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Les débats

Cette sympathique discussion à cette heure tardive est vraiment un théâtre d’ombres

Débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012 -

Par / 28 février 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir, préalablement au Conseil européen d’après-demain à Bruxelles, a quelque chose de surréaliste.

En effet, monsieur le ministre, à la suite de votre déclaration liminaire, vous solliciterez l’analyse des différents groupes de notre Haute Assemblée, puis nous vous interrogerons sur quelques points particuliers. Mais cette sympathique discussion à cette heure tardive est vraiment un théâtre d’ombres.

Les décisions ont déjà été prises avant et ailleurs, et ce que nous vous disons n’aura qu’un effet limité, voire n’aura aucun effet…

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Michelle Demessine. … sur la décision du Président de la République de signer le traité dit « de stabilité, de coordination et de gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ».

Car c’est bien de la signature de ce traité qu’il s’agira le 1er mars prochain. Vingt-cinq des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne l’adopteront solennellement, en marge de la réunion du Conseil. C’est cet événement qui fera date et qui sera le seul élément que l’Histoire retiendra de ce sommet.

À nos yeux, le grand danger de ce traité, que le chef de l’État signera au nom de la France, est d’être un nouvel instrument antidémocratique pour imposer, sous couvert de discipline budgétaire, la loi des marchés financiers aux États et aux peuples d’Europe.

Ce traité, concocté entre la Chancelière et le Président de la République, aggrave encore les quelques dispositions sur la gouvernance économique et le semblant de solidarité européenne contenus dans son « prédécesseur » de 2005. Le peuple français avait rejeté le précédent traité par référendum, et le chef de l’État le lui avait alors imposé par la voie parlementaire.

Aujourd’hui, nous refuserons le nouveau scénario qui s’annonce.

Dès maintenant nous dénonçons le danger d’une signature du chef de l’État. Nous refusons ce traité, car il est profondément antidémocratique et contraire à l’intérêt national, puisqu’il s’agit de limiter la souveraineté budgétaire des États et de leur dicter leur politique économique et sociale.

De surcroît, c’est de lui que procèdent tous les plans d’austérité qui sont imposés aux pays en difficulté en échange de financements pour tenter de payer leurs dettes.

Cette filiation montre également le lien incontestable et indéfectible qui existe entre les deux projets de loi autorisant la création du Mécanisme européen de stabilité, contre lesquels notre groupe a voté cet après-midi, et le traité que va signer le Président de la République.

En effet, la possibilité pour un État membre de l’Union européenne de participer à ce mécanisme, à ce fonds de soutien, est conditionnée à l’approbation du traité.

Ce n’est qu’à cette condition, en effet, que pourra être activé, à partir du 1er juillet, ce fonds monétaire européen qui a pour mission d’imposer l’austérité aux peuples dont les États n’arrivent pas à financer leurs dettes sur les marchés. C’est la carotte pour accepter les coups de bâtons !

L’intérêt du débat de ce soir pourrait être d’éclairer les enjeux et de montrer toutes les conséquences négatives pour notre pays, pour notre peuple, mais aussi pour l’Europe, d’une signature du chef de l’État.

Fruit de deux mois de laborieux compromis avec l’Allemagne, ce traité vise à instaurer une forme autoritaire de gouvernement économique de la zone euro en prétendant protéger cette dernière contre les attaques spéculatives des marchés financiers et faciliter les prises de décisions rapides qui ont tant fait défaut ces derniers mois.

De nouvelles règles communes, des budgets favorisant le développement économique et social des États membres, des solidarités concrètes entre les pays pour faire face à la puissance déstabilisatrice des marchés, voilà ce dont aurait besoin l’Europe !

Or ce qui sera avalisé par Nicolas Sarkozy à Bruxelles n’est qu’une fausse solidarité, qui enfoncera un peu plus encore les pays dans leurs difficultés.

Ce traité, bien que l’objectif affiché soit de lutter contre les marchés financiers pour protéger la zone euro de leurs attaques ne se donne, en réalité, pas les moyens de cette politique, et ce tout simplement parce que les gouvernements des pays membres n’en ont pas la volonté.

Tout au contraire, les dispositions prévues, que ce soit l’instauration de la règle d’or, ou plutôt comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Chevènement, de la « règle d’airain » interdisant tout déficit budgétaire, ou les sanctions automatiques contre les États contrevenants vont précisément dans le sens de la logique de l’austérité économique et sociale réclamée par les marchés.

Pourtant, l’expérience des derniers mois a démontré combien la mise en œuvre des politiques d’austérité était totalement inefficace pour résoudre la crise qui secoue l’euro.

Prenons garde : si cette crise n’était pas jugulée, elle détruirait les économies européennes les unes après les autres. C’est pour cela qu’il faut changer de méthode.

Si notre groupe est si vivement hostile à cette signature, c’est qu’il considère que la méthode et les politiques publiques qu’il inspire sont mauvaises et dangereuses pour les économies et les peuples. Elles vont même à l’encontre des objectifs affichés.

Ce sont justement ces politiques qui alimentent la crise. Ce sont ces politiques d’austérité qui, en comprimant la demande, font reculer l’activité, ce qui à son tour réduit les rentrées fiscales et creuse encore plus les déficits. Partout où elles ont été mises en œuvre, les résultats parlent d’eux-mêmes. Les pays se sont enfoncés dans la récession, ils ont subi un appauvrissement sans précédent, ils sont accablés par le chômage et atteints dans leur dignité même.

