Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Justice : des mesures insuffisantes
Par Cécile Cukierman / 7 juin 2023Aujourd’hui nous commençons l’examen de deux projets de loi primordiaux pour la justice française.
Tout d’abord, permettez-moi de souligner que la façon dont ces deux projets de loi ont été élaborés n’est pas constructive.
Le recours à la procédure parlementaire accélérée par le Gouvernement pour l’adoption de ces textes avant l’été nous préoccupe car le Gouvernement récidive, si je peux me permettre. Nous regrettons que le dialogue social ait été négligé et nous considérons que l’absence de consultation des organisations syndicales concernant ces deux projets d’envergure est difficilement compréhensible.
Le groupe CRCE déplore la tendance actuelle visant à élaborer des normes législatives et réglementaires à marche forcée, sans prendre le temps d’une réflexion globale et sans concertations des acteurs concernés. En procédant ainsi nous aboutissons à la multiplication de textes mal ficelés, vecteurs d’une grande insécurité juridique et de difficultés d’application. Aussi, nous rejoignons les rapporteurs de ces deux projets de loi sur le constat qu’ils ne constituent qu’une traduction approximative des conclusions du comité des États généraux de la justice. Le groupe CRCE est donc sur la réserve.
Sur le fond du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, celui-ci affiche l’objectif d’une justice plus rapide, plus claire, en somme une justice moderne.
Si nous ne pouvons que partager les objectifs annoncés, nous dénonçons l’absence de dispositions ayant vocation à endiguer la surpopulation carcérale. Le projet de loi se contente de prévoir la construction de 15 000 places de prisons d’ici 2027. Cela est définitivement insatisfaisant. Il s’agit d’un appel d’air à l’incarcération. Malgré les demandes, les tribunes, les alertes, rien n’a été envisagé sur la régulation carcérale. Rien non plus sur la qualité du suivi en milieu ouvert, l’assignation à résidence avec surveillance électronique devient l’alternative à l’incarcération alors qu’il reste contraignant, désocialisant et ne constitue pas une solution pour la réinsertion. N’oublions pas qu’aujourd’hui le nombre de détenus est record et les conditions en détention sont toujours indignes, la France ne peut faire avec.
Oui ce débat est exigeant, il nous oblige à sortir des postures, des réponses populistes tant attendues par une certaine presse en soif de vengeance plus que de justice, alors même que c’est de raison, de temps et de courage dont nous avons besoin pour mobiliser la part de raison et d’humanité présente en chacun de nous plus que sa part d’animalité.
Avec humilité mais volontarisme politique, notre groupe décide d’être le relais législatif de ces exigeances en introduisant dans le projet de loi et ce par voie d’amendement, la proposition de loi de notre présidente Eliane Assassi sur la surpopulation carcérale. Le sens de la peine doit être questionné et nous devons garder en tête que la dignité n’est pas le prix de la sanction pénale. La violence que porte notre société nécessite de s’interroger sur notre politique carcérale afin que la préservation des droits fondamentaux de chacun ne soit jamais une option.
Aussi, nous considérons que le recrutement prévu de 1500 magistrats et 1500 greffiers d’ici 2027 est certes une réponse apportée par le Gouvernement aux importantes lacunes d’effectifs, pourtant cette réponse est insuffisante. Nous ne pouvons par ailleurs qu’exprimer nos réserves concernant le recrutement massif d’attachés de justice avec des responsabilités étendues, des "urgentistes" de la justice qui ne combleront pas le manque de magistrats au sein de l’institution judiciaire et ne peuvent être une solution sur le long terme. La justice est un service public exigeant, qui ne saurait se passer de véritables magistrats formés aux fonctions difficiles qui sont les leurs.
De plus, nous nous opposons à certaines dispositions relevant de la réforme de la procédure pénale, des dispositions que nous avons particulièrement amendées.
Enfin, le groupe CRCE ne peut que s’opposer aux dispositions touchant la réforme, asynchrone, de la justice commerciale proposée par le projet.
En ce qui concerne le projet de loi organique « relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps Judiciaire ».Présenté dans son exposé des motifs comme l’une « des plus importantes réformes statutaires des magistrats depuis 1958 », ce projet de loi se veut ambitieux dans ses dispositions visant trois objectifs principaux : l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur, la modernisation de l’institution judiciaire tant dans sa structuration que dans son fonctionnement et la protection et la responsabilisation accrue des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.
Si nous partageons en tous points certains des objectifs énoncés par le Gouvernement, force est de constater, à la lecture du projet de loi, que ce texte déçoit. Pas seulement le groupe CRCE mais bon nombre des représentants du corps judiciaire.
D’une part, il valorise les parcours professionnels des magistrats qui font le choix d’un déroulement de carrière dans les fonctions d’encadrement au détriment de la grande majorité des magistrats qui décident d’exercer exclusivement des fonctions juridictionnelles et n’ont pas d’appétence pour les fonctions d’encadrement ou de coordination de service et encore moins pour l’exercice professionnel au sein de la haute hiérarchie judiciaire.
D’autre part, sur le recrutement, le projet de loi organique apporte des changements majeurs en se fondant sur l’objectif d’une plus grande ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur. Pourtant, cela est moins l’ouverture vers l’extérieur que la simplification des voies de recrutement et l’amélioration de la formation puis l’intégration des magistrats nouvellement recrutés auxquelles il faut s’atteler.
À cet égard, le projet de loi comporte de maigres avancées. Nous souhaitons rappeler que la magistrature ne doit pas devenir une voie de repli. La philosophie et la pratique de la magistrature n’est pas la même que celle de l’avocature. Des philosophies qui guident des choix de carrière et qu’il convient de respecter.
Face à ces nombreux constats, nous faisons confiance au travail en séance et réservons notre vote à l’issue de nos travaux.