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Les débats

Cette loi a incontestablement créé un mécanisme trop restrictif

Indemnisation des victimes des essais nucléaires français -

Par / 7 janvier 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, qui s’appuie sur l’excellent rapport de Corinne Bouchoux et de Jean-Claude Lenoir sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, illustre concrètement l’utilité d’un contrôle parlementaire de l’application des lois par le Gouvernement.

En effet, on s’est rapidement aperçu, à l’usage, que le dispositif de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français fonctionnait mal et se heurtait à des difficultés importantes.

À cet égard, ce qui retient le plus l’attention et suscite le mécontentement des associations de vétérans, c’est que, contrairement à ce qui était initialement prévu, très peu de dossiers d’indemnisation ont été déposés et que la plupart d’entre eux sont rejetés. Ainsi, à la fin du mois d’octobre dernier, 861 demandes avaient été reçues, et seulement 12 indemnisations accordées.

Il faut remédier à cette situation, concernant un sujet douloureux puisqu’il s’agit de réparer le préjudice, vécu dans leur corps, dont ont été victimes des hommes qui ont contribué à assurer l’indépendance et la place de la France dans le monde. Au risque d’être grandiloquente, je n’hésiterai pas à dire qu’il y va de la crédibilité du Parlement, de la loi et de la République.

Il faut se souvenir que l’adoption de cette loi, quatorze ans après les derniers essais, constituait l’aboutissement d’un long combat mené par des associations de victimes, puis relayé par des parlementaires de toutes tendances, afin que soit officiellement reconnu par l’État un statut de victime des 210 essais nucléaires pratiqués par notre pays de 1959 à 1996.

Notre groupe s’était à l’époque prononcé contre l’adoption de cette loi, car nous estimions que le ministre de la défense d’alors, M. Hervé Morin, refusait en réalité d’ouvrir un véritable droit à indemnisation. Il s’opposait en effet à la création d’un fonds spécifique et autonome, au sein des instances duquel auraient siégé des membres des associations représentatives, tel qu’il en existe pour l’indemnisation des victimes de l’amiante ou d’autres maladies professionnelles.

C’est la raison principale pour laquelle nous avions pressenti que cette loi, au-delà de ses imperfections et bien qu’elle vise à simplifier les procédures de demande d’indemnisation en évitant aux victimes de recourir à la justice pour obtenir réparation, serait inopérante.

Nous jugions, par ailleurs, qu’il s’agissait d’une indemnisation a minima, révélatrice du souci de l’État de ne pas laisser passer la moindre économie, ainsi que de l’état d’esprit d’un lobby militaro-nucléaire qui a longtemps prétendu que nos essais ne pouvaient qu’être « propres ».

Cette loi a incontestablement créé un mécanisme trop restrictif. À cela s’ajoutaient une délimitation contestable des périmètres irradiés et une liste trop restreinte des maladies radio-induites. Ces insuffisances ont été corrigées depuis par le ministre de la défense, dont je veux ici saluer la capacité d’écoute et l’ouverture.

Ainsi, le combat de l’Association des vétérans des essais nucléaires, l’AVEN, et de l’association des anciens travailleurs et victimes de Moruroa et Fangataufa, Moruroa e Tatou, les nombreuses interventions de parlementaires demandant une évaluation de l’application la loi, qui ont débouché, au Sénat, sur le rapport fondant notre débat, n’ont pas été sans influence sur la juste décision du ministre de commander au Contrôle général des armées, le CGA, et à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, une étude conjointe analysant les procédures et les modalités d’application du dispositif.

Il faut en premier lieu relever que le rapport sénatorial, tout comme ceux de l’Assemblée nationale, d’une part, et du CGA et de l’IGAS, d’autre part, ne préconise pas de remettre en cause un dispositif qui repose essentiellement sur des données scientifiques reconnues par la communauté internationale, ainsi que sur des méthodologies validées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il vise à améliorer, plutôt qu’à modifier, ce dispositif, afin de donner un second souffle à la loi.

Le rapport de nos collègues Bouchoux et Lenoir a notamment permis de faire avancer la réflexion sur l’élément central de la procédure d’indemnisation que constitue le CIVEN.

L’un des principaux reproches adressés à cette structure décisionnelle portait sur son manque d’indépendance et celui de ses membres à l’égard du ministère de la défense. L’une des préconisations du rapport a trouvé dernièrement une concrétisation, par la transformation législative du CIVEN en autorité administrative indépendante. Cette transformation, qui retire au ministère de la défense son rôle décisionnel en matière d’indemnisation, représente une avancée majeure, à même de lever le soupçon de partialité qui pesait sur les décisions prises par le ministre.

Les études et rapports – en particulier celui du Sénat – produits sur les difficultés d’application de la loi Morin et les faibles effets de celle-ci en matière d’indemnisation des victimes ont conduit le Gouvernement à étendre à tout le territoire de la Polynésie française le périmètre géographique du dispositif d’indemnisation.

Au-delà de la seule réparation d’une injustice discriminante, cette mesure a également un caractère symbolique, en ce qu’elle manifeste à nos compatriotes de Polynésie la reconnaissance de leur contribution à l’efficacité de la politique de dissuasion nucléaire de l’époque.

Je sais enfin que les principales associations représentant les victimes auraient préféré des modifications portant sur l’ensemble de la loi, ainsi que sur d’autres aspects. C’est une voie qu’il ne faut pas exclure si, malgré toutes les améliorations qui ont été apportées et celles qui ne manqueront pas de suivre, dont nous débattons également au sein de la commission de suivi, le dispositif ne répond toujours pas aux attentes légitimes des victimes et si le nombre d’indemnisations demeure d’une faiblesse lui enlevant toute crédibilité.

Un point important, qui focalise l’insatisfaction exprimée par les associations représentant les victimes, a trait à une différence d’interprétation source de contentieux administratifs.

En ce qui concerne la méthodologie de calcul du CIVEN, la réintroduction de la dosimétrie comme critère déterminant pour l’ouverture du droit à indemnisation, alors même qu’elle avait été écartée lors des débats parlementaires, n’a pas respecté l’esprit de la loi, qui avait établi une présomption de causalité excluant le recours à la notion de seuil.

En effet, la méthode employée, qui consiste à calculer la probabilité qu’un cancer soit la conséquence de l’exposition, en fonction notamment des relevés dosimétriques, ne suffit pas, aux yeux des associations de victimes, pour apprécier au cas par cas le dossier du demandeur.

En dernier lieu, dans un même souci d’impartialité du CIVEN, il pourrait être utile d’intégrer au sein de celui-ci un expert médical désigné par les associations de victimes, afin que la procédure d’examen des dossiers soit parfaitement contradictoire, tout en préservant, bien entendu, le secret médical. Je l’avais moi-même proposé à la commission de suivi à l’issue de ma participation, en tant qu’observateur, à une session du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Monsieur le ministre, je souhaiterais donc qu’un point concret sur les améliorations qui pourraient encore être apportées à la loi soit fait lors de la prochaine réunion de la commission de suivi, qui devrait avoir lieu ce mois-ci, comme s’y était engagé le ministre de la défense. Je compte sur vous pour lui transmettre ce message : si nous ne continuons pas à avancer, nous serons tous discrédités.

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