Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Il faut impérativement préserver la clause de compétence générale

Collectivités locales et culture -

Par / 10 juin 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer la relation entre culture et collectivités territoriales revient à poser avec force la question de la décentralisation culturelle, ainsi que celle, non moins essentielle à mes yeux, de la démocratisation culturelle.

La richesse du paysage culturel et artistique, la vitalité de la création que doit garantir une politique culturelle digne de ce nom ne se conçoivent en effet que dans une perspective d’exigence démocratique en termes d’accès à la culture.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle primordial et déterminant dans ces domaines. Elles contribuent pleinement au dynamisme de la culture française, à côté de l’État, dans des domaines tels que le livre, avec les bibliothèques et les médiathèques, la musique, avec les écoles et les conservatoires, le spectacle vivant, avec les troupes en résidence, les arts de la rue.

Elles sont en réalité les principaux financeurs de l’action culturelle en France puisque les budgets qu’elles y consacrent annuellement dépassent le budget de l’État attribué à la culture !

Les collectivités territoriales trouvent pleinement la spécificité et le sens de leur intervention dans la relation de proximité qu’elles entretiennent sur leurs territoires, avec leurs habitants, pour réaliser l’objectif d’accès de toutes et de tous aux œuvres culturelles.

Ainsi, l’action des collectivités, consacrée par les différentes phases de décentralisation, doit, à mon sens, être intimement liée à la volonté de lutte contre les inégalités culturelles, territoriales ou sociales. Elle doit permettre de s’assurer que tous les citoyens, quels que soient leur lieu de résidence et leur milieu, ont accès à la culture.

Malraux, en 1966, parlait de la « culture pour chacun » à propos de la responsabilité de l’État dans cette mission : garantir l’accès de tous ceux qui le souhaitent à la culture et développer une offre culturelle sur tout le territoire, en particulier pour la jeunesse. Il la concevait alors comme un déploiement des services culturels sur l’ensemble du territoire : les services déconcentrés, les maisons des jeunes et de la culture. Cela trouvera une suite avec les lois de décentralisation, à partir de 1982.

La culture pour tous, c’est aussi, j’en suis convaincu, dans le prolongement de Jean Vilar et d’Antoine Vitez avec son « théâtre élitaire pour tous », le souci d’allier démocratisation culturelle et exigence artistique. C’est accompagner les publics les plus éloignés de la culture par une action spécifique, qui permette la rencontre entre artistes, œuvres et population. En réalité, il s’agit de réduire la distance symbolique qui existe entre les milieux populaires et la culture, encore assimilée au monde « bourgeois ».

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bosino. C’est à tout cela qu’œuvrent, ou devraient pouvoir œuvrer, les collectivités locales.

En matière de réduction des inégalités territoriales, les collectivités jouent donc un rôle fondamental, qui suppose également une volonté forte d’accompagnement, d’aide et de soutien de la part de l’État.

La coopération à tous les échelons d’intervention est en effet la clé de la vitalité culturelle : tous participent au financement, au rayonnement de projets, de structures, de compagnies qui ont besoin de cette complémentarité pour exister.

Effectivement, cela a été dit, la compétence dans le domaine culturel est partagée, et elle doit le rester. Les lois de décentralisation ne précisent d’ailleurs pas les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales en matière de financements, ce qui permet à chacun de se saisir de cette question. La clause de compétence générale donne la possibilité d’agir dans le domaine culturel, mais ne confère pas de compétence obligatoire ou exclusive.

L’annonce d’une énième réforme des collectivités territoriales pourrait remettre en cause cette clause et cet équilibre déjà très précaire, à l’image de la précarité des intermittents du spectacle. Eu égard aux objectifs d’une telle réforme, les enjeux culturels risquent fort d’être négligés, car rien ne garantit leur pérennité. Ainsi, la clause de compétence générale, supprimée par l’ancien gouvernement et tout juste rétablie par le nouveau, serait finalement remise en cause. Telle est du moins l’annonce qu’a faite le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Or c’est précisément cette clause de compétence générale, avec la possibilité qu’elle ouvre d’effectuer des financements croisés, qui permet au milieu culturel de vivre – plus précisément, de survivre – via la participation de collectivités locales de divers niveaux. Il faut donc impérativement la préserver.

