Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Il faut passer à l’état d’urgence démocratique
Prorogation de l’état d’urgence sanitaire (nouvelle lecture) -
Par Éliane Assassi / 4 février 2021Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, un état d’exception, dont la mise en œuvre est aux seules mains d’un exécutif de plus en plus restreint, va être prolongé pour une longue période, sans même un contrôle régulier et réel du Parlement.
La répétition de ces lois de prorogation - nous en sommes à la septième - peut banaliser cette atteinte sans précédent du fonctionnement démocratique de nos institutions, cette atteinte à des principes fondateurs de la République, comme le principe d’aller et venir, la liberté de réunion et bien d’autres.
Bien entendu, l’urgence, la violence de la crise que nous vivons sont d’un niveau de gravité considérable, que nous estimons à sa juste mesure, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes parfaitement responsables par notre opposition résolue à l’état d’urgence sanitaire, car nous estimons depuis le début de la crise que la démocratie, la mobilisation des institutions nationales et locales, l’intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour agir contre la pandémie de la covid-19. Nous sommes responsables, lucides, car nous constatons que la concentration du pouvoir, son exercice volontaire ne conduisent pas à prendre les bonnes décisions.
Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur le déroulé de la crise, qui met cruellement en lumière mon affirmation. Je dirai tout de même un mot sur les vaccins, car lors de notre débat en première lecture, le ministre Olivier Véran a contesté, de manière péremptoire, le retard que je décrivais. L’aplomb ne suffit pas et, comme il me l’a indiqué, il faut être factuel : combien de personnes sont-elles réellement vaccinées, combien ont-elles reçu leur rappel ? Pourquoi ce retard par rapport à nombre de nos voisins ?
Sur le plan de la démocratie toujours, pourquoi ne pas avoir eu un véritable débat quand il le fallait, au printemps dernier, sur la stratégie vaccinale et les moyens industriels à lui consacrer, afin de ne pas avoir tristement à constater aujourd’hui que notre pays n’a pu créer de vaccin et qu’il doit se résoudre à embouteiller ceux d’autres grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique ?
Oui, nous considérons que l’état d’urgence sanitaire, le dessaisissement du Parlement ont un effet contraire à l’objectif affiché. Un an après le démarrage de l’épidémie, il faut passer à l’état d’urgence démocratique. La séquence étrange que nous avons vécue depuis quelques jours nous convainc définitivement de la nécessité de réorganiser l’action en profondeur.
Après de multiples épisodes de communication gouvernementale préfigurant un reconfinement, au motif que le couvre-feu aurait des effets limités, après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, alors que les chiffres et les commentaires pessimistes ne laissaient guère de doute sur l’issue, le Président de la République a réuni vendredi en fin d’après-midi son officine, le conseil de défense. C’est le Premier ministre qui, de manière précipitée, est apparu pour donner lecture de la décision présidentielle, laquelle a visiblement pris beaucoup de monde à contrepied.
Soyons clairs, monsieur le secrétaire d’État, je ne me prononce pas ici sur le bien-fondé ou non d’un reconfinement. Ce que je conteste, ce sont les conditions de la prise de décision, l’absence de transparence sur les données qui ont conduit à une décision que les chiffres fournis le jeudi ne pouvaient certainement pas justifier.
Pourquoi le Parlement, mes chers collègues, la représentation du peuple, ne retrouve-t-il pas ses pleins pouvoirs ? Allons-nous longtemps subir l’avalanche de décisions dont la cohérence ne s’est toujours pas manifestée ? Allons-nous subir encore longtemps la gouvernance de la crise par un seul homme ?
Je l’ai dit lors de l’examen du texte en première lecture et je le répète, la crise est toujours là, peut-être plus menaçante encore, mais nous ne sommes plus dans l’urgence. Le Parlement peut décider. Il peut siéger jour et nuit pour voter la loi. Il faut maintenant mettre fin à l’état d’urgence, apprendre à vivre démocratiquement avec le virus, sans relâcher les efforts collectifs pour l’éradiquer.
Être cohérent, c’est refuser le principe même de l’état d’urgence sanitaire et donner les moyens à la démocratie de combattre efficacement la pandémie. C’est par cohérence avec ce refus que nous nous abstiendrons sur la motion tendant à opposer la question préalable de la majorité sénatoriale, qui met en scène un désaccord alors qu’elle soutient, comme le Gouvernement, le principe même de la prorogation d’un état d’exception.