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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une lente démolition des grands principes de 1945

Code de la justice pénale des mineurs : question préalable -

Par / 26 janvier 2021

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi de ratification nous interroge, tant sur la forme que sur le fond.

Si l’examen d’un tel texte a été perturbé, c’est en raison non du contexte sanitaire, mais bien de la méthode choisie par le Gouvernement : réformer une fois encore par voie d’ordonnance. La précipitation dans laquelle cette réforme a été présentée – un amendement au détour d’une séance publique pour habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance –, puis discutée deux jours à l’Assemblée nationale et quelques demi-journées à venir au Sénat, après engagement de la procédure accélérée, témoigne d’un certain irrespect pour les travaux du Parlement, notamment de la chambre haute. En attestent, monsieur le garde des sceaux, la diffusion de votre circulaire, le 18 décembre dernier, ou encore la publication de la partie réglementaire de ce code avant l’examen complet de sa partie législative.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait valoir que cette réforme était le fruit « de plus de dix ans de consultations », quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités l’auraient préparée. Pourquoi donc, en bout de course, ne laisser au Parlement qu’un article de ratification et quatre jours de débat, pour passer en revue les 277 articles que contient ce nouveau code de la justice pénale des mineurs, sans l’étude d’impact que permet un projet de loi ordinaire, puisqu’il s’agit d’un projet de loi de ratification, sans base de comparaison claire et solide des deux ordonnances, si ce n’est le rapport rapide de notre commission et celui, plus que rapide, de la commission des lois de l’Assemblée nationale ?

Avec cette approche, le Gouvernement place le Parlement dans une nasse, faisant usage, point par point, de tous les mécanismes permettant de faire passer au plus vite un maximum de mesures. Finalement, ce que ce texte prône sur le fond dans le cadre de la justice rendue aux mineurs, à savoir traiter le maximum d’affaires, le plus rapidement possible et en sollicitant le moins de professionnels possible – la collégialité est ainsi mise à mal dans certains cas –, processus déjà engagés pour la justice dans son ensemble avec la réforme Belloubet, se retrouve dans la manière de faire.

Comment voir les choses autrement, lorsque l’unique article du projet de loi initial ne comportait qu’un seul article demandant au Parlement un blanc-seing pour la rédaction de l’ensemble d’un nouveau code de la justice pénale des mineurs, issu d’un héritage historique qui n’est pas des moindres, l’ordonnance de 1945, laquelle véhicule avec elle toute l’appréhension nouvelle de la justice qui devait être rendue aux mineurs dans un contexte de reconstruction du pays ?

On aurait pu s’imaginer que le contexte inédit dans lequel s’inscrit ce débat eût fait réfléchir le Gouvernement autrement : considérer, comme en 1945, la jeunesse comme un atout fort pour surmonter la crise sanitaire et économique que nous traversons, qui mériterait une attention plus particulière et attentive que celle qui est proposée aujourd’hui. Une ellipse temporelle semble être passée par là… L’héritage historique de 1945 a été troqué, pas sur la forme bien sûr – il est rappelé et encensé à plusieurs reprises –, mais sur le fond, contre celui des tristes années 2000 en matière de réformes pour la justice des mineurs.

Dans sa célèbre décision du 29 août 2002 relative à la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, dite loi Perben I, le Conseil constitutionnel a érigé le principe de spécificité de la justice pénale des mineurs au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Face à la délinquance des mineurs, le choix de faire primer la réponse éducative sur la réponse répressive paraît donc nettement établi par le juge constitutionnel. Or, comme l’explique l’enseignante-chercheuse en droit public à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse Nadia Beddiar, « soucieux de lutter contre l’insécurité que générerait la délinquance juvénile – problématique qui a trouvé une place solide dans les débats publics –, le législateur français a cédé, à l’instar de nombreux pays, au réflexe sécuritaire ». Ainsi, l’arsenal pénal tend à se diversifier et à se durcir depuis la loi Perben I de 2002 pour apporter des réponses à un phénomène de délinquance juvénile, jugé en forte croissance.

Les précisions apportées par les réformes successives du droit pénal sont traduites par le développement d’un mouvement visant une forte responsabilisation des mineurs. Cette dynamique a produit la mise en place d’un dispositif pénal de plus en plus coercitif et l’idée d’un droit pénal des mineurs de plus en plus proche du droit général ainsi que le recours à un schéma répressif destiné à permettre la rééducation des mineurs délinquants : exception de minorité pour les plus de 16 ans, droits de la défense pas toujours garantis, etc.

