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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Sortir du débat nauséabond sur l’immigration

Par / 8 novembre 2023

Loin de nous l’idée, en déposant cette motion irrecevabilité, de laisser sous-entendre qu’il n’y aurait pas lieu de débattre de l’immigration dans notre pays. Mais nous demeurons convaincus que ce n’est pas avec ce texte que nous répondrons à deux des nombreux défis de demain : l’explosion des migrations de par le monde, la lutte contre le terrorisme et plus particulièrement actuellement le terrorisme islamique radical.

Nous nous devons un discours de vérité, sans excès mais emplis de sincérité et de conviction sur ce sujet. Monsieur le Ministre, c’est dans cet état d’esprit que s’inscrit mon groupe à l’aune de l’examen des articles de votre projet de loi.
Un discours de vérité car il ne faudrait pas laisser à penser que gestion des politiques migratoires et luttes contre le terrorisme vont de paire.

Il n’y a qu’à se retourner sur la dernière décennie et les attentats dont notre pays a été victime pour constater de suite qu’immigration ne rime pas avec terrorisme. Ne laissons donc pas croire ici au Français que ce texte est un texte pour leur sécurité.

Ne laissons pas croire non plus que la France pourrait stopper les migrations de milliers de population qui fuient le dérèglement climatique, les guerres, la famine. Le drame récent de Lampédusa, le démontre.

Oui massivement ces femmes et ces hommes qui traversent le monde, au périls de leur vie le font car c’est pour eux la seule chance de survie. Une partie de notre planète subit famine et sécheresse quasi permanente. Cette réalité, ce sont les pays les plus riches de notre planète qui en sont souvent les premiers responsables :
déforestations massives, hyper urbanisation, exploitation des cours d’eau et des océans…

A ces migrations se rajoutent les nombreux conflits qui parfois bien loin des plateaux de télévision, font des milliers de morts, des milliers de prisonniers, des milliers de filles privées d’écoles, des milliers d’enfants soldats, des milliers de femmes violées. La réalité de la guerre et des dictatures est celle-ci. Et là encore c’est au péril de leur vie, à pied, derrière des camions, ou dans des bateaux de fortunes que chaque jours des milliers de personnes tentent de fuir vers un Eldorado que notre pays parmi d’autres incarne.

Et pourtant à leur arrivée l’Eldorado s’effondre, ils ont cherché à partir pour vivre, il restent ici pour survivre.
Notre devoir au pays de Voltaire et d’Hugo est de les accueillir avec humanité. Nous avons un impératif, les sortir des mains de tous les passeurs, trafiquants et exploiteurs en tout genre. Or votre texte n’y répond pas. Au contraire, il tend à stigmatiser un peu plus encore ces femmes et ces hommes qui n’ont plus rien en les rangeant dans le camp de ceux qui nuiraient à notre pays.

Mais de quelle nuisance parlons-nous ?

Pour celles et ceux qui ne l’auraient vu, je vous invite à revoir ce magnifique documentaire « nous les ouvriers », à relire notre histoire de France pour mesurer au combien bien loin d’être des nuisances, ces femmes et ces hommes ont aidé la France à se construire, à se défendre et à se reconstruire. Pêle-mêle ils étaient marocain, tunisien, algérien, sénégalais ivoirien, polonais, italien, espagnol, portugais. Ils ont tous connu l’hostilité plus ou moins mondaine du racisme ordinaire mais par le travail, par l’exigence de notre république à faire du commun et du communautarisme, ils se sont intégrés et ont su vivre ensemble en France.

Je ne fais preuve d’aucun angélisme ici, oui le monde a changé, et oui notre république, les valeurs de celle-ci ont faibli. La République est indivisible, laïque démocratique et sociale. C’est en confortant ces quatre principes que nous sortirons du débat nauséabond auquel nous assistons depuis plusieurs années dans notre pays, un débat qui a fait renoncé les gouvernements successifs, convaincus que la répression et la négation même de la réalité réglerait le problème. Mais il n’en est rien. Au contraire, à nier cette réalité nous avons affaiblis notre
république en renvoyant dans le communautarisme ces personnes-là, en les excluant de nous-même, de notre commun, en les déshumanisant. En renforçant l’emprise des marchands de sommeil, patrons voyous et autres exploiteurs de la misère humaine. Et le débat que nous aurons ici même sur l’Aide Médicale d’Etat en est un exemple frappant : priver de soin préventif des femmes et des hommes au détriment de toute politique de santé publique : c’est une catastrophe pour les individus comme pour la société.

