Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Un accompagnement bienveillant des familles endeuillées
Nommer les enfants nés sans vie -
Par Éliane Assassi / 10 juin 2021Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 1993, l’article 79-1 du code civil définit le cadre juridique applicable aux enfants nés sans vie ou non viables, qui les distingue des enfants nés vivants et viables, dotés d’une personnalité juridique. Ce même article permet aux parents de demander l’établissement d’un acte d’enfant sans vie.
Deux décrets, en 2008, ainsi qu’une circulaire, en 2009, sont venus compléter le dispositif, conditionnant notamment l’établissement d’un acte d’enfant sans vie à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait été spontané ou provoqué pour raison médicale.
L’autrice de cette proposition de loi a souhaité aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie et dans la reconnaissance de ses parents, en autorisant l’inscription d’un nom dans l’acte d’enfant sans vie.
La commission a abondé en ce sens : donner un nom à ces enfants rend plus cohérente leur reconnaissance symbolique, selon la même logique compassionnelle que le législateur a entendu faire prévaloir en 1993 à l’attention des parents, une précision importante étant dans le même temps apportée selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, est ainsi écarté, ne s’agissant que d’une reconnaissance de filiation symbolique, et non juridique.
Cet apport à notre droit civil reste donc de l’ordre du symbole et doit être vu comme un accompagnement bienveillant des familles endeuillées – c’est à elles que nous pensons. Tout en ne bénéficiant toujours d’aucune personnalité juridique, l’enfant sans vie apparaîtra désormais nommé sur l’acte d’enfant sans vie et dans le livret de famille des parents.
Cette reconnaissance d’une filiation symbolique est bienvenue. La désignation des parents étant prévue depuis 1993, il s’agit en effet de reconnaître la réciprocité du lien : s’il y a un père et une mère, il y a un fils ou une fille.
C’est également à cette solution qu’invite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a en effet estimé, dans un arrêt du 2 juin 2005, que le refus d’admettre l’existence d’un lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
Cependant, d’un point de vue sanitaire et « progressiste », je me permets d’insister : conserver cet apport au niveau du symbole, comme l’a précisé Mme la rapporteure, est primordial pour éviter toute éventuelle remise en cause de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) via la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie. L’IVG comme l’interruption spontanée précoce de grossesse, en tant qu’interruptions intervenant au premier trimestre, sont d’ailleurs expressément exclues du dispositif depuis le décret de 2008 précédemment évoqué.
De la même façon, il me semble qu’il faut se méfier des arguments à tendance quelque peu « réactionnaire », tel que celui de la commission consistant à justifier ce texte par la nécessité de « matérialiser symboliquement le lien de filiation du père qui n’a pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère ». Cette vision patriarcale de la filiation est paradoxale compte tenu des modalités de choix du nom définies dans le texte et précisées dans le rapport de la commission : qu’en est-il si seul le nom de la mère est choisi ? Qu’en est-il si les parents se contentent, dans le cas d’un premier enfant, d’un acte d’enfant sans vie sans demander de livret de famille ? Qu’en est-il des parents homosexuels ? Ceux-ci n’ont pas moins besoin que les parents hétérosexuels d’un accompagnement face à la douleur que représente la mort d’un nourrisson.
Le droit de la filiation évolue ; prenons-le en compte dans tous les textes que nous élaborons.
Quoi qu’il en soit, et sous réserve de ces quelques remarques, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste partage la lettre de ce texte et votera pour son adoption.