Si la loi Perben I, en parallèle au contrôle judiciaire pour les mineurs et au sursis avec mise à l’épreuve, a créé les centres éducatifs fermés, la loi Sarkozy en 2003 a quant à elle créé de nouveaux types d’infractions venant stigmatiser davantage une jeunesse des quartiers, comme l’entrave à la circulation dans les halls d’immeuble, la participation à un groupement en vue de commettre un délit ou encore le fichage des mineurs auteurs d’infractions pénales, pour ne citer que ces lois.

Dans leur sillage, le Gouvernement crée aujourd’hui vingt nouveaux centres éducatifs fermés. Il brouille le temps éducatif et le temps judiciaire en les enserrant dans des délais intenables avec la procédure de césure et avec la possibilité de balayer les jugements en une audience unique, ainsi que celle d’un jugement sur sanction sans collégialité.

Selon nous, ce bref retour en arrière est important pour comprendre la lente mais sûre entreprise de démolition des grands principes de l’ordonnance de 1945, qui, ne soyons pas naïfs, si elle était révolutionnaire en son temps, n’était pas magique non plus, faisant passer les établissements publics qualifiés avant-guerre de « bagnes d’enfants » à l’éducation surveillée. Il s’agissait finalement avant tout d’une prise de conscience collective de l’importance d’éduquer les mineurs, de prendre soin de l’enfance.

En effet, cela a été dit, le mineur est souvent un être en souffrance, mais surtout – j’y insiste – le mineur n’est pas un adulte : c’est un enfant, un jeune en construction, en devenir. C’est pourquoi traiter de la justice des mineurs n’est pas une simple question juridique : cette matière sensible qu’est la rééducation de la jeunesse en difficulté amène à une réflexion au sein de laquelle s’entremêlent et se confondent le philosophique, le juridique, le judiciaire et l’éducatif et même l’historique et le sociologique.

Les mineurs – enfants et adolescents – sont aussi le reflet du monde qui les entoure : leur environnement social et familial bien sûr, mais aussi la société dans son ensemble, marquée également ces vingt dernières années par l’avènement d’internet et du monde numérique avec lequel la jeunesse a évolué. Certes, l’ensemble des professionnels de justice – magistrats, procureurs – ont assisté à un glissement vers une aggravation des actes commis par des mineurs primo-délinquants, mais, comme l’expliquait Martin Levrel, commissaire divisionnaire à Roubaix, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale sur les soixante-dix ans de l’ordonnance de 1945, cela n’est pas sans cause.

Avec l’explosion d’internet, nous sommes pour ainsi dire passés des dégradations de voitures pour y dérober des autoradios à des jeunes de certains quartiers difficiles affirmant vouloir former des bandes comme au Mexique ou en Amérique latine, s’autoalimentant de leurs fantasmes de criminalité organisée que les médias de masse et internet véhiculent volontiers.

Tout cela est à prendre en compte, et cette réforme n’est pas non plus née de rien : elle s’ancre dans cette dérive répressive qui se contente de soigner des maux profonds en s’attaquant uniquement aux symptômes.

Cette réforme entérine un profond changement de paradigme : avec ce texte, le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif est largement atténué, si ce n’est inversé. Sous couvert d’une délinquance juvénile qui aurait muté et serait devenue davantage violente, on supplante l’éducatif pour le répressif. C’est un cercle vicieux.

Ainsi, des enfants d’« apaches », c’est-à-dire des enfants d’ouvriers sous la monarchie de Juillet, aux enfants des quartiers populaires à « nettoyer au Kärcher » dans les années Sarkozy, on en arrive aujourd’hui, sous des termes plus feutrés, mais aussi plus hypocrites, à viser les « mineurs non accompagnés », les MNA, c’est-à-dire les mineurs isolés étrangers, que certains souhaiteraient voir expulsés de notre pays à la moindre petite infraction, mesure « malheureusement inconstitutionnelle », pour reprendre les termes de la rapporteure en commission. Laissez-moi vous rappeler que, quand bien même ces mineurs sont venus d’ailleurs, ils n’en sont pas moins des enfants comme les nôtres, et nous leur devons, en plus de la protection et l’asile, la même application de notre justice, que cela plaise ou non.

Mes chers collègues, la philosophie avec laquelle ce texte est abordé reflète, vous l’aurez compris, et nous en sommes pour notre part convaincus, toute une vision de la société. Celle qui a été adoptée de concert par la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale et la majorité sénatoriale de droite ne vise pas uniquement à simplifier sur la forme l’ordonnance de 1945 : elle tend bien à la réformer au fond, pour la marquer du sceau des dispositifs répressifs qui l’ont ternie ces dernières années.

Au sein du modèle socio-économique libéral bien établi dans lequel évolue notre pays, l’approche répressive des dérives, quelles qu’elles soient, et dès le plus jeune âge a, hélas, de nombreux tristes jours devant elle.

« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » Ces premières phrases de l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945, héritage du Conseil national de la Résistance, continueront à être pour nous une boussole dans tous nos débats.

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