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Les communiqués de presse

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Travailler à un nécessaire nouveau commencement

Par / 8 juillet 2004

Un article de Jack Ralite publié dans l’Humanité

Depuis quelque temps, dans notre pays, des situations très difficiles, douloureuses qui concernent des artistes ou écrivains, sont mal réglées, tranchées arbitrairement.

La Maison de la Culture d’Amiens licencie sans raison valable son directeur Jacques Pornon. Le directeur de l’Opéra de Metz s’en va, par rigueur morale, car sa tutelle a remplacé sans l’en avertir un opéra contemporain par un opéra classique dans la saison 2004 - 2005. Régine Chopinot, directrice du Centre chorégraphique de La Rochelle est depuis un an confrontée à une coupe sombre de son budget.

L’orchestre national de chambre de Toulouse est dissout. Le Président de la région Langedoc-Roussillon ferme brutalement et avec des références d’une morgue insupportable le Centre Régional des Lettres, même si c’est pour le remodeler en élargissant sa fonction notamment dans le domaine de la lecture publique. Le directeur d’ « Octobre Normandie » est renvoyé en raison de sa programmation. L’annuel marché de la poésie, place Saint-Sulpice à Paris, est en difficulté financière et, à travers lui, les courageux et irremplaçables petits éditeurs.

Ces faits, méfaits et forfaits concernent aussi bien des collectivités territoriales que l’Etat dans sa politique d’abandon.

Mais il en est d’autres : le CSA propose une approche très fragilisante de la notion d’œuvre. Le journal « Télérama » publie un article très mal informé et destructeur sur les théâtres de banlieue qui seraient … trop nombreux. Le nouveau directeur de Radio France se sépare de deux cadres importants parce que, est-il rapporté de plusieurs sources, il y aurait trop de culture à la radio publique. Le ministère de la Culture prépare la … troisième loi sur l’archéologie préventive, qui, encore plus que la deuxième, déshabille sa responsabilité publique en la matière. Il y a une vague de créations d’EPIC (Etablissement public industriel et commercial), ainsi le Château de Chambord, avec un encouragement à créer des filiales privées pour développer la vente de prestations.

Mais ce serait mettre un cache sur une importante partie de la réalité culturelle en France si on taisait :

La loi de décentralisation, avec ses transferts souvent coûteux pour les collectivités territoriales dont beaucoup n’en peuvent plus et déjà restreignent leurs crédits culturels, sauf à augmenter les impôts, ou à amorcer la privatisation de secteurs de leur action culturelle.

La suppression dans les écoles, de la formation à l’art mise en place en l’an 2000 et la réduction par les DRAC et les rectorats des crédits pour les ateliers animés par les théâtres dans les lycées et collèges.

Les difficultés de plus en plus grandes rencontrées par les scénaristes pour faire prendre en compte leurs projets de fiction par les télévisions alors que celles-ci imposent la télé-réalité sans rivage.

L’achat d’Editis par le président du Medef, M. Seillière, et dans un même mouvement le risque de la marchandisation de la culture scolaire, si personne ne bouge.

L’achat de nombreux journaux par l’avionneur Serge Dassault qui devient ainsi l’un des maîtres de la communication.

En vérité, comme la société, la politique culturelle en France est à la croisée des chemins et ne sait pas nommer les métamorphoses qui la concernent. C’est sa refondation par la mise à jour et en œuvre d’une nouvelle responsabilité publique nationale, européenne, internationale et locale qui cogne à la vitre : « l’universel c’est le local sans les murs » disait Torga. A l’heure où se jouent nos attaches poétiques dans le système industriel bientôt totalement financiarisé - ce qui implique de sortir des pratiques actuelles du monde pour le parcourir autrement - il est nécessaire de poser avec force la question du travail, aujourd’hui couplé autoritairement avec un savoir souvent figé mais surtout sans pensée, comme le psychologue Yves Clot l’a si fortement énoncé aux Etats généraux de la culture du 12 octobre dernier à Paris.

C’est un des principaux « dénis de reconnaissance » avec la pauvreté et la précarité. Cette vraie maladie du travail blesse violemment les facultés d’étonnement et d’initiative des hommes et des femmes et mutile leurs « désirs créateurs au profit de désirs reproducteurs ; c’est alors la victoire de l’état sur le devenir, de l’identité sur la différence ». Guillaume Le Blanc, dans un récent et roboratif ouvrage « Les Maladies de l’homme normal » à qui j’emprunte ces mots, conclue que « le moi qui en résulte est alors un moi congelé, au bord du rien, un quasi-rien ». Les gaz sont comme coupés entre lui et la création artistique. On ne boit pas l’art sans soif.

