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Les débats

Comment débattre du rôle de la France lorsque le Gouvernement accepte de participer à la course au moins-disant social et applique au plan national les recettes qui nous mènent droit vers la déflation ?

Action de la France pour la relance économique de la zone euro -

Par / 19 novembre 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2008 la Commission européenne proposait un plan de relance de 200 milliards d’euros qui visait à protéger les travailleurs, les ménages et les entrepreneurs risquant, selon elle, d’être frappés par la crise financière naissante dont les effets commençaient à se faire sentir très nettement. Elle suggérait d’investir davantage dans le développement des compétences professionnelles, afin d’aider les personnes à conserver leur emploi ou à réintégrer le marché du travail, et de soutenir le pouvoir d’achat pour créer de la croissance. En résumé, il s’agissait d’apporter une réponse coordonnée à l’aggravation de la crise économique. Malheureusement, nous n’en avons jamais vraiment vu la couleur !

Aujourd’hui, M. Juncker nous annonce un plan de relance de 300 milliards d’euros qui nous laisse quelque peu dubitatifs, vous l’avez souligné, monsieur Yung. « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! » disait une grande élue du Nord. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. La grand-mère ! (Nouveaux sourires.)

M. Éric Bocquet. En effet, personne ne sait d’où viendront ces fonds, faute de crédits budgétaires à Bruxelles comme dans les capitales européennes. Ne serait-ce qu’un effet d’annonce supplémentaire ? D’autant que, M. Juncker l’a précisé, les règles budgétaires imposées par l’Union européenne resteront inchangées.

Pourtant, les tendances de l’investissement en Europe demeurent inquiétantes, la courbe du chômage ne cesse d’augmenter sans réelle perspective d’amélioration à ce jour, une part de la population s’est fortement paupérisée, le tout étant lié à l’incapacité des États et des collectivités locales à s’engager financièrement et politiquement. Le rapport annuel de l’INSEE publié aujourd’hui en est une illustration édifiante.

Selon de nombreuses études, la chute de l’investissement en Europe depuis 2008 est deux fois plus prononcée qu’aux États-Unis et au Japon. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro était, au début de 2014, inférieur de 15 points à celui de 2007 et ne représentait plus que 19 % du PIB de la zone euro, contre 25 % aux États-Unis.

Pis, le volume de l’investissement public était en 2013 deux fois plus faible que celui des États-Unis. En trente-cinq ans, il a été divisé par deux en raison de choix européens et nationaux contre-productifs.

Certes, plusieurs éléments expliquent ce recul de l’investissement, mais nous savons aujourd’hui que c’est l’aveuglement des décideurs européens qui « plombe » l’économie européenne ; c’est la poursuite de politiques d’austérité budgétaire excessives et de baisse du coût du travail qui empêche la reprise et conduit la zone euro, comme le révèlent de nombreux analystes et autres prix Nobel, vers la déflation, laquelle entrave à son tour le désendettement des États. Pourtant, selon nous, la dette peut être un levier de croissance dès lors qu’elle finance l’investissement public utile.

Nous débattons aujourd’hui, sur l’initiative du groupe socialiste, de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Permettez-moi d’exprimer une certaine perplexité.

Certes, M. le Président de la République a demandé à ses homologues européens de « garantir une politique budgétaire équilibrée au niveau de la zone euro et de débattre des conséquences des décisions nationales sur l’ensemble de l’Europe, afin notamment d’éviter que les politiques de compétitivité menées simultanément ne prolongent la situation de faible inflation, pesant d’autant sur les efforts de désendettement » des États. Il a également réclamé « une application des règles budgétaires favorable à l’investissement et à l’emploi ». Autrement dit, il a souhaité que les politiques européennes soient réorientées vers la croissance. Toutefois, tout en reconnaissant les limites de ces dernières, il demandait aussi plus d’indulgence et de patience aux États et institutions européennes, afin de mettre en œuvre les réformes voulues par Bruxelles.

Ainsi, le Gouvernement continue toujours à défendre l’austérité, à mettre à mal nos services publics, notre protection sociale, le code du travail, à assécher les dotations des collectivités territoriales pourtant déjà à bout de souffle, à utiliser l’argument du coût du travail pour casser un peu plus notre modèle économique et social, bref, à mettre en œuvre le pacte de stabilité, alors même que celui-ci tarde à apporter la preuve de son efficacité.

