Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Le gouvernement et la majorité sénatoriale continuent à privilégier une approche sécuritaire de la crise
Vigilance sanitaire -
Par Éliane Assassi / 28 octobre 2021Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons donc aujourd’hui du onzième projet de loi visant à instaurer des mesures sanitaires draconiennes dans notre pays en réponse à la crise sanitaire due à l’épidémie de covid-19.
Si l’intitulé du texte qui nous est soumis fait référence non plus à l’état d’urgence, mais à la vigilance sanitaire, il s’agit pourtant bel et bien, et malgré cette tentative de recourir à une sémantique moins anxiogène, des mêmes dispositifs d’urgence que ceux qui ont été régulièrement renouvelés ces dix-huit derniers mois. Je veux parler de ces mesures tendant à accorder au Premier ministre, au ministre de la santé et, sur habilitation, aux représentants de l’État dans les territoires des pouvoirs de police administrative exorbitants du droit commun.
Ces divers régimes juridiques, soit d’état d’urgence, soit d’état d’urgence en demi-teinte, ont conduit à une limitation des libertés individuelles et collectives sans précédent : liberté de mouvement, liberté de manifester et même, à un moment donné, droit à un procès équitable.
Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose, pour l’essentiel, de proroger l’application du régime de gestion de la crise sanitaire et du passe sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022, et de reporter la date de caducité du régime de l’état d’urgence sanitaire à la même date.
En parallèle, M. Bas nous propose un nouveau régime, applicable entre le 16 novembre 2021 et le 28 février 2022, et qui remplacerait le régime actuel de sortie de l’état d’urgence, tout en s’en inspirant largement, avec des prérogatives néanmoins plus restreintes.
Ce nouveau régime permettrait tout de même à l’exécutif de mettre en œuvre le passe sanitaire dans les départements où le taux de vaccination de la population est inférieur à 75 %, mais où l’on constate une circulation active du virus, mesurée par un taux d’incidence élevé.
M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai été compris ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. La séquano-dionysienne que je suis vous a bien compris, monsieur Bas ! (Nouveaux sourires.)
Un régime plus dur complète celui que je viens d’évoquer. Il prévoit un second niveau de prérogatives plus attentatoires aux libertés, dont le Gouvernement pourrait disposer dans certains territoires pour faire face à une dégradation significative de la situation sanitaire.
Selon nous, si le texte de la commission est bien plus mesuré que celui du Gouvernement – preuve en est la suppression des dispositions visant à créer un traitement spécifique des données de santé dans les établissements scolaires – et s’il est nettement plus respectueux de la représentation nationale, puisqu’il prévoit un contrôle de l’action de l’exécutif digne de ce nom,…
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
Mme Éliane Assassi. … il n’en demeure pas moins qu’en prolongeant la possibilité de recourir à de tels dispositifs le Gouvernement, comme la majorité sénatoriale, continue à privilégier une approche sécuritaire de la gestion de crise et fait le choix de proposer une politique disciplinaire désormais banalisée au nom de la prévention sanitaire. (M. Vincent Capo-Canellas s’exclame.)
Alors que l’épidémie reste active, même si la situation sanitaire s’est nettement améliorée, notamment grâce à la vaccination massive de la population, on ne peut pas continuer à concentrer les pleins pouvoirs entre les mains du Gouvernement, comme le permet cet état d’urgence sanitaire.
Voici ce que le conseil scientifique faisait observer le 5 octobre dernier : « Contrairement aux précédentes poussées épidémiques, la proportion de Français vaccinés est aujourd’hui très élevée. » Il tenait ainsi à « alerter sur le risque d’une banalisation du passe sanitaire et des mesures de contrôle associées ». Son avis du 6 octobre, le lendemain donc, était beaucoup plus circonstancié, ce qui ne peut manquer de nous étonner, voire de nous inquiéter.
En outre, la prolongation de toutes ces mesures nous semble inutile car, si la situation venait à se dégrader, même subitement, le Gouvernement pourrait parfaitement convoquer le Parlement. En effet, malgré une suspension des travaux prévue à compter du 28 février, nos assemblées sont appelées à siéger en session ordinaire jusqu’au 30 juin prochain.
S’agissant de la reconduction du passe sanitaire, ce qui nous inquiète, c’est l’accoutumance de notre pays à ce type de dispositif. Sera-t-il recyclé dans les années à venir pour prévenir d’autres épidémies, par exemple ? Sera-t-il décliné pour les jeunes enfants dont les parents sont soumis à plusieurs obligations vaccinales ? Quel format donnera-t-on à ce genre de passe à l’avenir ? On peut aujourd’hui le présenter au format papier ; peut-être exigera-t-on demain que nous nous fassions photographier grâce à cette prometteuse technologie de la reconnaissance faciale…
On connaît bien le risque d’« effet cliquet » de ce genre de mesure. Le danger est réel si l’on en juge par notre législation récente. En outre, il est toujours difficile, vous le savez bien, de rétablir les libertés perdues.
Nous avons aujourd’hui toutes les raisons de nous inquiéter. Et ces raisons, parmi tant d’autres, nous incitent à mettre fin à cette mesure draconienne qui n’aurait jamais dû s’appliquer dans notre pays. Après tout, d’autres États européens, voisins de la France, sont bien parvenus à un taux de vaccination satisfaisant, comparable au nôtre, sans recourir à un dispositif de cette nature.
Vous l’aurez compris, nous voterons contre le texte de notre commission, qui reste une copie, certes améliorée, de la version absolument inacceptable présentée par le Gouvernement. Nous détaillerons point par point nos arguments au cours du débat.