veuille ou non, que l’on soit sain ou pas, comme admis ou exclu, autorisé ou rejeté de tel ou tel grand événement rassemblant plus de 1 000 personnes.
Ce seuil ne pourrait-il pas être réduit à l’avenir et la liste, qui se limite aujourd’hui à des rassemblements festifs, ne risque-t-elle pas d’être étendue ? Nous ne pouvons que le craindre.
M. Loïc Hervé. Bien sûr ! C’est le risque.
Mme Éliane Assassi. En outre, ces données, ainsi que toutes celles qui sont censées être provisoirement enregistrées dans le système d’information créé spécifiquement pour le temps de la crise, ne finiront-elles pas par être versées au système national des données de santé, de sorte qu’elles seront conservées pour une durée de vingt ans ? (M. Loïc Hervé s’exclame.) Or ces données sont pseudonymisées et non anonymisées, ce qui permet sous certaines conditions d’en retrouver les détenteurs.
De plus, ce pass laisse transparaître une obligation vaccinale, car, bien que les résultats de tests PCR restent admis, ces derniers ne sont pas gratuits. En France, ils représentent un coût pour la sécurité sociale, que vous jugez, par ailleurs, exsangue. Dans la quasi-totalité des pays européens voisins, ils sont payants et coûtent très cher. Ce pass vient donc limiter encore davantage notre liberté d’aller et venir, et non la garantir.
Toutes ces vérités doivent être rétablies. Par exemple, la crise que nous vivons est-elle une crise sanitaire à proprement parler, ou bien une crise de notre système hospitalier et de santé qui n’a pas les moyens de faire face à la pandémie ? En quoi l’exceptionnalité serait-elle la réponse à l’incurie assumée des politiques publiques de santé qui ont incontestablement aggravé la crise actuelle ? Voilà ce que se demande même le syndicat de la magistrature !
Cette manière de gouverner par des mesures sécuritaires et non pour la santé publique pose problème. Le confinement a servi non pas à freiner la propagation de l’épidémie, mais plutôt à alléger la pression hospitalière, car nous avons fermé trop de lits pour des raisons managériales, explique Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public à l’Université Jean-Moulin Lyon 3, et spécialiste des états d’exception : « On s’est privé de moyens pour lutter contre cette épidémie. Pourquoi ne pas avoir investi massivement dans l’hôpital public ? Lorsqu’on n’emploie pas les bons moyens, on ne peut pas obtenir les bons résultats », conclut-elle.
Le 31 décembre 2021, les Français auront passé plus de vingt et un mois sous ce régime ou sous celui de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Comme pour l’état d’urgence sécuritaire, décrété au lendemain des attentats de novembre 2015 et resté en vigueur jusqu’au mois d’octobre 2017, la notion d’urgence semble avoir perdu tout son sens et laisse place à un mode de gestion habituel de la société.
L’une des spécificités de l’état d’urgence sanitaire est d’avoir justifié des mesures encore plus restrictives qu’en matière sécuritaire. Au fil des mesures prises, la balance entre libertés publiques et protection de la santé publique n’est plus simplement en déséquilibre : elle est renversée.
Dans ce cadre, il est absolument nécessaire de laisser le Parlement légiférer. Vous ne l’avez même pas accepté pour le couvre-feu. Plutôt que de passer des semaines et des mois sur le séparatisme et la sécurité globale, le Parlement aurait pu se consacrer à la santé publique et au système hospitalier de notre pays.
Si nous en sommes là, c’est parce qu’il y a eu une énorme défaillance sur le vaccin et sur la stratégie vaccinale. Cette gestion approximative et autoritaire de la crise sanitaire n’a que trop duré : nous demanderons pour notre part que tout ce régime exorbitant du droit commun cesse au 30 juin.
Mes chers collègues, le chapitre sur l’état d’urgence sanitaire introduit dans notre code de la santé publique en mars 2020 donne encore au Gouvernement la possibilité de décréter l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 décembre 2021 : qu’il s’en saisisse si la situation l’exige, et qu’il se représente devant nous ! Sinon, monsieur le ministre, nous serons à votre disposition pour débattre d’un véritable projet de sortie de crise. Celui-ci n’en est pas un.
Les Français ont trop pâti de la situation qui dure depuis plus d’un an ; ils ne doivent plus endurer davantage les conséquences de la contradiction d’un gouvernement qui témoigne, dans le même temps, d’une toute-puissance décisionnelle et d’une incertitude inhérente au sujet qui nous occupe.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe CRCE vous invite à rejeter ce texte : tel est l’objet de cette motion tendant à opposer la question préalable.