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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Pilier de l’ère de la suspicion, ce texte représente une grande menace pour la sauvegarde de nos libertés

Renseignement : explication de vote -

Par / 9 juin 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je l’ai évoqué en introduction de nos discussions, le sujet en cause aurait largement justifié que la navette parlementaire laisse aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à un équilibre, certes délicat à trouver, entre sécurité et liberté. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond à la hauteur de l’enjeu, que la procédure accélérée ne permet pas.

Sur la forme, nous regrettons que le débat que nous avons eu ait été morcelé entre différentes séances, ce qui nous a obligés à jongler d’un article à l’autre – voire d’un alinéa à l’autre au sein d’un même article – et qu’il ait été intercalé, la semaine passée, entre la discussion d’autres textes.

Sur le fond, malgré toute la détermination du Gouvernement à nous démontrer le bien-fondé des dispositions qu’il souhaite mettre en place, nous n’en sommes pas convaincus.

Les modifications que la commission des lois a apportées au projet de loi n’en modifient pas l’état d’esprit. En intégrant techniques de profilage et algorithmes de prédiction, le paradigme est inversé en matière de surveillance : au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on part des données pour trouver la cible.

Le présent projet relatif au renseignement est essentiellement légitimé par sa référence au terrorisme, mais il a un contenu beaucoup plus large, puisqu’il permet une surveillance dans de multiples champs : les intérêts économiques et scientifiques français, ceux de la politique étrangère, la criminalité et la délinquance organisée, les fameuses violences collectives.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à de potentielles dérives de surveillance de groupes ou d’individus entendant contester les politiques publiques ; on peut penser, dès lors, aux organisations syndicales, mais pas seulement.

En dénonçant certaines pratiques illégales ou amorales d’entreprises nationales touchant à des questions environnementales ou de santé publique, par exemple, ainsi qu’à tout ce qui a trait à l’énergie, à la distribution de l’eau, aux nouvelles technologies ou à l’armement, les groupes de consommateurs et les lanceurs d’alerte sont également dans le collimateur, car susceptibles, de fait, de nuire aux « intérêts économiques de la France ».

À l’inverse, « la prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique dans le respect du droit de l’information » que nous vous proposions d’introduire par voie d’amendement comme raison justifiant l’usage de techniques de surveillance intrusives était un motif précis et légitime, qui aurait permis de prévenir largement les risques de dérives vers la surveillance politique illégitime des citoyens. Hélas, cet amendement, comme tous les autres du groupe CRC, n’a pas trouvé d’écho, ou alors très faible, dans cet hémicycle.

M. Hubert Falco. La proposition n’était pas bonne !

Mme Cécile Cukierman. Parallèlement à l’invocation de motifs justifiant le recours aux services de renseignement, la France se dote d’un arsenal de techniques intrusives.

Les boîtes noires surveilleront les « comportements suspects » via la surveillance de toutes les données, y compris celles qui sont relatives à des personnes considérées comme non suspectes, donc tout le monde. Les algorithmes permettront de pratiquer cette surveillance en repérant les personnes qui sont en contact avec d’autres elles-mêmes en lien avec d’autres personnes qui sont en contact avec une personne potentiellement louche...

M. Hubert Falco. On peut avoir des avis contraires aux vôtres !

Mme Cécile Cukierman. « Le système de contrôle permanent des individus est une épreuve permanente, sans point final », « une enquête, mais avant tout délit, en dehors de tout crime [...] ». « C’est une enquête de suspicion générale et a priori de l’individu qui permet un contrôle et une pression de tous les instants, de suivre l’individu dans chacune de ses démarches, de voir s’il est régulier ou irrégulier, rangé ou dissipé, normal ou anormal ». Il semblerait que l’on tende vers cette « société punitive » que décrivait Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1972 et 1973.

