Placer la santé au dessus des lois du marché
Lettre à Emmanuel Macron -
Par Pierre Laurent / 2 avril 2020Monsieur le Président,
En contact quotidien comme sénateur de Paris avec des médecins et des personnels soignants de l’AP-HP, je tiens à vous alerter sur la grave rupture démocratique ressentie sur le terrain et dans toute la population. Tout le monde fait face. Les acteurs de la santé publique sont exemplaires. Ils se donnent corps et âme pour sauver des vies, mais ils attendent clairement que la suite ne ressemble en rien à ce qu’ils vivent en réalité depuis des années, et encore plus durement ces dernières semaines. Demain, les mots ne pourront pas rester lettre morte, sinon la colère sera immense.
Le 12 mars dernier, lors de votre première intervention télévisée sur la lutte contre le coronavirus, vous déclariez notamment : « ce que révèle déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe […]. Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Inutile de vous dire combien je partage cette pétition de principe, qui fonde depuis la création de la Sécurité sociale, la ligne de conduite des communistes en matière d’accès à la santé et à la protection sociale. La pandémie met aujourd’hui à nu les choix politiques contraires faits depuis des années, choix que notre pays et sa population paient en ce moment très cher. Durant les premières années de votre quinquennat, je n’ai cessé d’alerter avec les parlementaires de mon groupe, sans jamais être entendu. J’ai rencontré les personnels et médecins, notamment de l’AP-HP, à de multiples reprises à l’occasion des débats parlementaires comme du tour de France des hôpitaux que nous avons initié de 2018 à 2019. Afin de relayer l’ampleur des exigences exprimées, qui disaient déjà tout des risques encourus face à une grave crise sanitaire, nous avons élaboré une proposition de loi d’urgence pour l’hôpital et la santé, dont le fil conducteur est précisément de placer la santé au dessus des lois du marché.
Le 25 mars, vous avez enfin affirmé à l’hôpital de Mulhouse, un établissement au premier rang du désastre, qu ’ "à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera conduit pour notre hôpital". De telles paroles en pareilles circonstances ne peuvent être prononcées à la légère.
Or, le premier avril, un article de Mediapart révèle qu’à la demande de l’Élysée une note de travail rédigée par deux hauts fonctionnaires de la Caisse des Dépôts esquisserait un plan pour l’hôpital prenant la direction exactement contraire à tout ce qu’exige la population et la très grande majorité des médecins et soignants de France, et en l’occurrence au principe même que vous évoquiez le 12 mars. Ce plan consisterait en une accélération massive des processus de privatisation rampante et de marchandisation des hôpitaux qui prévalent depuis des années et nous ont conduit à la dramatique situation actuelle. Pour le moins, des éclaircissements rapides sont nécessaires.
Monsieur le Président, êtes-vous en mesure de démentir sans ambiguïté cette direction de travail et existe-t-il d’autres notes de travail du même type déjà en circulation auprès de vos services ? Au-delà, pouvez-vous garantir que le plan pour l’avenir de l’hôpital que tout le pays attend ne sera pas élaboré dans le secret de notes confidentielles sans y associer avant publication les médecins et les personnels, sans y associer la représentation nationale ? Un processus transparent, national, doté de moyens publics, à l’image du grand débat national, ne serait-il pas plus approprié à construire le plan pour l’hôpital et le système de santé publique dont notre pays a besoin demain ? C’est en tout cas la proposition que je vous fais. Avec mes collègues parlementaires, nous sommes disposés à nous investir pleinement dans une telle élaboration citoyenne. Nous misons résolument sur l’intelligence collective de toutes les composantes de la Nation pour construire un plan d’avenir pour nos hôpitaux, nos Ehpad et notre système de santé. Seule la démocratie peut reconstruire la confiance.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées.