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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Vous vous attaquez à la solidarité des Français envers les étrangers comme vous montez les Français les uns contre les autres

Asile et immigration -

Par / 19 juin 2018

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la migration est un phénomène aussi ancien que l’humanité. Nous n’empêcherons pas les femmes et les hommes de migrer, d’autant moins que les conflits internationaux, l’ordre économique libéral établi et les bouleversements climatiques font de notre monde un monde de réfugiés. Renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait. Ces femmes et ces hommes qui migrent ne le font sûrement pas pour bénéficier de telle ou telle aide sociale, qu’ils compareraient selon les pays.

M. Jean-François Rapin. Il n’y a donc rien à faire ! (Sourires.)

M. François Bonhomme. Il faut laisser faire, que voulez-vous !

Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, lorsque l’on essaie de fuir la violence, la torture, la guerre, la famine, les catastrophes écologiques, quitter son pays, ses amis, et sa famille parfois, représente une vraie souffrance. Pourtant, rien ne décourage ces femmes et ces hommes qui cherchent simplement à vivre ailleurs, car ils y sont contraints, rien, pas même la violence des frontières qui se ferment devant eux.

La fonte des neiges dans les Alpes nous l’a récemment rappelé, en révélant les dépouilles de corps de migrants contraints d’emprunter des détours en pleine montagne ; ces mêmes migrants que certains extrémistes nationalistes chassaient fièrement à bord d’hélicoptères il y a peu ; ces mêmes migrants que d’autres citoyens, plus fidèles aux valeurs de notre République, aident en toute fraternité, avant d’être traînés devant les tribunaux !

Votre conception de la politique migratoire s’inscrit dans un projet plus global : vous vous attaquez à la solidarité des Français envers les étrangers comme vous montez les Français les uns contre les autres, pour servir les intérêts d’une politique de libéralisation et de casse des valeurs républicaines, droit d’asile compris.

L’attitude de la France et de l’Europe met en danger les migrants et laisse les citoyens et les associations gérer l’urgence humanitaire. C’est ainsi que ces 629 femmes et hommes rescapés, repêchés en mer par l’Aquarius, n’ont trouvé d’accueil ni en Italie ni en France ; 629 femmes et hommes qui « ne sont rien » et qui méritent sans doute d’être « responsabilisés », mis au pas, comme le sont les Français sous le régime de La République En Marche.

De son côté, le Conseil européen devra, à la fin du mois, prendre acte une nouvelle fois de l’échec de sa politique migratoire et repenser ses orientations, qui ne sont pas suivies d’effets. Rappelons que la France s’était engagée en 2015 à accueillir 30 750 personnes jusqu’en 2017, alors que, aujourd’hui, seules 4 278 personnes ont été relocalisées.

Pour le moment, l’heure n’est pas à l’apaisement, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, puisque, juste après sa rencontre avec le chef du gouvernement italien, Rome refusait une nouvelle fois l’accès de ses ports à des bateaux d’ONG.
Aujourd’hui, madame la ministre, l’émotion et la colère sont d’autant plus fortes et légitimes que votre texte enfreint un certain nombre de principes fondamentaux, à commencer par le droit d’asile, qui fait partie intégrante de l’histoire démocratique française.

La Constitution du 24 juin 1793 proclamait déjà que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. - Il le refuse aux tyrans. » C’est l’acte fondateur du droit d’asile, élément constitutif des grands principes de la Révolution française et du siècle des Lumières.
M. Mathieu Darnaud. Quel tralala !

Mme Éliane Assassi. Faut-il rappeler ces mots de Voltaire dans son Traité de la tolérance ? « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »
Le droit d’asile est désormais consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, forgée par la Résistance, selon lequel « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »

C’est en se fondant sur ce texte que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a qualifié le droit d’asile d’« exigence constitutionnelle ». Peu après cette décision, la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, nécessaire à la pleine application par la France de la convention de Schengen, a inscrit dans la Constitution un article 53-1 aux termes duquel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »

Loin des faux bons sentiments, la logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile que développe ce projet de loi enfreint cette tradition d’asile du droit français.

Il est porté atteinte au droit d’asile dans la phase administrative de la demande comme dans sa phase contentieuse.

Premièrement, le texte, en son article 5, entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs d’asile quant au sort qui leur est réservé.

Deuxièmement, l’article 6 porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile en réduisant le délai pour exercer un recours devant la CNDA, le Gouvernement souhaitant rétablir par voie d’amendement la réduction, supprimée par la commission des lois, de ce délai à quinze jours. Cette réduction excessive des délais conduit à une justice expéditive.
Pourtant, le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Troisièmement, l’article 8 du présent projet de loi met fin au caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Celui-ci était pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. »

Quatrièmement, il sera possible d’imposer au demandeur d’asile tout au long de la procédure une langue qui n’est pas la sienne, sans que soient respectés ni les garanties procédurales européennes ni le droit de tout justiciable à être entendu dans une langue maîtrisée.

Cinquièmement, en plus d’entraver davantage la procédure d’examen de la demande avec la fin de la notification des convocations et décisions par lettre recommandée, le texte prévoyant que cette notification puisse se faire « par tout moyen », le Gouvernement ne respecte pas le principe de confidentialité que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de « garantie essentielle du droit d’asile », principe de valeur constitutionnelle.

Sixièmement, le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant aux justiciables. Une telle généralisation est encore une fois parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisis notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, les sages ont jugé, dans une décision du 20 novembre 2003, qu’un tel recours était conforme à la Constitution à la condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger. Or c’est exactement ce que le texte supprime.
Toutes ces dispositions anticonstitutionnelles illustrent la dangerosité d’un tel texte pour notre démocratie, d’autant plus qu’elles sont contraires aux normes supranationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention internationale des droits de l’enfant.

En effet, sur ce dernier point, conformément aux obligations de la France relatives à l’intérêt supérieur des mineurs rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.

Je l’affirme avec force : un mineur, même étranger, n’est pas un migrant. C’est un enfant, et ce jusqu’à l’âge de sa majorité. Nous lui devons donc aide et protection, et le Sénat s’honorerait en supprimant l’article 15 quater relatif à la durée de placement en rétention pour cinq jours des familles, car qui dit famille dit enfants.

Les mesures d’enfermement pour les majeurs posent également question, comme la facilitation de la rétention administrative, notamment des « dublinés » qui n’ont commis aucun délit, alors même que la France a déjà été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de ses conditions de rétention.

Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, le droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse, auquel contrevient l’article 9 du présent projet de loi qui légalise la circulaire Collomb de décembre 2017 tant décriée.

Hélas, la liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi est encore longue – nous y reviendrons au cours du débat. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mes chers collègues, quant au sort qui sera réservé à la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Elle sera rejetée, mais nous souhaitions attirer votre attention et celle du Conseil constitutionnel sur ces points.

Nous participerons au débat, en insistant notamment sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne.

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