Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
La Ve République est à bout de souffle
Intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir -
Par Éliane Assassi / 14 octobre 2021Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, nous dénoncions les méthodes employées par le Gouvernement afin de faire passer des réformes de grande ampleur par ordonnances, sans même en débattre au sein du Parlement.
Aujourd’hui, le présent texte nous invite encore à dénoncer ces empiétements, qui participent au déclassement de notre rôle de parlementaires. Il faut en remercier nos collègues du groupe du RDSE.
Si, comme le prévoit l’article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement », le régime de la Ve République ne permet pas d’assurer réellement ce rôle, même après la révision constitutionnelle de 2008, dont la mise en œuvre n’est que partiellement respectée. Nos pouvoirs d’information et d’investigation sont essentiels, mais la reconnaissance d’un outil de contrôle de la pleine application des lois votées au sein de notre hémicycle manque.
La crise a exacerbé cette habitude du Gouvernement de tenir à l’écart le Parlement, en méprisant le processus législatif et la représentation nationale démocratique. Alors que les lois nécessitent des règlements d’application pour entrer effectivement en vigueur, il est fréquent que le Gouvernement ne respecte pas l’intention du législateur en s’abstenant de prendre ces décrets. Le Parlement n’ayant pas de moyens reconnus officiellement pour contraindre l’exécutif, il dépend souvent du bon vouloir de ce dernier, ce qui n’est pas acceptable. La motion de censure, quasiment impossible à mettre en œuvre en raison du fait majoritaire, aggravé par la proximité des élections présidentielles et législatives, est notre seule arme.
Le Gouvernement profite de ce déséquilibre en sa faveur. En 2020, le taux global d’application des lois a reculé, passant de 72 % à 62 %. Ce taux est moins élevé pour les textes issus de propositions de loi que pour ceux issus de projets de loi.
En même temps que l’exécutif use à foison de la procédure accélérée, des ordonnances qu’il ne prend même plus la peine de ratifier, les délais de publication des textes d’application de la loi s’allongent. Le processus législatif ordinaire respectant les prérogatives du Parlement est de moins en moins la norme.
Le juge reconnaît la faculté à des justiciables d’obtenir la publication d’actes d’application de la loi en engageant la responsabilité du Gouvernement face à la méconnaissance de ces obligations. Ce pouvoir d’injonction peut être utilisé si et seulement si un intérêt à agir est reconnu. Malgré leurs missions constitutionnelles, le juge administratif ne reconnaît pas aux parlementaires une présomption d’intérêt à agir en cas d’atteinte aux prérogatives du Parlement. Cette situation aboutit à des jugements incongrus, où l’intérêt à agir de parlementaires se fonde sur leur qualité de consommateur de produits pétroliers, d’actionnaire d’autoroute ou encore de téléspectatrice, comme cela fut le cas en son temps pour notre camarade Nicole Borvo Cohen-Seat.
Nous pensons, comme le professeur de droit Olivier Renaudie, que la réserve du Conseil d’État est dépassée. C’est pourquoi nous abondons dans le sens de cette proposition de loi, qui ne fait qu’aménager le recours pour excès de pouvoir déjà existant, afin de nous donner cet intérêt à agir contre le refus de prendre des mesures réglementaires d’application de la loi, ou encore contre les ordonnances qui sortent de leur champ d’habilitation.
La commission des lois a amélioré ces aspects du texte. Cependant, nous regrettons le recul consistant à restreindre le bénéfice de ce recours aux seuls présidents des assemblées parlementaires et des commissions permanentes. Nous ne comprenons pas que soient exclus du dispositif les groupes d’opposition et minoritaires.
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
Mme Éliane Assassi. Ce rééquilibrage institutionnel ne peut être un moyen dans les mains de certains, alors que nous avons tous la même qualité de parlementaire et les mêmes comptes à rendre aux citoyens.
La Ve République est à bout de souffle. L’hyperprésidentialisation et le musellement du Parlement empêchent un exercice démocratique du pouvoir. Cette proposition de loi tire en quelque sorte les conséquences de ce constat.
Pour notre part, nous défendons un changement de régime constitutionnel bien plus global. Néanmoins, si notre amendement visant a minima à faire bénéficier de ce dispositif les présidents de groupes politiques des assemblées, ou un autre amendement qui s’en approche est adopté, nous voterons ce texte. Sinon, nous nous abstiendrons.