Pilier de l’ère de la suspicion, ce texte représente une grande menace pour la sauvegarde de nos libertés individuelles, et une grande menace, aussi, pour plusieurs professions, notamment pour les journalistes.

De fait, ces pratiques de surveillance indifférenciée vont tarir les sources, car leur anonymat ne pourra désormais plus être garanti. En effet, comment un IMSI catcher reconnaîtra-t-il si un individu s’apparente, ou non, à un journaliste avant d’intercepter ses communications électroniques ?

M. Loïc Hervé. Bonne question !

Mme Cécile Cukierman. Je vous le rappelle, mes chers collègues, la Cour européenne des droits de l’homme avait précisé, dès l’affaire Klass de 1978, que les États « ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre […] le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée » risquant « de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre ».

Au moment où le Congrès américain adopte un texte qui, pour la première fois, écorne le Patriot Act, force est de constater que, sans jouer dans la même catégorie, les services de renseignement français et américains convergent. D’ailleurs, dans une tribune envoyée à quelques médias, dont Libération, Edward Snowden nous met en garde :...

M. Bruno Sido. C’est vrai qu’il est à Moscou...

Mme Cécile Cukierman. « En dehors des États-Unis, les chefs des services secrets en Australie, au Canada et en France ont exploité des tragédies récentes afin d’essayer d’obtenir de nouveaux pouvoirs intrusifs, malgré des preuves éclatantes que ceux-ci n’auraient pas permis d’empêcher ces attaques. »

Car, évidemment, au-delà du champ d’application de la surveillance et du recul de nos libertés individuelles, auxquels certains, n’ayant rien à cacher, se disent prêts à renoncer, se pose la question de l’efficacité d’un tel arsenal.

Lors de l’examen du texte, le rapporteur, M. Bas, nous a parlé d’une « botte de foin aimantée » : la formule est révélatrice de la grande confusion qui règne autour de l’efficacité des dispositifs proposés. Et pour cause, tous les professionnels du secteur s’accordent à dire que ceux-ci ne permettront de déjouer aucun attentat. Des informations relevant de la menace seront captées, certes, puisque toute information électronique peut désormais l’être. Mais comment s’effectuera le tri ?

Le projet de loi relatif au renseignement, c’est donc l’illusion du risque zéro...

Nous avons tendance à penser, quant à nous, que nos concitoyens ne sont pas dupes, comme en témoignent les 138 000 signatures recueillies en faveur de la pétition contre ce texte. Ces signataires posent en effet une question très pertinente : qui nous protégera contre ceux qui nous protègent ? Ils expriment aussi, via cette pétition, l’inquiétude de nombre de nos compatriotes.

Ultime crainte que soulève ce projet de loi... Car c’est en répondant à cette simple question – qui surveille les surveillants ? – que la loi devrait s’assurer de l’équilibre entre surveillance massive et protection des libertés individuelles. Or il n’en est rien, encore une fois malgré les tentatives de la commission des lois de conférer davantage de pouvoir et de légitimité à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, qui demeure une commission consultative sans réel pouvoir de contrôle.

Pour ce qui concerne les dispositions de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous pensons qu’il s’agit là de la moindre des choses. Nous sommes cependant opposés aux conditions draconiennes imposées par la révision constitutionnelle de 2008 quant au contrôle effectif des nominations réservé au Parlement. C’est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote de ce texte.

Enfin, vous l’aurez compris, tous les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre le projet de loi relatif au renseignement. Nous continuerons à nous mobiliser contre ce texte avec l’ensemble des acteurs et des citoyens, et lors de la commission mixte paritaire, et suivrons très attentivement les recours présidentiel et parlementaire devant le Conseil constitutionnel.

À cet égard, je vous informe que les sénateurs du groupe CRC s’adresseront également de manière officielle au Conseil constitutionnel dans une lettre publique, notamment pour s’enquérir du bien-fondé du déploiement des techniques de surveillance de masse. Car dans les faits, c’est vers cela que nous allons !

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