Le problème des intermittents est symbolique de cette situation, et de la manière inadmissible et à courte vue avec laquelle il a été abordé par le Medef, par des syndicats égarés et par le gouvernement. Il y a, dans la philosophie de l’accord du 26 juin 2003 avalisé le 13 novembre par le Ministère des affaires sociales, une pensée qui circule et prétend qu’il y aurait trop d’artistes, trop de création, et une conception de l’être humain comme « homme-performance » qui, fatigué, ne peut qu’être en quête d’un repos divertissant.

Changer le protocole dans un sens respectant aussi bien le « Marbrier de Carrare » , que le, les artistes, « luxe de l’inaccoutumance » , est donc un travail inouï, exigeant un effort de chacun, dans un contexte qui momifie la pensée et le « faire » en usage, au point de les vider de leurs potentialités. Il faut de nouvelles valeurs culturelles qui, mêlées aux éclats du passé, peuvent inspirer un nouveau protocole.

Bien entendu cette approche de l’intermittence vaut pour ce dont elle est l’écho, à savoir l’ensemble de la culture, dans laquelle nous rêvons de continuer à faire entrer l’art. On est loin de l’exigence, ici ou là appelée « stimuler la demande », qui aujourd’hui fait fureur comme si l’art était un produit consommable, donc prêt à consommer, donc au fil de l’eau tiède qui inonde tout. La suggestion d’André Breton : « Je prétends que le monde finira non par un beau livre mais par une belle réclame » deviendrait-elle réalité ?

Un tournant est à prendre, une relance des dés de la culture et de l’art est à oser, « ôter une pierre pour y mettre un nid », comme disait Victor Hugo, est à mettre en vaillance.

Quelques exemples de ce tournant, de ces dés, de ces nids :

Ne faudrait-il pas, à l’instar de l’avance sur recettes au cinéma, imaginer pour les petits éditeurs de poésie une avance sur distribution ou une assurance en termes de distribution ?

Ne faudrait-il pas profondément penser et réellement agir pour une place véritable de l’art à l’école ?

Ne faudrait-il pas en finir une fois pour toutes avec l’idée que la création artistique se décide selon la règle démocratique ? Pensons à Apollinaire écrivant : « Quand l’Homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue, qui ne ressemble pas à une jambe ». La démocratie de la jambe ne débouche pas sur la roue. Cette idée doit être énoncée et défendue avec audace. On ne peut accepter qu’une œuvre soit déclarée mauvaise parce qu’elle est minoritaire et ne satisfait pas l’audimat des marchands. A ce titre, les politiques qui aujourd’hui jugent la création artistique à cette aune devraient réfléchir à ceci : est-ce parce qu’il y a eu 57% d’abstention en France aux récentes élections européennes qu’il faudrait supprimer le suffrage universel ? Et même, pourquoi pas, supprimer le Parlement européen ?

Ne faudrait-il pas se battre et appeler les travailleurs à se battre pour de nouvelles libertés dans l’entreprise, où la faculté de penser et l’imaginaire des hommes et des femmes pourraient avoir libre cours ? C’est à mon sens la plus grande question qui est posée à une société moderne comme la société française. Les êtres humains ont besoin d’infini. L’organisation actuelle du travail leur rapte.

J’entends la parade : « Mais Jean-Marie Messier est mis en examen. La justice s’occupe donc des dérives, des abus. Que voulez-vous de plus ? Vos nombreuses interventions au Sénat trouvent là une issue heureuse ». Je répondrai avec René Char : « méfie toi de ceux qui se déclarent satisfaits, parce qu’ils pactisent ».

En effet, c’est devenu un leitmotiv : « il y a des abus, corrigeons les, et tout ira bien ». Il ne s’agit pas de minimiser la mise en examen de Jean-Marie Messier mais, soyons sérieux, c’est une politique de la prothèse, c’est la pointe émergée de l’iceberg qui est seulement visée. La grande question est celle de la stratégie et des contenus de la politique de Vivendi Universal, ici et dans le monde. Or seul un débat politique peut en traiter, en juger, et décider non pas une autoroute, mais les « venelles », comme disait Aragon de la création artistique dans la diversité de ses disciplines, esthétiques, sensibilités et liens avec les citoyens « désarrimés les uns des autres », suivant l’expression significative de Monique Vacquin.

Ce lien si nécessaire, à l’importance insoupçonnée, avait un cadre en France, notamment l’exception culturelle. On se souviendra que c’est Jean-Marie Messier qui lui fit attentat. Mais si le gouvernement tient sur ce concept assez bien la route sur le terrain international, quoique lui ait été susbstituée la notion floue de « diversité culturelle », son laissez-faire en France blesse l’exception culturelle, dont le cœur n’est pas le nationalisme mais l’émancipation du seul rapport marchand. Or, Messieurs Seillière et Dassault, après Monsieur Lagardère, ont eu toute liberté d’action pour faire presque main basse sur l’édition et la communication. Quelle magnanimité, alors que les artistes ayant droit aux annexes 8 et 10 ont été frappés sans nuance, même si, depuis le printemps, des avancées notables ont été arrachées, et se construisent, notamment par le Comité de Suivi .

