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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce projet de loi est à la décentralisation ce que la Restauration fut à la Révolution française : un retour en arrière inquiétant

Nouvelle organisation territoriale de la République (deuxième lecture) -

Par / 26 mai 2015

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au moment d’entamer la deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, chacun de nous peut témoigner combien la population, les élus locaux et les agents territoriaux sont, pour le moins, interrogatifs devant un tel bouleversement de nos institutions locales et inquiets du sort qui leur sera réservé.

Avec la concentration des pouvoirs, conséquence des premières réformes mises en place en 2010 et en 2014, avec la création des nouvelles intercommunalités et des métropoles, avec les répercussions des baisses drastiques des dotations de l’État, nos concitoyens ont de plus en plus de mal à savoir où l’on va et si les réformes en cours répondront bien à leurs besoins.

La réponse à la fameuse question : « qui fait quoi ? » devient de plus en plus opaque. Les services publics locaux sont partout fragilisés. Les finances locales sont exsangues. Le pire est que nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre de cette action locale low cost qui aboutira, si rien ne change, à réduire encore la voilure au cours des prochaines années.

L’opacité tient au fait que les changements de cap incessants rendent illisible le rôle de chacune des collectivités locales de la République.

La fragilisation des services publics locaux et de l’action locale est liée notamment à la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions. C’est une atteinte très grave portée au principe décentralisateur de libre administration des collectivités locales.

Enfin, la situation très préoccupante des finances locales s’explique par les coupes claires opérées dans les dotations de l’État aux collectivités locales : 28 milliards d’euros en moins sur quatre ans !

Cette politique d’austérité constitue une absurdité totale. Elle permet de financer les cadeaux fiscaux offerts aux grandes entreprises, mais à quel coût pour le pays !

Ce coût s’exprime en termes de recul de l’emploi, dans le bâtiment et les travaux publics en conséquence de la baisse de l’investissement public local, et au sein des collectivités territoriales avec les partants non remplacés et les menaces qui pèsent sur les personnels contractuels.

Il s’exprime en termes de perte de pouvoir d’achat, avec les hausses d’impôts locaux et de tarifs des prestations que les collectivités locales sont contraintes de décider.

Il s’exprime en termes de délitement de la cohésion sociale, du fait de la diminution des subventions aux associations, à la culture, au sport.

Il s’exprime en termes de restriction du périmètre des services publics locaux, celle-ci prenant une ampleur très préoccupante.

Il se traduit sur le plan démocratique, enfin, par l’éloignement des citoyens des centres de décision et la diminution du pouvoir d’intervention des élus locaux.

Tout cela constitue le produit de l’austérité imposée par le Gouvernement à l’action locale d’aujourd’hui et de demain. Le résultat de ces réformes se situe ainsi à l’exact opposé des objectifs annoncés et va à l’encontre des attentes des uns et des autres. Au final, cette démarche recentralisatrice et technocratique engendre inquiétude et incompréhension, et alimente, hélas, les formes les plus préoccupantes de populisme.

Le projet de loi que nous examinons poursuit dans la même voie et renforce même les aspects les plus négatifs de la situation actuelle. Cette réforme de nos institutions locales mêle, dans un même mouvement, diminution de la dépense publique locale et affaiblissement de la démocratie locale.

Le projet de loi NOTRe, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale avec votre soutien, madame la ministre, amplifie les dérives actuelles et conduit tout droit à la disparition des collectivités territoriales de proximité que sont les départements et les communes.

Ce texte, je suis au regret de le dire, est à la décentralisation ce que la Restauration fut à la Révolution française : un retour en arrière très inquiétant.

Dans le même temps, il bouleverse la hiérarchie des normes institutionnelles, faisant de la région la collectivité « responsable », pilotant l’action des autres collectivités, dorénavant placées de fait sous sa tutelle. Il octroie à la région un pouvoir réglementaire élargi, en lieu et place de l’État. Ainsi, un processus de changement de République est en cours, sans que les objectifs soient clairement affichés et sans que le peuple soit en mesure de se prononcer.

Nous ne cessons de dénoncer ce processus qui transforme, doucement mais sûrement, notre pays en une République fédérale intégrée à une Europe supranationale, avec un État recentré sur ses seules missions régaliennes, des communes qui disparaissent au profit des intercommunalités, des départements écartelés entre les métropoles et les régions, avant que ne soit prononcé leur acte de décès.

Si nous étions bien seuls, au début, à dénoncer ces dérives institutionnelles, une certaine prise de conscience gagne aujourd’hui du terrain, jusqu’au sein de l’Association des maires de France, qui craint une disparition programmée des communes.

À de nombreuses occasions, nous avons débattu de ces questions dans cet hémicycle. Sur toutes les travées, des paroles fortes de soutien à nos communes ont été prononcées, mais, dans les textes et dans vos votes, mes chers collègues, il en va tout autrement.

Le regroupement autoritaire de communes au sein d’EPCI à fiscalité propre a été décidé et est appelé à se poursuivre encore, avec des intercommunalités de plus en plus grandes.

Les transferts de compétences obligatoires des communes vers les intercommunalités ont été renforcés, et ce mouvement continue.

Le regroupement au sein de communes nouvelles a été encouragé par un relèvement des dotations. En cette période de restriction budgétaire, c’est plus qu’une incitation.

La rationalisation des services se fera toujours au détriment des services municipaux, sur la base du plus petit dénominateur commun.

