Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Nous demandons l’amnistie
Proposition de loi pour amnistier les faits commis dans le cadre de conflits du travail -
Par Silvana Silvani / 31 octobre 2023Je débuterai mon intervention en évacuant de suite un malentendu : une loi d’amnistie ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs fondant notre ordre républicain. Par cette proposition de loi, nous ne remettons pas en cause les jugements passés, et donc l’action de la justice, puisque nous ne revenons pas sur les peines ou les amendes prononcées.
Nous demandons seulement que les femmes et les hommes condamnés voient leur sanction amnistiée.
Cette loi d’oubli et d’apaisement est une tradition qui remonte aux lois constitutionnelles de 1875, qui vit l’usage d’ouvrir chaque législature par une mesure de clémence visant à la réconciliation nationale.
En ces murs, le sénateur Victor Hugo plaida le 22 mai 1876 pour l’amnistie des Communards.
Il développait, je cite, que « les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues et éprouvent un double besoin, le besoin d’espérer et le besoin d’oublier (…) Je demande l’amnistie. Je la demande dans un but de réconciliation. »
L’amnistie des Communards prit finalement effet le 14 juillet 1880, visant à permettre au peuple révolutionnaire de Paris de réintégrer le camp de la République.
Le 24 mai 1936, lorsque 600 000 manifestants montent au Mur des Fédérés pour commémorer la Commune, le cortège demande l’amnistie des militants syndicaux et des antifascistes.
Le 7 juin, l’amnistie figure parmi les premiers projets de loi déposés, aux côtés de la semaine des 40 heures et des congés payés, par le gouvernement du Front Populaire.
Le 23 mai 1968, enfin, le Sénat vote l’amnistie pour les infractions et les sanctions conséquentes à des fautes disciplinaires et professionnelles commises à l’occasion de ce que l’on appela alors « les évènements. »
Nous le voyons à travers ce bref rappel, à différentes époques, lorsqu’un événement social d’une ampleur exceptionnelle survient, le législateur a su considérer que les sanctions consécutives à l’action militante ne devaient pas demeurer afin de faciliter la réconciliation nationale.
Cette proposition de loi concerne les infractions punies de moins de 10 ans d’emprisonnement commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives.
Elle ne concerne en aucun cas les « casseurs » présents dans les manifestations.
Nous proposons également d’amnistier les sanctions disciplinaires.
L’inspection du travail sera donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits soient retirées des dossiers des intéressés.
Notons, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a validé cette possibilité, dans une décision du 20 juillet 1988, en indiquant que le législateur pouvait « étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social ».
Par ailleurs, comme dans la loi du 20 juillet 1988, nous demandons la réintégration des salariés licenciés.
Nous proposons enfin de supprimer les informations nominatives et les empreintes génétiques collectées sur les militantes et les militants lors des mobilisations sociales et notamment lors des manifestations contre la réforme des retraites. Je rappelle que ce fichage initialement réservé aux délinquants sexuels a été élargi à de nombreux domaines dont la dégradation de biens, ce qui signifie l’assimilation des syndicalistes à des criminels !
Notre groupe parlementaire a donc fait le choix de s’inscrire dans cette longue tradition sociale et républicaine.
Les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 protègent pourtant l’action collective qui est aujourd’hui attaquée de toutes parts.
Ce droit inhérent à toute démocratie, reconnue par notre Constitution est remis en cause par la répression du gouvernement contre les militantes et les militants mais également remis en cause par les stratégies d’intimidation utilisée par le patronat dans les entreprises.
L’intimidation prend la forme du chantage à l’emploi, les menaces physiques par des barbouzes recyclés en milice patronale comme du temps du SAC.
Avec les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE-K, je m’insurge contre ces procédures qui criminalisent l’action revendicative et attaquent en plein cœur le droit de résister. J’ai une pensée à toutes ces femmes et tous ces hommes victimes de leur engagement militant en faveur des autres.
Je pense à Alexandre Pignon, secrétaire départemental de la Fédération des activités postales et de télécommunications des Pyrénées-Orientales et postier à Perpignan visé par une plainte pour entrave à la liberté de travail.
Je pense aux 10 salariés de l’entreprise Sonelog dans le Vaucluse qui ont été licenciés pour faute lourde après s’être mis en grève pour exiger de meilleures conditions de travail et une hausse des salaires.