Comment débattre du rôle de la France lorsque le Gouvernement accepte de participer à la course au moins-disant social et applique au plan national les recettes qui nous mènent droit vers la déflation ? Comment débattre du rôle de la France lorsque la politique économique prônée depuis 2012 – avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et, depuis 2014, le pacte de responsabilité et de solidarité – est une politique de compétitivité réductrice ?

Cette politique n’est pas très crédible et manque de cohérence.

De surcroît, le Président de la République demande une amélioration du fonctionnement de la zone euro à traités constants, alors que ce sont l’architecture, les pouvoirs et les missions de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement qu’il faut remettre à plat. Ce sont le mécanisme européen de stabilité et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qu’il faut dénoncer. C’est enfin au déficit démocratique qu’il faut remédier.

N’est-ce pas le Président de la République qui, au mois de juin 2012, avait pris l’engagement très clair de renégocier le traité européen en privilégiant la croissance et l’emploi, et en réorientant le rôle de la Banque centrale européenne ?

Que dire encore de la réallocation des fonds structurels vers des objectifs de croissance alors que ces fonds correspondent à une politique de solidarité et de convergence à l’égard des régions les moins développées d’Europe et que cette réallocation remet en cause les propres perspectives de développement de celles-ci en matière de projets structurants et d’investissements d’avenir ? De nombreuses autres questions mériteraient beaucoup plus qu’un débat.

Pour nous, la crise de l’euro est une crise de la construction européenne.

Un projet européen digne de ce nom est un projet volontariste et un projet que les peuples européens pourraient s’approprier. Il suppose une Europe libérée de la tutelle des marchés financiers, des dogmes néolibéraux et de l’orthodoxie budgétaire.

Cette rupture, que la France devrait soutenir, serait, selon nous, un préalable à la fondation d’une Europe démocratique et sociale. En effet, chacun le constate, aujourd’hui l’Europe ne fait plus rêver ; elle génère même beaucoup d’inquiétudes qui aboutissent à des attitudes de rejet et parfois de repli.

Pourtant, le marché unique devait enclencher une dynamique favorable à la croissance économique et à l’emploi ; la monnaie unique devait nous mettre à l’abri de crises financières éventuelles. Malheureusement, l’échec en la matière est patent, et personne ne s’en réjouit. En dépit de ce constat, les gouvernements européens et le gouvernement actuel s’entêtent dans l’erreur politique et la faute morale que représente l’offensive contre les dépenses publiques et les droits sociaux.

Nous pensons que l’heure est venue de réorienter radicalement la construction européenne vers des objectifs de croissance et de solidarité, dans l’unique intérêt des peuples !

L’interdiction dogmatique du déficit structurel et du déséquilibre budgétaire revient à condamner cette forme d’endettement qu’est l’investissement public. Or celui-ci, on le sait, est un moteur de croissance, de création de richesses et d’emploi ; nous avons défendu cette position à maintes reprises dans cet hémicycle, et nous continuerons de le faire. Cette voie est religieusement bannie, proscrite, en faveur d’une relance économique par l’austérité : quelle gageure !

La reconstruction européenne passe par une déconstruction des règles et doctrines de la zone euro, par une réorientation des priorités en faveur de l’investissement public, social et écologique. Le rôle de la Banque centrale européenne doit être modifié et mis au service de ces objectifs. La crise économique actuelle devrait être l’occasion pour l’Union de se doter d’un socle commun de droits sociaux minimaux universels, indépendants du travail, car celui-ci n’est pas garanti. Nous en sommes loin, et le dernier arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne relatif au prétendu tourisme social est pour nous un motif d’inquiétude extrême.

La solidarité entre États membres est en panne, si tant est qu’elle ait jamais véritablement fonctionné ; il nous faut d’urgence la renforcer. Toutefois, la solution se situe aussi en dehors des institutions. Il est décisif et urgent de donner la parole aux peuples européens, aux peuples souverains et de la respecter, pour qu’ils puissent décider eux-mêmes des orientations du projet européen.

Une telle responsabilité historique ne saurait légitimement être assumée par les seules institutions de l’Union.

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