Monsieur le Premier Ministre,

Les menaces sur le devenir des maisons d’édition détenues par le groupe Vivendi Universal se font toujours plus précises. Chargé de sauver le groupe et pour cela de trouver 3 milliards d’euros de créances avant le 25 septembre, Jean-René Fourtou se voit dicter leurs conditions par ses créanciers, qui exigent que les branches les moins rentables soient coupées. Pour faire face à un colossal besoin de financement, le dirigeant du groupe vend en bloc Vivendi Universal Publishing, limitant la liste des repreneurs possibles à quelques groupes d’investissements et sociétés de capital-risque franco-américaines. Pourtant, s’agissant de maisons d’édition en bonne santé financière, il existait des propositions de reprise par des entreprises de l’édition pour plusieurs d’entre elles. On entend les craintes du ministre de la Culture, M. Aillagon et du ministre des Relations avec le Parlement, M. Copé. Mais la conclusion évidente qui découle de ces craintes est refusée, au motif que les intérêts sont privés. Les actes décisifs que cette préoccupation exige ne viennent pas.

Comment expliquer cet entêtement à ne pas voir, alors que ce sont deux tiers de l’édition française de référence (dictionnaires et encyclopédies), 35% de l’édition scolaire et 20% de l’édition littéraire qui sont abandonnés à la logique de financiarisation de la culture ?
Des maisons d’édition solides, qui font vivre notre culture et notre patrimoine, sont sur le point d’être laissées à des intérêts financiers internationaux par une multinationale en désastreuse position, et le politique devrait rester impuissant face à cet arraisonnement de la culture par les forces du marché ?

« J’écris pour pouvoir lire ce que je ne savais pas que j’allais écrire » disait Claude Roy : le temps de l’écriture n’est pas celui de la transaction. Il est le même que celui de la réflexion, de la lecture. C’est le temps long de la découverte intellectuelle de soi et des autres. « Au début est le créateur. Les marchands viennent ensuite, si ils viennent » (Déclaration des Droits de la Culture - 1987). Ce qui s’esquisse pourtant ici, c’est la prééminence du temps et de la logique marchande, dont le rythme ne peut que contrarier celui de la réflexion. « Qui dira le nom d’un écrivain inconnu ? » interrogeait Jérôme Lindon. Certainement pas ces « gens dont le métier est de rentrer rapidement dans leurs investissements » dont parle très justement M. Aillagon.

Au-delà de Vivendi Environnement, les pouvoirs publics doivent protéger les entreprises d’édition de Vivendi Universal de l’impératif de la seule rentabilité en faisant valoir une réelle responsabilité publique en matière de culture. Cette responsabilité est à la fois une coordonnée de la diversité culturelle et une des garanties de l’exception culturelle.
C’est pourquoi je vous demande une audience dans les plus brefs délais, afin de voir quelles dispositions prendre pour que ces fleurons de l’édition française demeurent dans le cadre de la responsabilité nationale.

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, en mes sentiments distingués,

Jack Ralite
Animateur des Etats Généraux de la Culture
Sénateur-maire d’Aubervilliers
Ancien ministre
Paris, le 13 septembre 2002

Se déclarent d’accord avec cette lettre :

Des écrivains, auteurs dramatiques
et poètes

Pierre BERGOUNIOUX, François BON, Pierre BOURGEADE, Michel CHAILLOU, Bernard CHAMBAZ, Edmonde CHARLES ROUX, Noëlle CHATELET, Didier DAENINCKX, Didier DECOIN, Michel DEGUY, Florence DELAY de l’Académie Française, Régine DESFORGES, Marie DESPLECHIN, Marie ETIENNE, Jean-Claude GRUMBERG, Nedim GURSEL, Martine KAUFMANN, Jean-Marie LACLAVETINE, Alain LANCE, Pierre LARTIGUE, Michel LE BRIS, Jean-Michel MAULPOIX, Bernard NOEL, Gérard NOIRET, François NOURISSIER Christian PRIGENT, Patrick RAMBAUD, Lionel RAY, Lydie SALVAYRE, Dominique SAMPIERO, Jean-Pierre SIMEON, Henriette WALTER

Des comédiens, metteurs en scène, réalisateurs, cinéastes

François BERLEAND, Didier BEZACE, Dominique BLANC, Marcel BLUWAL, Jean-Louis COMOLLI, Jean-Marie DROT, Alain FRANçON, Danielle LEBRUN, Jean-Pierre MARCHAND, Daniel MESGUISH, Michel PICCOLI, Christophe de PONFILLY, Robin RENUCCI, Bertrand TAVERNIER, Tiffany TAVERNIER

Des philosophes et universitaires

Stanislas BRETON, Jean-Yves MOLLIER Directeur du Centre d’Histoire culturelle des Sociétés contemporaines (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Jean-Luc NANCY

Des libraires

Librairie des Abbesses (Paris) ; L’Astrée (Paris) ; Librairie des Cordeliers (Romans) ; Cwalarn (Lannion) ; Folie d’Encre (Saint-Denis) ; Luciole (Vienne) ; Les Mots Passants (Aubervilliers)

Des syndicalistes

Guy CALKA délégué syndical de l’U.S.I à V.U. Education France, Laurent GABORIO délégué syndical C.G.T. à V.U. Education France, Christine RENIEZ-DEVEVEY déléguée syndicale C.F.N.- C.G.C. à V.U. Education France

Des responsables de l’édition, des auteurs et professionnels du livre

Carl ADERHOLD Editeur chez Larousse
Gérard BRIANT Président de l’association des Bibliothécaires Français
Patrick CAHUZAC Fondateur d’ « Inventaire Invention »
Pierre DRACHLINE Editeur
Christine DUBOIS Editrice chez Armand Colin
Yves FREMION Président du Conseil Permanent des Ecrivains.
Laurent HEYNEMANN Président de la SACD
Marion MAZAURIC Directrice des Editions « Au Diable Vauvert »
Laurent NICOLAS Documentaliste « Le Robert »
Françoise NYSSEN Président des Editions « Actes Sud »
Jean-Michel PLATIER Editions Bérénice
Alain REY Responsable des Editions « Le Robert », Chroniqueur à France Inter
Josette REY-DEBOVE Coauteur du Petit Robert
Jean-Yves REZEAU Editeur
Guy SELIGMANN Président de la SCAM
Alain SERRES Editeur
Jean-Pierre SEVESTRE Président du Syndicat National de la Librairie
Bernard STEPHAN Directeur littéraire des Editions de l’Atelier
Michèle VIAL Iconographe chez Nathan
Bernard WALLET Directeur littéraire des Editions « Verticales »
Henriette ZOUGHEBI Conseillère pour la littérature au Centre National de la Documentation Pédagogique
La DISPUTE Editeurs