Enfin ne soyons pas hypocrites, nous avons tous dans nos départements des parcours de réussite et pas seulement dans les métiers en tension. Nous sommes nombreux à solliciter les préfets pour des dérogations.
Alors si le monde a changé, nous devons renforcer nos politiques, nous devons renforcer le droit au travail pour ces femmes et ces hommes qui ne demandent que ça, nous devons renforcer la prise en charge de
l’apprentissage du français pour décommunautarisé ces personnes et les rendre libre de leur destinée.

Enfin nous devons créer les structures d’accueil dignes du pays des droits de l’homme à l’inverse de se satisfaire des dormeurs de rue. Ceci doit se traduire dans la loi et non en renforçant le pouvoir discrétionnaire des préfets.

Un autre sujet est celui de la lutte contre le radicalisme. Sachez Monsieur le Ministre, que nous serons toujours de ce combat-là. Nous le savons et à titre d’exemple, l’histoire algérienne des années 1990 le démontre, le radicalisme islamiste n’aime pas les progressistes car à la doctrine de Dieu, nous répondons par la doctrine de la république, à la doctrine de l’immobilisme facilitatrice de l’exploitation de l’homme par l’homme nous répondons par la doctrine de l’éducation et de construction d’un esprit critique seule facteur d’émancipation pour les individus.

Nous ne voulons pas une république uniformée mais une république qui rassemble, qui conjugue les talents de chacun au service de tous.

Quelques remarques de forme pour finir :
Dans la lignée des précédents textes, ce projet de loi participe à l’inflation normative, une loi sur l’immigration tous les dix-huit mois, ce qui est sans équivalent, et au non-respect des principes de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi alors que l’on ne dispose pas d’un « appareil statistique complet » ni de « bilan de la loi du 10 septembre 2018 qui s’assignait les mêmes objectifs » (avis du Conseil d’Etat sur le texte). Ce n’est pas respectueux du travail de la représentation national.

Ce texte encoure fortement la censure du Conseil constitutionnel. Il porte plus que jamais atteinte au droit de mener une vie familiale normale, protégé par les jurisprudences européenne, tiré de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et constitutionnelle, le Conseil le liant au droit au respect de la vie privée fondé sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il est examiné dans un contexte particulier de stigmatisation des étrangers et d’un concours Lépine des propositions les plus dures, pouvant aller jusqu’à une remise en cause de l’état de droit qui n’est pourtant pas toujours assumée y compris lorsqu’il est question pour certains acteurs politiques de bousculer une constitution à l’égard de laquelle ils sont d’ordinaire beaucoup plus prudents.

C’est un texte rempli de contradiction. Comment peut-on en même temps poursuivre un objectif d’intégration des étrangers et s’en prendre au regroupement familiale ? Comment peut-on en même temps vouloir accélérer les procédures d’expulsion et augmenter l’ensemble des délais de rétention ?

Comment peut-on en même temps durcir les sanctions contre les marchands de sommeil et ne pas accompagner davantage les victimes ?

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris nous ne partageons ni le texte du gouvernement ni celui réécrit ici par la droite sénatoriale. Cependant nous aurons jusqu’au bout le débat avec vous car nous demeurons convaincus que c’est dans le débat, dans la confrontation et dans la contradiction que nous avancerons. Tel est le sens de notre question préalable.

Et parce qu’elle sera rejetée, je veux vous dire ici que nous ne lâcherons en rien sur notre capacité à, article par article, vous faire la démonstration que d’autres solutions sont possibles sans être néfaste à notre république, et en la faisant grandir sur la route de l’humanité.

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