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Les débats

Il est décisif pour l’Europe d’avoir recours à ses propres lanceurs

Enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne -

Par / 26 mars 2013

Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, ce débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne tombe à point nommé, à la suite de la réunion des ministres en charge de l’espace des États membres de l’Agence spatiale européenne, l’ESA. Lors de cette réunion qui s’est tenue à Naples au mois de novembre dernier, les États engagés dans la réalisation de la politique spatiale européenne ont tenté de définir les axes et les contours de cette politique pour la décennie qui vient. Ils ont pris un certain nombre de décisions attendues tant par les acteurs de l’industrie spatiale que par les usagers, qu’ils soient institutionnels ou commerciaux.

En tant que parlementaires qui se préoccupent de la défense des intérêts nationaux, nous nous devons d’être attentifs à la politique menée par notre pays dans ce secteur crucial pour l’avenir de la planète tout entière. À cet égard, les enjeux de la réunion de Naples ont été très bien exposés dans l’excellent rapport que nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont publié au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Dans ce rapport qui justifie notre présent débat, nos collègues ont également fait d’utiles recommandations sur les perspectives du secteur spatial, dont la réunion de Naples a montré qu’il était à la croisée des chemins face aux nouveaux défis qu’il devrait relever au cours des dix prochaines années.

En effet, la situation a considérablement changé depuis la création de l’ESA, il y a maintenant près de quarante ans. De nouveaux acteurs, publics et privés, sont apparus et, avec eux, une concurrence qui s’exacerbe d’année en année. Ce sont aussi les modes de fonctionnement de l’Europe spatiale qui ont grandement évolué, en particulier depuis que le traité de Lisbonne, en 2009, a attribué à l’Union européenne une compétence dans ce domaine.

Ces données sont bien connues des spécialistes de la question, dont je ne suis pas, mais je les rappelle pour situer le contexte dans lequel évolue désormais l’Europe spatiale ; c’est notamment en fonction de ces données que doivent être prises les décisions dans les sommets européens consacrés à la politique spatiale.

Toutefois, d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Car si la politique spatiale européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins, c’est que, fondamentalement, elle n’a pas trouvé l’équilibre entre la nécessaire réponse aux besoins humains, économiques et industriels et la recherche d’une rentabilité financière fondée sur la seule réduction des coûts de production.

Le conseil interministériel de l’ESA a tenté de définir les besoins de l’Europe en matière de lanceurs sur une décennie. De fait, l’Europe est confrontée à un questionnement qui doit déboucher sur des options décisives pour l’avenir : il lui faut soit se plier à une logique purement commerciale de marchandisation des lancements, soit considérer les moyens de lancement comme une dimension stratégique de sa politique spatiale. Aujourd’hui, on doit malheureusement constater que la recherche d’une rentabilité financière rapide prime la réponse aux besoins humains. À cet égard, la réunion de Naples a été tout à fait significative de l’état d’esprit actuel des responsables européens.

Pourtant, il faut bien que des décisions fortes soient prises au niveau européen pour préserver la capacité de l’Europe à assurer son accès à l’espace. Dans cette perspective, la question des lanceurs est déterminante. C’est la raison pour laquelle la conférence interministérielle de l’ESA s’était fixé les objectifs suivants : définir les grands axes des architectures de lanceurs, notamment sous l’angle de la propulsion, et réduire les coûts de lancement d’environ 20 % en diminuant de façon drastique les financements publics, ce qui conduit à se plier à une logique commerciale dans le cadre d’une concurrence exacerbée. Les choix technologiques sont alors opérés en fonction de cette seule logique.

Je relève avec satisfaction que, dans leur rapport, nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont fait l’intéressante proposition d’instaurer dans le domaine spatial un principe de réciprocité avec nos partenaires non européens, afin de lutter contre la fermeture par certains d’entre eux de leur marché. Reste que la logique purement commerciale choisie par les responsables européens ne permettra pas d’inverser la tendance : il faudrait admettre qu’il est décisif pour l’Europe d’avoir recours à ses propres lanceurs pour assurer le maintien de son autonomie d’accès à l’espace.

Certes, en décidant le lancement du programme Ariane 6, l’ESA a fait le choix judicieux de remplacer les vieux Soyouz par une solution européenne. Toutefois, on peut estimer qu’elle n’a pas fait preuve de beaucoup de détermination, puisqu’elle a timidement limité à deux ans le développement d’Ariane 5 ME avec ses moteurs Vinci et Vulcain. Souhaitons que la prochaine conférence interministérielle de l’ESA, prévue en 2014, décide enfin de donner une suite positive à Ariane 6 et à Ariane 5 ME !

À l’arrière-plan de ces aspects économiques et technologiques se pose une question fondamentale : la nécessaire clarification de la gouvernance de la politique spatiale européenne. À ce sujet, le groupe CRC souscrit à la plupart des recommandations formulées dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. En particulier, il soutient la proposition d’établir un véritable programme spatial de l’Union européenne à horizon de dix ans, dans le cadre duquel l’ESA et les agences spatiales nationales seraient les interlocuteurs privilégiés de la Commission de Bruxelles.

Pour notre part, nous considérons qu’afin que l’Union européenne puisse retrouver une politique spatiale ambitieuse, il est nécessaire que les agences reprennent la main sur les industriels privés et se dotent de règles de solidarité. Il faut également favoriser les rapprochements entre l’ESA et les agences nationales, afin d’améliorer leur coopération ; nous pourrons ainsi, conformément aux préconisations du rapport, éviter les doublons et mieux utiliser les compétences réparties sur l’ensemble du territoire européen.

Chez nous, il faut que le CNES retrouve son rôle de maître d’œuvre des programmes spatiaux et qu’il coopère plus étroitement avec l’ESA, dont le fonctionnement et les processus de prise de décision doivent être plus transparents ; il faudrait en particulier en rationaliser les règles de fonctionnement et établir une répartition plus équitable des retombées économiques pour chaque pays.

Pour ma part, j’estime qu’afin de pallier la diminution des investissements publics, il faut exiger des industriels du secteur une participation accrue des capitaux privés à la relance de la politique spatiale européenne. C’est une question primordiale pour assurer l’avenir commun de nos sociétés. C’est aussi une exigence de justice et d’intérêt général pour des entreprises qui ont largement fait profiter leurs actionnaires d’activités très rentables. Si les entreprises concernées n’acceptaient pas cette responsabilisation sociale, l’État devrait envisager d’entrer dans leur capital ; après tout, c’est bien ce qui s’est produit dans le secteur bancaire de certains pays qui ne sont pas forcément les moins libéraux !

S’agissant enfin de quelques questions plus précises, j’estime, compte tenu de la position que je viens de présenter, qu’il faut maintenir la part de l’État français dans le capital d’EADS, nous opposer fermement à l’acquisition de l’entreprise Avio par l’américain General Electric et favoriser sans ambiguïté l’engagement européen sur une gamme pérenne de lanceurs fondée sur Vega, Ariane 6 et Ariane 5 ME.

Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter, au nom du groupe CRC, sur la politique spatiale européenne.

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