Je pense également à Loris Tabureau, employé de restauration à Disneyland Paris licencié en raison de son engagement lors de la grève du parc d’attraction au printemps dernier en faveur d’une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail.
Je pense également à cette employée de 23 ans du Leclerc de Vallauris dans les Alpes Maritimes renvoyée pour avoir exercé son droit de grève et avoir manifesté son opposition à la réforme des retraites.
Je pense enfin à Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale des Mines et de l’Energie de la CGT convoqué le 6 septembre dernier au commissariat.
Lors d’un rassemblement de soutien, le responsable du syndicat Force Ouvrière de Haute-Loire, a dénoncé un contexte de répression avec 90 conseils de disciplines recensés dans le département.
Cette répression est vécue durement par les délégués syndicaux qui subissent des mises au placard, des refus de promotion et du harcèlement moral.
Au total, près de 1 000 militantes et militants sont aujourd’hui sous la menace de licenciements, de sanctions disciplinaires, de convocations ou de poursuites judiciaires.
Mais que reproche-t-on à ces femmes et ces hommes ?
On leur reproche d’avoir défendu un idéal qui les dépasse, des convictions en faveur d’une société plus juste, plus égalitaire, plus humaniste, ou plus écologiste. Ces femmes et ces hommes qui s’opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société sont considérés aujourd’hui comme des délinquants, des criminels !
Mais qu’ont-ils fait, si ce n’est manifester leur exaspération en usant de leurs droits à la parole et la résistance ?
Selon le 12ème rapport du défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail consacré au baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi : « les pratiques antisyndicales, parmi lesquelles les discriminations, ne sont pas un phénomène isolé, tant dans le secteur privé que public ».
Ainsi, 46 % des personnes interrogées estiment avoir été discriminées du fait de leur activité syndicale, 67 % des syndiqués perçoivent leur engagement comme un risque professionnel. Et 4 fois sur 10, celles et ceux ayant tenté de faire cesser une situation discriminante liée à l’activité syndicale estiment avoir fait l’objet de mesures de rétorsion.
Ces chiffres illustrent la persistance de la négation de la légitimité de l’engagement syndical par une partie du patronat, qui met en place des stratégies antisyndicales afin de dissuader les salariés de se syndiquer et de s’organiser collectivement.
Le gouvernement n’est pas en reste en la matière puisqu’en réponse aux manifestations, aux concerts de casseroles, vous avez publié des interdictions préfectorales, et déployé l’ensemble de la panoplie des munitions contenues dans les armureries de la police.
A l’usage disproportionné de la force à l’encontre des jeunes mobilisés dans leurs lycées ou dans leurs universités contre la réforme des retraites se sont ajouté des sanctions administratives et pédagogiques.
Dans les lieux de travail comme dans les lieux d’études, la répression n’a pas sa place.
Ces femmes et ces hommes en lutte sont ainsi considérés comme des fauteurs de troubles à l’ordre public.
Mais qui sont les fauteurs de troubles ?
Les patrons voyous, qui refusent de payer leurs impôts en France et délocalisent les entreprises pour satisfaire les intérêts des actionnaires ou ces femmes et ces hommes qui luttent pour défendre leurs droits, pour garder leur dignité, pour préserver leur environnement ?
Mes chers collègues, trop de sanctions injustes ont été infligées dans les entreprises dans le seul but d’éteindre toute velléité de contestation.
En conclusion, avec ce texte nous vous proposons d’amnistier les faits commis dans le cadre de conflits du travail, d’activités syndicales ou revendicatives dans l’entreprise, ou encore de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics.
La majorité sénatoriale devrait se souvenir qu’en 2002 lorsque la droite était au pouvoir, vous avez fait adopter une loi d’amnistie qui couvrait les infractions commises dans le cadre de conflits du travail et de mouvements revendicatifs.
Monsieur le ministre, la liberté de manifester et la liberté syndicale sont des éléments nécessaires dans une démocratie, car elles permettent au débat de s’enrichir et à une partie de l’opinion de s’exprimer.
Le rôle du ministère du travail est d’agir pour protéger les syndicalistes plutôt que d’adresser comme vous l’avez fait un « vade-mecum sur l’autorisation administrative des licenciements pour faits de grève des salariés protégés ou de représentants du personnel ».
Pour notre part, nous avons toujours été aux côtés de celles et ceux qui luttent pour faire respecter leur droit, pour une société plus juste, plus solidaire.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous invitons à adopter notre proposition de loi.