Oui, l’évidence c’est de construire un nouveau commencement qui concerne tous et chacun, qui serait l’œuvre de tous, collectivement et individuellement, population, artistes, politiques.

Ingmar Bergman disait : « dans certains pays, les artistes sont punis, l’art est jugé dangereux ; on l’étouffe et on le dirige. Mais dans l’ensemble l’art est libre, effronté, irresponsable ; le mouvement est intense, presque fébrile, comme une peau de serpent recouverte de fourmis. Le serpent est mort depuis longtemps, rongé, privé de son poison, mais la peau regorge d’une vie indiscrète. Si j’étais une de ces fourmis, je me demanderais si cela vaut la peine de continuer mon travail. La réponse est affirmative. »

Il y a entre ce texte et ce qui se passe ces derniers douze mois une familiarité. Nombre de métiers - je ne dis pas : corporations - se sont ébranlés comme la marque d’une transition révélée.

Continuer d’aller dans ce sens est nécessaire et demande un grand courage, d’autant que la vie nous enferme dans les petites histoires de tous les jours, nous abandonne aux rivalités mesquines, nous envahit par les seules querelles qui se présentent au coin de la rue, nous livre à la « gestionnite comptable », à l’enfermement proximitaire, source de routine, de mollesse ou d’emphase. On ne peut alors penser qu’avec verrou, avec « renfermé social » et beaucoup plus grave, n’ayant plus aucune perspective dans ce monde « sans synthèse », dirait Musil, on se sent comme « en trop » dans la société. On se jette alors dans le passé statufié, qu’on célèbre en permanence, c’est l’amnésie et l’autisme.

Si l’on acceptait cela, ce serait la panne. Ce le serait encore plus, si l’on acceptait l’usage trop souvent établi de tout évaluer en termes de dégradation, de déclin, de crise. Aragon avait raison en écrivant qu’ « à la définition, aux limites, il faut substituer le principe d’invention de la perpétuelle ouverture » car il s’agit de savoir de quel côté va basculer la situation. Sans doute, tâtonnons-nous mais c’est le sort de ceux qui rêvent d’être de « nouveaux brasseurs de l’histoire ».

Quand certaines troupes en sont à l’extinction des feux, il faut cesser de continuer à n’entendre que les trompettes qui sonnent encore leur charge. A condition de ne jamais céder sur la liberté de création et de ne pas se résoudre à ce que le divertissement se répande comme une tâche d’encre sur un papier buvard, à condition d’être hanté par le dialogue avec la population, il faut en effet bien voir qu’il ne s’agit pas d’une réconciliation entre art et population mais d’une reconfiguration des rapports entre art, culture, amateurs et population, d’un nouveau paysage social et culturel pour la prise en compte duquel serait précieuse une loi d’orientation qui établirait un nouveau rapport entre les arts, les artistes en direct et la société. Il y a là une grande nécessité dont le nouveau plaisir qu’elle procure dépasse la douleur de ce que nous avons aimé et qui ne fait plus écho. Après tout, comme dit René Char, « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».

Souhaitons bon vent au nouveau et fidèle Festival d’Avignon, à son pluralisme audacieux, à sa teinte européenne, avec une présence allemande époustouflante qui illustre si fort cette morale de la création d’Heiner Müller : « L’herbe même, il faut la faucher afin qu’elle reste verte » que je n’arrive pas à découpler de la grande voix de Vilar : « il faut avoir l’audace et l’opiniâtreté d’imposer au public ce qu’il ne sait pas qu’il désire ».

Souhaitons bon vent à ses débats multiples se nourrissant de contradictions, de tensions vibrantes, de travail d’exigence « grain par grain » disait Strehler, du « principe espérance », d’utopie, eh oui, d’utopie, d’actes salvateurs et, puisque nous sommes de cette France, laissons à un jeune créateur trop tôt disparu, enfant de la décentralisation, la conclusion de ce développement : « une société, une cité, une civilisation qui renonce à l’Art, qui s’en éloigne, au nom de la lâcheté, la fainéantise inavouée, le recul sur soi, qui s’endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine de demain, au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l’auto-satisfaction béate, des valeurs qu’elle croit s’être forgée et dont elle se contenta d’hériter, cette société-là renonce au risque, elle s’éloigne de sa seule vérité, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même ». Merci Jean-Luc Lagarce.

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