Tout cela s’accompagne d’un démantèlement systématique des services publics, des systèmes sociaux, du droit du travail, ce qui provoque la colère des peuples et prépare dans certains pays un véritable séisme social.

Peut-on parler de solidarité pour aider les pays menacés par les attaques des marchés financiers quand, par exemple, le produit intérieur brut de la Grèce a diminué de près de 20 % depuis le début de la crise, et que les salaires et les retraites, en baisse, seront bientôt au même niveau qu’en Roumanie ? Est-ce là le résultat d’une vraie solidarité européenne envers les victimes des marchés financiers ?

Les prévisions de la Commission européenne présentées jeudi dernier sont l’éclatante illustration de ce que ce mécanisme dit de « soutien » ne préconise qu’une austérité asphyxiant l’économie réelle et empêchant la croissance.

La Commission européenne a tout simplement annoncé la récession dans la zone euro, avec un recul du PIB de 0,3 %, et une quasi-absence de croissance dans l’Union. Huit des dix-sept États de la zone euro, la Grèce en tête, mais aussi le Portugal, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique seront en récession.

La France et l’Allemagne, quant à elles, comme l’ensemble des vingt-sept, ne connaîtront qu’une croissance infime de 0,4 % à 0,6 %.

Le Mécanisme européen de stabilité dont le Sénat, à l’exception de notre groupe, a accepté la mise en place, aggravera ces politiques, car il se fonde sur la même logique que son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité. La seule différence, maintenant, est qu’il est pérenne et que les décisions seront plus rapides à prendre. Elles seront donc mieux imposées aux États.

On peut d’ores et déjà douter de l’avenir du MES, car Standard & Poor’s vient de le placer sous perspective négative. Par ailleurs, l’Allemagne a annoncé qu’elle ne céderait pas face à ceux qui demandent déjà le renforcement de ce prétendu pare-feu européen. Le sommet des membres de la zone euro consacré à cette question, prévu vendredi, vient d’ailleurs d’être ajourné.

Le dispositif lié à l’adoption du traité va au-delà de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent au niveau européen en matière d’abandon de souveraineté, d’opacité et de recul démocratique.

Il implique une perte évidente de souveraineté budgétaire puisque c’est le regroupement des gouverneurs de ce fonds qui décidera du dépassement de son plafond, sans l’avis des Parlements nationaux.

Sous la direction du condominium franco-allemand, une mécanique implacable de contrôle et de corsetage des finances publiques nationales se met en place.

Mesurez bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, pour la fameuse troïka que sont la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI invité à participer à l’affaiblissement des économies européennes, ce qui se passe en Grèce est une expérience grandeur nature pour démanteler les droits démocratiques et sociaux partout en Europe. La Grèce est leur laboratoire. Et ce sont ces politiques, formalisées dans un traité, que le chef de l’État et votre gouvernement acceptent de faire inscrire dans le marbre des législations nationales !

Cette discipline budgétaire aveugle, contraint les États, sous prétexte de mieux maîtriser leurs finances publiques, à voter des budgets équilibrés en limitant leur déficit structurel à 0,5 % de leur PIB. Réclamée par l’Allemagne, cette règle est impitoyable avec ceux qui l’enfreindraient puisque des amendes sont prévues, allant jusqu’à 0,1 % du PIB, sans parler des sanctions quasi automatiques pour les pays affichant un déficit supérieur à 3 % du PIB.

Cette règle d’airain, plutôt que d’or, pourrait apparaître aux naïfs comme un élément d’une saine gestion des affaires publiques, comme cela a été dit à de nombreuses reprises à cette tribune. Il n’en est rien, car ses conséquences sont contraires à nos principes démocratiques.

Son principal danger est de limiter la souveraineté parlementaire sur le budget en nous obligeant, notamment, à soumettre à Bruxelles, préalablement à leur adoption, les projets de lois de finances. Il place ainsi les budgets nationaux sous la tutelle des institutions européennes, mais aussi indirectement du Fonds monétaire international.

Accepter cela, ce sera pour un gouvernement accepter d’avance de renoncer à la liberté de décider de la politique qu’il veut appliquer, à la liberté de mener une politique de transformation sociale. Tout se fera en vertu de dispositions contraignantes et permanentes venues d’ailleurs, et qui s’imposeront à nos lois de finances.

Dans ces conditions, que devient l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’un des fondements de la Constitution, aux termes duquel « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » ?

Qu’en est-il aussi de l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale » ?

Soumettre ainsi nos budgets à une institution supranationale composée de technocrates non élus est clairement incompatible avec nos principes constitutionnels. Je le répète avec force : les fondements même de ce traité heurtent fondamentalement les principes démocratiques énoncés dans la Constitution.

De ce point de vue, à la veille d’échéances électorales qui peuvent changer l’avenir de notre pays, il n’est pas souhaitable que le Président de la République sortant décide, seul, aujourd’hui, de mettre des principes constitutionnels en cause lors du prochain Conseil européen.

Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cécile Cukierman. Très bien !

Mme Michelle Demessine. Lorsqu’il faudra, dans quelque temps, ratifier ce traité qui comprend tant de mesures néfastes pour l’intérêt national et pour les peuples d’Europe, il faudra consulter notre peuple pour qu’il s’exprime en toute connaissance de cause. Nos institutions le permettent, et le futur Président de la République, quel qu’il soit, devra choisir la voie du référendum !

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à la veille de ce Conseil européen.

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