Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Il faut limiter la prolifération législative

Ediction des mesures réglementaires d’application des lois -

Par / 12 janvier 2011

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que le Gouvernement s’est préoccupé du problème de la publication des décrets d’application des lois et qu’il s’est même fixé un délai de six mois en la matière.

Toutefois, comme tous les orateurs l’ont souligné, chiffres à l’appui, la situation ne s’est pas améliorée, contrairement à ce que l’on entend dire parfois. Si le phénomène est très ancien – nous ne pouvons l’imputer au gouvernement actuel ni à celui qui l’a précédé –, il n’est pas en voie de résorption et s’est même accentué entre les années parlementaires 2008-2009 et 2009-2010.

Le nombre des mesures réglementaires prévues par les lois votées est également révélateur, et tout à fait préoccupant. Dès lors que 35 des 59 lois votées en 2009-2010 appelaient 670 mesures réglementaires, on peut du reste s’interroger sur les définitions respectives de la loi et du règlement et sur la frontière entre ces deux catégories de textes.

De même, chacun peut constater qu’une dégradation s’est produite entre 2008-2009 et 2009-2010. Sur dix-huit lois requérant un suivi réglementaire et votées avant le 31 mars 2010, seules trois ont été appliquées en totalité dans les six mois suivants, en dépit des déclarations du Gouvernement et des objectifs qu’il avait affichés. Hélas, il n’existe aucune perspective d’amélioration de la situation.

Les procédures accélérées concernaient la moitié des projets de loi en 2008-2009, contre un tiers en 2009-2010, sans compter celles qui sont de droit. Elles sont censées marquer les priorités du Gouvernement et requièrent, elles aussi, de nombreuses mesures réglementaires. C’est d’ailleurs logique : pour aller vite, il faut, en fait, dessaisir le Parlement des questions qui peuvent retarder le vote de la loi et laisser le Gouvernement prendre – ou non, selon ses intentions – les nombreux décrets nécessaires. La procédure accélérée ne règle donc pas le problème, bien au contraire.

En ce qui concerne la remise de rapports par le Gouvernement, qui semble manifester une certaine bonne volonté, l’évaluation est quasi inexistante. Les auteurs des deux rapports disponibles sur la question évoquent un « bilan positif mais perfectible ». Perfectible, c’est évident ; positif, j’en doute fort !

Devant une situation aussi désastreuse, quelques propositions sont avancées.

Premièrement, les décrets pourraient accompagner le dépôt des projets de loi. L’idée n’est pas nouvelle, cela vient d’être dit. Nous pouvons certes y réfléchir, mais sa mise en œuvre suppose tout de même que l’administration travaille deux fois sur les décrets, sauf à considérer que le texte des projets de loi est voté exactement comme le souhaite le Gouvernement, ce qui pose tout de même problème au regard de la liberté du Parlement.

Deuxièmement, les moyens nécessaires devraient être accordés à l’administration. Toutefois, cette proposition se heurte à la RGPP…

Troisièmement, des échéanciers prévisionnels seraient mis en place. J’y suis favorable, à condition qu’il y ait un contrôle.

Quatrièmement, une information serait apportée sur les motifs de retard.

Franchement, tout cela relève du bricolage ! Les raisons du problème sont ailleurs, je le souligne après d’autres.

En fait, la loi, normalement destinée à établir des règles durables, cohérentes et lisibles, est depuis longtemps détournée de son objet.

Comme le note la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans un avis sur l’élaboration des lois du 15 avril dernier, on assiste à « une prolifération de textes législatifs relevant davantage de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi ». Certains de nos collègues ont eu souvent l’occasion de le souligner.

En outre, depuis 2002, une inflation législative sans fin est à l’œuvre : les lois se succèdent, s’empilent, parfois se contredisent. La loi est instrumentalisée pour afficher de prétendues réponses de l’exécutif à une opinion publique elle-même manipulée par le biais des médias, avant, pendant et après l’examen des textes.

Nous avons examiné plus de vingt lois pénales qui bouleversent le droit et la procédure en la matière... Et ce n’est pas fini, si j’en crois les prévisions qui sont faites.

Dans ces conditions, le droit est de plus en plus complexe et instable, de moins en moins intelligible, ce qui pose problème non seulement pour la démocratie, dans les rapports entre le Parlement et l’exécutif, mais aussi au regard du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, que chacun est censé connaître précisément. Enfin, tous ceux qui sont chargés d’appliquer le droit rencontrent des difficultés.

Comme le soulignait récemment le procureur général près la Cour de cassation, M. Nadal, « le propre de la justice est de fixer les repères qui nous viennent de la loi, pour donner force et contenu au pacte social d’une société moderne et démocratique ». Mais encore faut-il que la loi donne des repères et soit suffisamment pérenne ! Or, précisément, tel n’est plus le cas, nous semble-t-il.

