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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La vie privée de nos concitoyens se trouve réduite à peau de chagrin

Renseignement : conclusions de la CMP -

Par / 23 juin 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement s’apprête à adopter définitivement le projet de loi relatif au renseignement, un texte d’une importance capitale qui a été assez peu discuté, à notre avis, dans l’ensemble de la société.

La navette parlementaire, qui aurait peut-être laissé aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à un équilibre, délicat à trouver, entre sécurité et liberté, a été évincée par la procédure accélérée, alors qu’aucune urgence ne le justifiait, car le projet de loi ne fait qu’inscrire dans le droit des pratiques existantes, mais illégales, et qui ont montré leur inefficacité dans les dernières affaires de terrorisme.

Les modifications à la marge que la commission des lois du Sénat a apportées au projet n’en ont, hélas ! pas modifié l’esprit ; permettez-moi de ne pas partager l’angélisme de certains des intervenants précédents, qui ont vanté les avancées considérables réalisées par notre assemblée.

Je ne reviendrai pas sur le détail du texte : les motifs élargis justifiant la surveillance, la multiplication des techniques, le rôle accessoire de la prétendue commission de contrôle et les pleins pouvoirs à l’exécutif pour orchestrer ce que nous appelons une surveillance de masse. J’insiste en revanche sur le fait que l’intégration de techniques de profilage et d’algorithmes de prédiction inversera le paradigme de la surveillance sur le territoire français : au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on partira des données pour trouver la cible. La vie privée de nos concitoyens se trouvera ainsi réduite comme peau de chagrin. La possibilité même de lever l’anonymat des données montre que celles-ci sont bien identifiantes.

Contrairement à ce qui est affirmé, il ne s’agit pas de débusquer des « intentions terroristes ». Dès lors, quelle est la fonction de ce projet de loi autorisant une collecte massive des données personnelles ? Pour vous, monsieur le ministre, le droit à une vie privée n’est pas une liberté fondamentale, comme vous l’avez expliqué le 14 avril à l’Assemblée nationale. Le nécessaire consentement des populations à l’abolition de leurs libertés explique pourquoi celle-ci prend la forme du droit.

Vous vous posez ainsi en défenseur d’une société panoptique, dans laquelle chacun se sent contrôlé et se regarde être regardé. Ce projet n’est pas nouveau : il a émergé dès la naissance du capitalisme et a été théorisé à l’époque par Jeremy Bentham, avec son modèle d’architecture carcérale appelé « Panopticon ».

Grâce à l’installation de boîtes noires, le principe de « voir sans être vu » est maintenant généralisé à l’ensemble de l’internet. Comme l’écrit le sociologue Jean-Claude Paye, auteur de L’Emprise de l’image : « Bentham montre que la présence des yeux de l’autre n’est pas nécessaire à l’omniprésence du regard intérieur. En l’absence de perception, l’individu est réduit à se regarder être regardé. Le sujet est aboli et se confond avec l’objet-regard, avec le désir de l’Autre. Il devient l’objet de sa jouissance, ici objet de la toute-puissance de l’État. »

À partir de ce constat, monsieur le ministre, permettez-nous de douter de la sincérité de votre émotion et de celle de l’ensemble du Gouvernement quant à l’amendement du député Jean-Jacques Urvoas, déposé subrepticement en commission mixte paritaire. Se disant en quelque sorte frustré par le texte résultant des deux lectures – les députés ont accepté nombre de garanties exigées par le Sénat –, Jean-Jacques Urvoas a fait adopter mardi dernier un amendement sorti tout droit du chapeau. Soulignons que, pour qu’il soit adopté, il a fallu que des sénateurs le votent, puisque les députés n’ont pas la majorité à eux seuls.

Il s’agit, avec cette disposition de dernière minute, de laisser les services de renseignement surveiller les étrangers de passage, certes après avis du Premier ministre, mais sans contrôle de la CNCTR. En clair, il s’agit de poser un micro dans la chambre d’un diplomate, d’un chef d’État ou d’un journaliste, de glisser une balise sous une voiture, de siphonner un disque dur ou d’épier discrètement des conversations téléphoniques sans réel contrôle. L’émulation entre le Gouvernement et les parlementaires socialistes a donc été d’une rare efficacité.

L’ajout de cette mesure aggrave un peu plus le danger représenté par le projet de loi. L’actuel président de la CNCIS, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, Jean-Marie Delarue, a vertement condamné cet ajout, en dénonçant un alignement du texte sur la « conception américaine », qui « a permis aux agences américaines d’accumuler sur ces étrangers les données massives que l’on sait » et malmène le principe constitutionnel d’égalité sur le sol français. L’appel du conseiller d’État à gommer cette disposition semble avoir été entendu. Je souhaite que nous l’entendions à notre tour en adoptant l’amendement que vous nous proposez, monsieur le ministre.

On appréciera le caractère quelque peu sélectif de l’émotion du Gouvernement, puisqu’il n’est pas gêné par les autres scénarios du projet de loi qui évincent tout autant l’avis préalable de la CNCTR ; je pense aux mesures commandées par l’urgence, mais aussi et surtout aux mesures de surveillance à l’échelle internationale, qui pourraient aussi bien viser des nationaux dès lors qu’ils échangent avec une personne en dehors de nos frontières ou même utilisent un service en ligne non national.

Nous sommes convaincus que, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’avait précisé dans l’arrêt Klass de 1978, « les États ne sauraient, au nom de la lutte contre le terrorisme, prendre n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée », car le danger serait de « saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre ». La commission mixte paritaire a adopté son texte à une très large majorité, mais pas à l’unanimité. Vous l’aurez compris, les membres de notre groupe voteront contre ce texte.

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