Lois
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"Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent"
Commémoration de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire du 9 novembre 2024 -
Par Cécile Cukierman / 8 novembre 2024Quatre-vingts ans ont passé, mais l’histoire est là, toujours présente, imprégnant nos débats d’aujourd’hui.
Il y a quatre-vingts ans, l’Assemblée consultative provisoire ouvrait ses travaux ici même, au Palais du Luxembourg, sous les drapeaux des forces alliées, qui lançaient alors un ultime et terrible assaut contre le IIIe Reich, contre la barbarie nazie.
C’est le général de Gaulle lui-même qui, le 9 novembre 1944, inaugura les travaux de cette assemblée dont la constitution marquait la renaissance de la démocratie.
Il faut se transporter dans le temps, en cet automne de 1944 ; imaginer la situation de notre pays, de l’Europe et même du monde entier, confronté à une violence inouïe.
Sur notre continent, les morts se comptent par millions ; les populations civiles ont été décimées, notamment par la Shoah ; l’Europe doit affronter l’horreur des camps, qui ne sont pas encore libérés, ainsi que des combats terribles impliquant soldats et partisans. À la bataille de Stalingrad a succédé le débarquement de Normandie, mais la bataille des Ardennes n’a pas encore eu lieu et les armées d’Hitler n’ont pas dit leur dernier mot.
L’Assemblée consultative provisoire, créée par une ordonnance du Comité français de libération nationale (CNFL) du 17 septembre 1943, siège d’abord à Alger, puis se transporte à Paris, où sa première séance se tient le 7 novembre 1944 sur l’initiative du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Sa composition représente alors la France en lutte pour sa libération, les mouvements et organisations de Résistance formant le socle du renouveau démocratique. Les délégués du Conseil national de la Résistance (CNR) appartiennent de droit à l’Assemblée consultative provisoire, où les représentants des Francs-tireurs et partisans (FTP) côtoient ceux de Combat et bien d’autres encore. Les Forces françaises de l’intérieur (FFI) sont ainsi l’âme de cette assemblée.
Les syndicats, représentants des travailleurs, qui furent à maintes occasions le bras armé de la lutte contre le fascisme, étaient eux aussi dûment représentés. Je salue leurs délégués, qui, depuis les tribunes, assistent à cette séance.
Mes chers collègues, je ne serais pas devant vous aujourd’hui si, par leur engagement, la classe ouvrière et les paysans d’alors n’avaient été le fer de lance de la lutte contre l’occupant.
C’est nécessairement avec émotion que je relis la liste de ces valeureux membres de l’Assemblée consultative provisoire. Aux côtés de véritables héros de la Résistance, comme Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Maurice Schumann, Daniel Mayer, Lucie Aubrac, Robert Chambeiron, Pierre Cot et tant d’autres, siégeaient de nombreux communistes : André Mercier, membre du Conseil national de la Résistance, Georges Cogniot, Jacques Duclos, Léo Figuères, Benoît Frachon ou encore Waldeck Rochet.
L’Assemblée consultative provisoire s’est fixé pour objectif la sortie des années noires, le redressement du pays et la marche vers les jours heureux, auxquels aspire notre peuple tout entier, qui, bien que meurtri, est resté debout.
L’Assemblée consultative provisoire marque la rupture avec cet État français qui a choisi la collaboration, œuvrant même parfois à la place de l’occupant.
C’est le programme du Conseil national de la Résistance qui est au cœur des débats de cette assemblée et de ses décisions. Ce programme – il faut le rappeler – porte en germe le retour de la démocratie et de la justice sociale. Aujourd’hui, nous célébrons cette aspiration née dans la lutte, née dans le sang, à l’émancipation, à l’égalité et à la juste répartition des richesses.
Ce programme prône l’instauration d’un régime démocratique et social. C’est lui qui a permis la création de la sécurité sociale, assurée par le ministre communiste Ambroise Croizat. C’est également à lui que nous devons les grandes nationalisations, la fondation des comités d’entreprise, l’instauration du droit de vote des femmes et tant d’autres conquêtes.
Chacun sait ici que notre parti est resté fidèle à l’élan fondateur imprimé par le Conseil national de la Résistance. Nous combattons chaque jour les funestes projets qui entreprennent de détruire, pierre après pierre, les constructions démocratiques de ces années d’espoir.
Ici siégeaient ceux qui ont sauvé la démocratie, qui ont porté l’idée de justice au plus haut.
Mon regard s’est arrêté sur le nom de Mathilde Péri, épouse de Gabriel Péri, journaliste à L’Humanité, sauvagement assassiné par les nazis ; de cet homme qui, dans sa dernière lettre, écrite au Mont-Valérien alors qu’il s’apprêtait à affronter la mort, annonça « les lendemains qui chantent ».
L’Assemblée consultative provisoire, ce sont ces drames et ces tragédies. C’est aussi cet espoir fou.
C’est pour rappeler ce combat pour que l’espoir devienne réalité que je tiens, en guise de conclusion, à vous lire « Demain », poème écrit par Robert Desnos en 1942 :
« Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
« De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
« Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
« Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir.
« Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
« Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
« Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
« À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
« Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
« De la splendeur du jour et de tous ses présents.
« Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
« Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »