Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Dématérialisation versus service public
Proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères -
Par Ian Brossat / 14 mai 2024Nous sommes aujourd’hui appelés à délibérer sur la question de la dématérialisation des actes d’état civil pour nos compatriotes vivant à l’étranger, soit une réforme phare du MEAE (Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères)
Plus précisément, il nous est demandé de nous prononcer sur la pérennisation définitive du dispositif mis en place pour gérer l’octroi des copies et extraits d’acte d’état civil, ainsi que sur la prolongation de l’expérimentation de la dématérialisation du traitement de l’état civil des Français de l’étranger, c’est-à-dire l’établissement, la mise à jour et la conservation des actes.
Le retour d’expérience sur l’expérimentation en vigueur depuis 2019 nous donne l’occasion d’apprécier les atouts, mais aussi les limites de cette démarche de dématérialisation, grâce à sa pratique par les services du ministère et les usagers de ce service public.
Nous reconnaissons bien volontiers les mérites de la dématérialisation : à l’évidence, elle apporte une solution concrète à nos compatriotes éparpillés aux quatre coins du monde ; elle facilite l’accès aux services d’état civil, alors que certains de nos concitoyens doivent parcourir de longues distances pour obtenir des documents essentiels.
Pour autant, nous ne pouvons ignorer ce qu’implique la dématérialisation d’un tel service public. Comme le souligne fréquemment la Défenseure des droits, la dématérialisation n’est pas anodine et ne peut s’effectuer sans prendre en compte ses conséquences pour tous les usagers.
Le service public doit être accessible à tous. Or, de manière générale, la dématérialisation du service public a pour écueil d’accroître des inégalités et d’isoler les personnes les plus éloignées du service public. Ainsi, la dématérialisation ne saurait s’accomplir au détriment de l’accessibilité.
À cet égard, il convient de souligner que s’ajoutent d’autres inégalités face à la dématérialisation : des régions entières du globe ont un accès limité à internet et des gouvernements étrangers restreignent l’accès à des sites essentiels, y compris ceux de nos ministères. Ces barrières ne peuvent être négligées.
Un autre enseignement doit être tiré de l’expérimentation en place depuis 2019 : les services publics, même numériques, doivent être de qualité. Or le logiciel utilisé par les services d’état civil du MEAE depuis plusieurs années a connu des défaillances importantes à plusieurs reprises, allant jusqu’à la disparition de certains actes d’état civil du système. Lors de la panne du portail de l’État en octobre 2023, les services ont rencontré une difficulté technique interrompant les demandes d’extrait ou de copie d’acte en ligne pendant plusieurs jours. En conséquence, le délai de traitement des demandes non urgentes a fortement augmenté et le nombre d’appels et de courriels a explosé.
Pour autant, rien n’a été mis en œuvre pour remédier à ces difficultés et éviter qu’elles ne se reproduisent, et le même logiciel continue à être utilisé.
Enfin, cette réforme permet de faire des économies sur les frais d’affranchissement, et c’est tant mieux. Toutefois, elles ne sauraient être réalisées sur le dos du personnel du ministère. Pourtant, depuis septembre 2021, onze équivalents temps plein ont été supprimés et le ministère a prévu d’en supprimer vingt de plus. Nous ne saurions nous en réjouir.
Or, si, à la suite de la dématérialisation, certains postes sont moins sollicités, d’autres, à l’inverse, doivent être créés pour accompagner les usagers et les agents face à ces évolutions technologiques.
Ainsi, si la dématérialisation de l’état civil du MEAE répond indéniablement à une demande et à un besoin des usagers, elle ne peut être effectuée au détriment de l’accessibilité et de la qualité du service public.