L’action culturelle locale est fondée sur l’entente et la coopération de différents acteurs, parmi lesquels figure l’État. Comment les collectivités locales vont-elles pouvoir continuer leur action culturelle quand, outre la perte envisagée de la clause de compétence générale, une ponction de 11 milliards d’euros va d’ores et déjà être opérée dans leurs budgets ? Rappelons également que la réforme des rythmes scolaires, qui aurait pu permettre une véritable avancée dans l’accès à la culture des enfants, va surtout se traduire par une dépense supplémentaire considérable.

Pour indispensables que soient les collectivités locales, elles ne peuvent jouer leur rôle si l’État se désengage de ses missions et de ses responsabilités financières.

Si les mots ont un sens, la décentralisation correspond bien à un transfert de missions de l’État vers les communes, départements et régions, ce transfert de compétences devant alors s’accompagner d’un transfert de financements, c’est-à-dire par le versement de dotations de l’État aux collectivités locales à la hauteur des missions qui leur sont confiées.

Or, force est de le constater, le montant de ces dotations n’a jamais été estimé à la juste valeur des missions des collectivités locales et, plus grave, il n’a en fait cessé de diminuer.

Le précédent gouvernement dénonçait la prétendue « folie fiscale » des collectivités territoriales. Si les termes employés sont moins provocateurs aujourd’hui, malheureusement, le discours n’a pas fondamentalement changé.

Telle est la situation que nous connaissons, alors que les moyens des collectivités locales ont déjà été rigoureusement réduits en 2009 par le biais de la suppression de la taxe professionnelle appliquée aux entreprises ! Rappelons que cette taxe représentait plus de 50 % des moyens propres des collectivités locales.

Nous sommes donc particulièrement préoccupés, car la capacité d’intervention de celles-ci, dans le domaine de la culture peut-être encore plus dans d’autres secteurs, va s’amenuiser, ce qui éloignera la perspective d’un développement territorial équilibré de la culture et remettra en cause l’existence de certaines compagnies et structures particulièrement fragiles.

En effet, la culture est toujours la première que l’on sacrifie. Mais comme le dit Jack Ralite dans sa lettre au Président de la République : « La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. »

C’est avec cette vision que, pour ma part, en tant qu’élu local et avec mes collègues, j’ai jusqu’à présent, malgré les diminutions budgétaires, maintenu les financements du budget culturel de ma ville et de sa salle de spectacles. Un tel choix est malheureusement trop rare, et surtout de plus en plus difficile à faire d’année en année, car les mauvaises nouvelles ne cessent de pleuvoir.

La situation financière mène à des décisions absurdes. Je pense, par exemple, aux compagnies en résidence – il en existe une dans ma ville –, dont on réduit le budget consacré à la production tout en épargnant le budget dédié à la diffusion. Mais que diffuseront-elles, à terme, si elles n’ont même plus les moyens de créer ?

L’annonce de la baisse des dotations de l’État ne nous permet pas d’être optimistes quant à la capacité de financement d’un véritable service public de la culture. Le désengagement de ce même service public est dramatique, car on abandonne, ce faisant, la culture à des intérêts privés qui se substituent au vide laissé peu à peu par l’action publique. Nous sommes bien loin de la vision pourtant développée et défendue par la France avec la notion d’exception culturelle !

Attachés à ne pas considérer les biens et les services culturels comme de simples marchandises, en raison du sens et des valeurs que la culture porte en elle, nous nous opposerons ainsi à tout ce qui, dans une réforme des collectivités locales, pourrait provoquer une nouvelle déstabilisation de l’action culturelle, de la même manière que nous combattrons toute diminution du budget de la culture, qu’il s’agisse de celui de l’État ou des moyens que lui consacrent les collectivités locales.

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