Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Un crime d’État
Commémoration de la répression d’Algériens le 17 octobre 1961 -
Par Pierre Laurent / 9 décembre 2021Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde se souvient dans cet hémicycle de la photo « Ici on noie les Algériens », support de la mémoire du massacre du 17 octobre 1961.
Prise sur les quais de Seine, à la hauteur du pont Saint-Michel, trois semaines après cette répression sanglante, cette photo ne sera publiée que vingt-quatre ans après, et fera la une du journal L’Humanité en 1986. Après des années de silence officiel, de déni et d’occultation, la mémoire militante de la dénonciation commençait enfin à s’exprimer, presque sans crainte.
Le 17 octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie, des Algériens manifestent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu discriminatoire décrété par le préfet de police Maurice Papon, lequel était imposé à tous les Algériens vivant en région parisienne. Organisée à l’appel du FLN, cette mobilisation pour la fin du couvre-feu, mais également pour l’indépendance de l’Algérie, fut très violemment réprimée.
Selon les recherches actuelles, qui sont concordantes, il y aurait eu ce jour-là plusieurs dizaines de morts – on parle même de 200 morts –, sans compter les nombreux blessés et les 11 000 arrestations qui suivirent dans des centres de détention spécialement mis en place.
De la mémoire des faits à leur reconnaissance officielle, plusieurs années se sont encore écoulées jusqu’au communiqué de presse de François Hollande en 2012, cinquante ans après le massacre !
La même année, le groupe communiste du Sénat déposait une proposition de résolution à ce sujet, sur l’initiative de notre présidente d’alors, Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle visait à la reconnaissance officielle de la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 et fut adoptée lors de l’examen en première lecture.
Plus récemment, en juillet 2020, souhaitant « réconcilier les mémoires autour de la colonisation et la guerre en Algérie », Emmanuel Macron demandait un rapport en ce sens à l’un des historiens spécialistes du sujet, Benjamin Stora. Les auteurs de la présente proposition de loi s’appuient en grande partie sur le contenu de ce rapport remis au début de l’année, qui préconise « la poursuite de commémorations », notamment pour ce qui concerne la « répression de travailleurs algériens en France ».
Aujourd’hui, il est proposé à l’article 1er du texte que notre pays reconnaisse sa responsabilité dans cette répression et, à l’article 2, qu’il organise chaque année, le 17 octobre, une commémoration officielle rendant hommage aux victimes.
La commission des lois a décidé de rejeter cette proposition de loi. Nous pensons pour notre part que le Sénat s’honorerait de l’adopter.
Nous venons de l’entendre, la majorité sénatoriale reste dans le déni de la lecture de l’histoire passée et contemporaine. Pour certains, la mémoire est toujours aussi violente. C’est profondément regrettable. La situation des relations entre l’Algérie et la France appellerait à davantage de dignité et de hauteur, loin des horreurs entendues à la tribune de certains candidats à l’élection présidentielle, ou dans cet hémicycle voilà quelques minutes.
Comme le rappelait déjà notre groupe en 2012, ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 n’était pas un événement isolé survenu en un lieu et en un moment unique. Cela constitua le paroxysme d’une politique de guerre coloniale symbolisée par la mise en place du sinistre préfet de police Maurice Papon.
Cette nuit-là, dans les rues de la capitale, on a assisté à une chasse à l’homme aboutissant à des assassinats ; c’est pourquoi nous pouvons parler en l’espèce, comme nombre d’historiens, d’un crime d’État.
D’autres dates nous rappellent à quel point la violence d’État fut indissociable du colonialisme : la répression du 8 mai 1945 à Sétif, les massacres de Madagascar en 1947, la terrible guerre d’Indochine, la torture pendant la guerre d’Algérie, la funeste bataille d’Alger, la « disparition » du mathématicien Maurice Audin et le massacre du 8 février 1962 au métro Charonne en furent des épisodes particulièrement violents.
La mémoire lucide et apaisée sur ces événements n’existe pas encore. C’est la raison pour laquelle nous devons adopter cette proposition de loi.
Enfin, nous considérons pour notre part qu’il serait nécessaire d’ouvrir les archives sur le sujet, notamment celles de la police et de la justice, …
Mme Valérie Boyer, rapporteure. Elles le sont déjà !
M. Pierre Laurent. … et, au-delà, toutes les archives relatives aux guerres coloniales et à leur cortège de répression et de massacres. Ces dispositions compléteraient utilement celles proposées aujourd’hui, qui recueillent tout notre soutien.