La mise en place de maisons de services au public – et non de maisons de services publics ! – dans tous nos territoires se fera sans aucune concertation avec les communes.

Avec ce texte, les communes seront incitées, demain, à ne plus décider seules du taux d’imposition locale, perdant ainsi tout pouvoir fiscal au profit, encore et toujours, des intercommunalités.

Au travers de la réforme de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, il est envisagé de transférer le versement de cette dernière de la commune à l’intercommunalité.

Enfin – cerise sur le gâteau ! –, vous soutenez, madame la ministre, l’introduction par l’Assemblée nationale de l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct.

Ainsi, les intercommunalités, initialement conçues comme des instruments entre les mains des communes, au service de leurs projets, deviendront en fait des collectivités de plein exercice qui feront de nos communes des arrondissements administratifs de seconde zone, sans aucun pouvoir.

En outre, ces intercommunalités élargies, dont la population sera dorénavant nécessairement supérieure à 20 000 habitants, se transforment en chevaux de Troie dirigés contre nos départements. Ce qui commence par des transferts autoritaires de compétences vers les métropoles risque de se poursuivre par la transformation des départements en simples assemblées des intercommunalités. Certains envisagent même de transférer les compétences sociales des départements aux nouvelles intercommunalités.

Ainsi, une nouvelle fois, en dehors de tout débat démocratique, se mettent en place les structures locales de demain, à savoir les régions et les intercommunalités, en lieu et place de nos communes et de nos départements.

Dans le même esprit, votre texte traduit la volonté de limiter la démocratie locale, en supprimant des possibilités d’expression de notre peuple. Ainsi, la modification du périmètre de nos régions a été décidée sans que l’on demande l’avis des citoyens.

Quant à l’obligation d’organiser un référendum dans certains cas de modification des institutions locales, elle a été retirée, et vous voulez imposer par la loi, madame la ministre, la constitution d’une assemblée unique de Corse, alors que les citoyens de cette région l’ont refusée par référendum il y a quelques années.

Mes chers collègues, l’ensemble des dispositions de ce projet de loi reflète des choix politiques que nous contestons. Il ne s’agit pas de simples mesures d’adaptation pragmatiques, visant à prendre en compte les évolutions de notre société : elles sont l’expression d’orientations profondément libérales faisant de la mise en concurrence l’alpha et l’oméga de toutes les évolutions, en tous domaines.

Vous accroissez la taille de toutes nos institutions locales afin d’en faire des éléments de cette mise en concurrence, au risque d’engendrer des monstres technocratiques, à l’image de la métropole du Grand Paris et de ses 7 millions d’habitants, qui, au travers des propositions que vous formulez, devient une « usine à gaz » incompréhensible.

Vous réduisez la place et le rôle des élus en renforçant le pouvoir des exécutifs. Vous créez les conditions de l’instauration d’un partenariat public-privé au service des actionnaires et au détriment des services publics, qui sont la seule richesse de ceux qui n’en ont pas.

Vous allez donc « caporaliser » nos collectivités locales en faisant disparaître celles qui sont le plus proches des citoyens, interviennent au plus près de leurs besoins et favorisent leur participation à la chose publique.

En définitive, les dispositions de ce texte restent bien éloignées des préoccupations de nos concitoyens, de leur volonté d’exprimer des choix en faveur de la mise en œuvre, au plus près de leur quotidien et de leurs préoccupations, de politiques publiques qui leur soient utiles et répondent à leurs besoins. En fait, de cela, nous ne parlons que très rarement dans cet hémicycle, alors qu’il s’agit pourtant de l’essentiel. C’est bien dommage !

Certes, la France des territoires a besoin d’être revivifiée au travers d’un renforcement de la démocratie locale, d’une décentralisation repensée et d’une coopération plus étendue, mais nos 36 000 communes sont une richesse, et nos 500 000 élus l’expression de la diversité démocratique qui fait la France.

Ce n’est pas de moins de démocratie et de moins de proximité que notre pays a besoin. Au contraire, nos concitoyens et nos élus locaux attendent davantage d’écoute, d’accompagnement et de soutien.

D’ailleurs, les premiers reculs auxquels le Gouvernement a été contraint – je pense à l’abandon, lors de la première lecture, du transfert des collèges et des routes des départements aux régions – traduisent bien la fébrilité et l’impréparation qui ont présidé à l’élaboration de ce projet de loi.

Le bon sens, le principe de réalité commandent de ne pas éloigner des citoyens la gestion publique et d’éviter de la concentrer à l’échelon de territoires trop étendus.

La commission des lois du Sénat a de nouveau rejeté le transfert aux régions des transports scolaires et des ports. C’est là une bonne chose. Cette décision va dans le bon sens, celui de l’avènement, que nous appelons de nos vœux, d’une République démocratique et décentralisée, à l’écoute des besoins des territoires et de leurs habitants, soucieuse d’utilité sociale et de développement des services publics, d’une République où l’action publique locale disposerait des moyens de mener à bien ses missions, au service de l’intérêt général.

Telle est notre vision de ce que pourrait être une nouvelle étape de la décentralisation. C’est pourquoi, madame la ministre, à l’entame de cette deuxième lecture, je conserve l’espoir que d’autres choix puissent être faits, inspirés par les conclusions des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en 2011. En tout cas, le groupe CRC ne pourra évidemment pas voter ce texte en l’état.

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