Quant aux lois dites de « simplification », elles ne font souvent que complexifier le droit ou servent à régler des problèmes qui ne devraient pas être abordés au travers de tels textes. La dernière en date de ces lois le montre bien !

Mme Nathalie Goulet. Elle a empiré les choses !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai déjà évoqué le recours à la procédure accélérée. Outre que celui-ci n’a pas diminué le nombre des mesures réglementaires qui doivent être adoptées et qui ne le sont pas, il n’a pas restreint le temps d’élaboration de la loi et nuit donc à la qualité du droit.

Nous constatons d’ailleurs que certaines mesures d’application ne sont pas prises parce qu’elles portent sur des dispositions inapplicables, ce que l’on ne découvre qu’après le vote de la loi !

D’autres mesures restent lettre morte faute de programmation financière. On tarde donc volontairement à les appliquer.

Tout cela manifeste à l’évidence une insuffisance patente et persistante dans deux domaines.

D’une part, le contenu de l’étude d’impact désormais obligatoire préalablement à la modification du droit existant ou à la création d’un droit nouveau n’est apparemment pas suffisant.

D’autre part, le droit perd de sa cohérence du fait de la prolifération des lois.

Le problème vient aussi de ce que la révision constitutionnelle n’a en rien revalorisé le rôle du Parlement. Pour prendre un exemple récent, la réforme des collectivités locales, telle qu’elle a été adoptée, est significative, sur le fond comme sur la forme, de l’impuissance du Parlement dans notre système institutionnel.

L’exécutif détient toutes les clefs de la procédure parlementaire grâce à sa majorité obligée. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Qui plus est, par le jeu des décrets d’application, sur lesquels n’existe aucun contrôle réel, il maîtrise entièrement l’application de la loi.

Ainsi, monsieur le ministre, on peut constater que sont assez rapidement appliquées, outre les lois qui ne nécessitent pas de mesures réglementaires, celles qui organisent votre politique libérale, c’est-à-dire les transferts du public au privé, ou qui détricotent le droit social. J’ai ainsi observé que la loi sur le travail du dimanche, celle qui porte sur la modernisation du marché du travail et celle qui est relative aux partenariats public-privé étaient appliquées à 100 % !

Comme l’a souligné Nathalie Goulet, la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévisions, à laquelle s’attachaient des enjeux économiques très importants, a même précédé le vote de la loi ! Comme vous le savez, mes chers collègues, le Conseil d’État, saisi par les membres de mon groupe, a sanctionné cette atteinte à la procédure législative.

En revanche, pour les lois qui exigent des financements de l’État à d’autres fins que l’aide à ceux qui ont déjà beaucoup, le Gouvernement se montre généralement bien moins pressé. Yvon Collin et Jean-Pierre Sueur en ont donné des exemples. J’en citerai un seul, qui me tient à cœur : déposée sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008, la loi pénitentiaire, examinée selon la procédure accélérée, a été promulguée plus d’un an après, le 24 novembre 2009. Le 23 décembre dernier, seuls trois de ses décrets d’application avaient été pris !

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas glorieux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est vrai que ce texte, pourtant très modeste dans ses ambitions – c’est pourquoi je ne l’ai pas voté –, présenté comme l’aboutissement de vingt ans de mise en cause sévère de la France sur l’état de ses prisons, n’a guère suscité l’enthousiasme du Gouvernement et de la majorité. Les budgets qui se succèdent depuis son adoption montrent d’ailleurs qu’il n’est pas près d’être appliqué !

Pour conclure, je formulerai plusieurs questions ou propositions.

Avant tout, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je vous suggérerai de faire une pause législative.

M. Patrick Ollier, ministre. Mission impossible ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est effectivement qu’une boutade, car je sais bien que le Gouvernement n’en prend pas le chemin ! C’est pourquoi je présenterai cette idée sous une autre forme.

Premièrement, il faut limiter la prolifération législative, en œuvrant dans trois directions. D’abord, le Parlement doit refuser des lois d’affichage dépourvues d’effet, comme les deux textes sur les chiens dangereux, ce qui implique d’obliger le Gouvernement à une évaluation sérieuse de toute nouvelle loi, sous peine que celle-ci ne soit pas examinée. Ensuite, il faut améliorer la qualité de la loi, qui doit être précise et claire, afin que les mesures réglementaires à prendre soient simples et non pas explicatives de la loi elle-même. Enfin, le Parlement doit refuser de légiférer à répétition sur les mêmes sujets, dans des délais aussi incompréhensibles que dangereux : nous ne devons pas être saisis chaque année de la même question ; vous voyez certainement à quoi je fais allusion, mes chers collègues !

Deuxièmement, il convient de limiter le pouvoir de l’exécutif sur l’ensemble du processus législatif, depuis la fixation de l’ordre du jour du Parlement jusqu’aux mesures d’application de la loi.

D’autres ont fait des propositions en ce sens. Nous y sommes, bien entendu, favorables.

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