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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte donne au ministère de l’intérieur des prérogatives tout droit inspirées de l’état d’urgence

Lutte contre le crime organisé et le terrorisme (conclusions de la CMP) -

Par / 25 mai 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur un texte qui est « un outil […] permet[tant] de se passer de l’état d’urgence », comme l’a résumé le rapporteur Pascal Popelin à l’Assemblée nationale.

Pour le dire clairement, si l’état d’urgence a récemment été prolongé de deux mois, et non de trois, c’est parce que, dans l’intervalle, sera promulgué le présent projet de loi, qui est dit « de réforme pénale », mais qui constitue bien plutôt un énième projet de loi antiterroriste, comme vous venez d’ailleurs de le confirmer, monsieur le garde des sceaux.

Ce texte donne au ministère de l’intérieur des prérogatives tout droit inspirées de l’état d’urgence, telles que la possibilité d’assigner à résidence, pour une durée d’un mois, toute personne revenant d’un théâtre d’opérations où interviennent des groupes terroristes, et ce même si aucun élément constitutif d’un délit n’existe pour saisir la justice.

Dans sa dernière mouture, ce texte a également été agrémenté de dispositions figurant dans la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste déposée par MM. Bas, Retailleau, Zocchetto et Mercier, adoptée par le Sénat le 2 février dernier. Il s’agit notamment de l’accroissement des outils d’investigation accordés au parquet et de la création de nouveaux délits terroristes, comme le délit de consultation de sites internet provoquant au terrorisme, désormais passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

Je ne reviendrai pas sur le caractère ubuesque de cette dernière disposition et sur la quasi-impossibilité de son application, sauf à déployer une surveillance de masse agressive et à nier le droit à l’information de tout un chacun. Cette disposition a d’ailleurs de fortes chances d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Nous y serons attentifs.

Présenté comme un texte distinct des précédents, ce projet de loi contient en outre des dispositions similaires à celles qui figuraient dans l’avant-projet de loi d’application de la révision constitutionnelle désormais abandonnée. Il prévoit ainsi d’introduire dans le droit commun des dispositions telles que la possibilité de rétention administrative, pour une durée de quatre heures, et sur simple soupçon, de toute personne faisant l’objet d’un contrôle d’identité dans la rue, même si ses papiers sont en règle.

Cette retenue administrative, dont le procureur de la République est tenu informé, n’offre pas les mêmes garanties qu’une garde à vue. Comme nombre d’avocats et d’associations de défense des droits de l’homme, nous dénonçons vertement cette mesure de police, qui contribuera à aggraver les situations de contrôle discriminatoire et à dégrader la confiance que nos concitoyennes et concitoyens placent au quotidien dans les forces de l’ordre.

À l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire, nous nous réjouissons que les parlementaires aient renoncé aux amendements votés au Sénat, et marqués du sceau de la droite, pour détricoter la contrainte pénale et aggraver le dispositif de la rétention de sûreté.

Toutefois, nous déplorons la suppression d’une mesure financière que le groupe CRC avait fait adopter ici même, par voie d’amendement, concernant le verrou de Bercy. Il s’agissait de permettre que certaines infractions puissent être poursuivies dans la globalité de leurs implications, notamment quand la fraude fiscale et économique vise au financement d’activités criminelles dangereuses pour la sécurité publique.

Par-delà cette déception, notre inquiétude est grande concernant deux dispositions conservées par la commission mixte paritaire, qui sont particulièrement graves pour notre droit pénal.

Il s’agit, en premier lieu, de la perpétuité « incompressible », soutenue par les sénateurs de droite. Ceux-ci n’ont pas cédé sur cette disposition, qui autorisera les juges à prononcer des peines de sûreté de 30 ans, au lieu de 22 ans actuellement. Les aménagements de peine seront impossibles avant ce délai, et au-delà très strictement encadrés, une commission étant notamment chargée de recueillir l’avis des victimes.

En définitive, il s’agit de durcir le régime de la perpétuité incompressible, l’objectif étant d’entériner la certitude que les condamnés ne pourront jamais être libérés. Autrement dit, si l’on requiert la prison à vie, c’est à défaut de demander la peine de mort, sans s’interroger sur les effets de la perpétuité, sans penser que cette peine s’accomplit déjà dans des conditions légales et pratiques si restrictives qu’elle revient à une élimination sociale réelle.

« Cette peine de perpétuité réelle équivaut à une peine de mort », dénonce ainsi Denis Salas, magistrat et chercheur, qui considère qu’« il n’y a pas de différence entre une détention en attendant l’exécution et une détention en attendant la mort. »

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, organe du Conseil de l’Europe, a qualifié cette perpétuité réelle relancée par la France de « traitement inhumain », arguant qu’une peine d’emprisonnement qui n’est assortie d’aucune possibilité de libération exclut l’une des justifications essentielles de l’emprisonnement, à savoir la possibilité d’une réinsertion. La peine doit punir, évidemment, mais elle doit être tournée vers le retour progressif de la personne dans la communauté.

Enfin, comme l’explique très justement le Syndicat de la magistrature, « la perpétuité incompressible ne tarira pas la douleur des victimes. Elle ne protégera pas la société du terrorisme. Mais elle signera un renoncement majeur à un droit pénal démocratique et humaniste. »

La seconde mesure que je souhaitais évoquer, qui marque elle aussi un recul notable de notre droit pénal, est le recours aux fouilles à nu, dans les prisons, de façon aléatoire et généralisée. Monsieur le garde des sceaux, vous plaidiez pourtant, en 2009, pour l’interdiction totale des fouilles corporelles, « au nom de la dignité humaine ». Hélas, depuis lors, les sirènes sécuritaires ont sifflé, et ce droit au respect de la dignité humaine, le plus élémentaire qui soit, est bafoué, comme le dénonce également l’Observatoire international des prisons.

Pour notre part, nous protestons, comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, contre cette régression importante de notre droit au regard du respect des droits fondamentaux.

Déjà condamnée en la matière par la Cour européenne des droits de l’homme, la France pourra échapper à une censure globale, mais elle se verra assurément exposée à des condamnations au cas par cas.

Il est pourtant possible de lutter contre l’insécurité dans les prisons, mais autrement : par exemple, en réorganisant le circuit des parloirs, en augmentant les effectifs de surveillants, ou encore en développant les « portiques à ondes millimétriques », mesure prescrite par la Cour européenne des droits de l’homme et par plusieurs associations. Ces solutions sont certes coûteuses, mais il s’agit du prix de la dignité !

L’ensemble des mesures de ce texte sera non seulement inefficace au regard de l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre Daech, mais surtout inapplicable, étant donné les moyens dérisoires alloués à notre justice. Pis encore, ce projet de loi vient entacher notre droit pénal de mesures sécuritaires qui relèvent de la surenchère populiste et émotionnelle. Il en résulte que la France se dote désormais de la législation antiterroriste la plus sévère pour les justiciables et la plus souple pour l’État.

En définitive, vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ne cautionnent pas l’inscription dans notre droit commun de mesures d’exception nous conduisant à une forme d’état d’urgence permanent. De nouveau, nous voterons résolument contre ce texte.

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