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Les débats

L’agriculture ne peut être considérée comme un banal secteur marchand

Avenir de la politique agricole commune -

Par / 11 janvier 2011
Les plus gros bénéficiaires des aides sont le prince de Monaco et la reine d’Angleterre !
L’agriculture ne peut être considérée comme un banal secteur marchand
Les plus gros bénéficiaires des aides sont le prince de Monaco et la reine d’Angleterre !

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, sujet lourd de conséquences sociales, environnementales et économiques, fait suite au rapport d’information intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Il s’inscrit également dans le processus de réforme de la politique agricole commune, qui a donné lieu à une résolution du Parlement européen et, dernièrement, à une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Comité des régions.

Cet été, des propositions législatives devraient être présentées par la Commission européenne ; s’ensuivra alors la procédure de codécision, appliquée pour la première fois dans le cadre d’une réforme de la PAC.

Le présent débat est donc l’occasion de faire entendre la voix des parlementaires nationaux et de montrer que l’on peut construire une PAC qui garantisse la sécurité alimentaire, valorise les territoires, préserve les ressources naturelles et réponde au problème majeur et récurrent de la faiblesse des revenus agricoles.

Le texte d’orientation présenté par le commissaire européen comporte sans aucun doute des points positifs : la mise en place d’un mécanisme d’aides incitatives dès lors que l’environnement est valorisé, la volonté de mieux aider les petites exploitations, avec un ciblage au plus près des territoires, ainsi que la prise en compte de la notion d’agriculteur actif.

Cela étant, il est important de ne pas faire preuve d’angélisme et de bien comprendre que, pendant que nous discutons de l’avenir de l’agriculture, d’autres sont sur le point de le sceller. En effet, M. David Walker, président des négociations sur l’agriculture dans le cadre de l’OMC, a confirmé que celles-ci entreront dans leur phase finale à partir du 17 janvier prochain, en vue de l’élaboration d’un projet révisé de « modalités » quasiment définitif d’ici à la fin du mois de mars et de la conclusion complète du Cycle de Doha avant la fin de l’année.

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Or, à la lecture de la partie consacrée à l’agriculture de ce projet révisé de modalités – il date du 6 décembre 2008, mais reste le document de travail principal –, on s’aperçoit qu’un certain nombre de questions seront réglées dans ce cadre-là. Cela donne un avant-goût amer de ce que pourrait être la nouvelle PAC : une politique fidèle au dogme ultra libéral, sous couvert de restrictions budgétaires.

Ainsi, dans le cadre des négociations actuelles, certains pays, les États-Unis et le Brésil notamment, souhaiteraient empêcher l’Union européenne de conserver des outils de régulation ou de gestion de crise. D’ores et déjà, il a été convenu de supprimer les subventions à l’exportation dès 2013 en cas d’accord. Une telle mesure concernerait également les subventions déguisées en crédit ou en aide alimentaire autre que d’urgence et celles qui sont relatives aux activités d’exportation des entreprises commerciales. Pour le soutien interne, le plafond de la boîte orange devrait être réduit, tandis que la boîte bleue serait plafonnée. Pour l’accès au marché, il semblerait qu’il soit convenu d’une modalité de réduction par bande tarifaire, les droits de douane les plus élevés devant être revus à la baisse.

Dans ce contexte, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, « aujourd’hui […], le budget de la PAC est sécurisé […], la régulation des marchés a pris la place de l’idée folle de libéralisation des marchés agricoles et ça, on le doit à l’action volontariste de la France ».

Permettez-moi d’être moins optimiste que vous, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme vous le savez, l’agriculture est un secteur particulier, caractérisé par un cycle de production à long terme et exposé à la volatilité extrême du marché ainsi qu’aux catastrophes naturelles.

Le manque d’élasticité de la demande et la grande dépendance des agriculteurs par rapport aux acheteurs, qui décident des prix, imposent une réforme en profondeur de la gestion de l’offre et un contrôle des prix aux niveaux européen et mondial.

Cette question fut également abordée avec vous lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au travers de notre demande de généralisation du coefficient multiplicateur.

La volatilité néfaste des prix agricoles a été renforcée par les phénomènes de spéculation sur les matières premières agricoles. Ainsi, M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a largement décrit et dénoncé « le processus d’acquisition et de location de terres à grande échelle [qui] s’est accéléré après la crise mondiale des prix alimentaires de 2008. […] Les investisseurs privés, y compris les fonds d’investissement, sont de plus en plus attirés par le secteur agricole et spéculent de plus en plus sur les terres arables. »

La spéculation sur les matières premières agricoles a bien entendu des conséquences sur le cours des prix des produits agricoles. Pourtant, cette question n’apparaît pas dans les négociations internationales et européennes.

Les mesures annoncées pour lutter contre les dérives de la spéculation financière dans le cadre du G 20 sont en effet bien dérisoires au regard de l’ampleur du phénomène. Le Président de la République a ainsi déclaré que, « sur la volatilité du prix des matières premières, nous avons obtenu de mandater les organisations internationales dans le domaine de l’énergie comme dans celui de l’agriculture pour produire expertises et recommandations en vue de décisions sous notre présidence ». Vous l’avouerez, la situation mériterait des engagements plus forts !

En effet, sans un encadrement des prix et une interdiction de toute spéculation sur les denrées et les terres agricoles, l’Union européenne ne pourra garantir des prix rémunérateurs aux agriculteurs, sans compter que la spéculation multiplie les échanges, et donc les transports, au mépris des objectifs environnementaux que s’est fixés la communauté internationale.

Ensuite, pour ce qui concerne le maintien des aides, la PAC a perdu beaucoup de sa légitimité dans la mesure où 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides et que les plus gros bénéficiaires ont pu être le prince de Monaco ou la reine d’Angleterre ! (M. le ministre sourit.) Nous sommes donc favorables au ciblage des aides, par le recours à la notion d’agriculteur actif.

Il serait également nécessaire, à l’avenir, de simplifier le versement des aides de la PAC. Cette année, par exemple, les éleveurs ont rencontré des difficultés à cet égard, entre la modulation de 8 %, le versement des aides en plusieurs fois et l’application des coefficients stabilisateurs.

Ces aides sont nécessaires, mais elles ne constituent toujours pas des réponses adaptées au problème des revenus des exploitants. La question du revenu agricole doit selon nous prendre une place centrale dans la réforme de la politique agricole commune. Il est urgent de mettre un terme au dumping social au sein de l’Union européenne et de procéder à une harmonisation par le haut des salaires et des normes sociales pour les travailleurs du secteur. À cet égard, nous estimons que la « convergence des aides » peut être utilisée comme un levier incitatif.

Le Parlement européen, dans sa résolution sur l’avenir de la politique agricole commune après 2013, considère que « la PAC doit répondre immédiatement aux effets de la crise économique sur les entreprises agricoles, tels que le manque d’accès au crédit pour les agriculteurs, les pressions exercées sur les revenus agricoles et la hausse du chômage dans les zones rurales ». Il estime à ce titre que la réduction des paiements directs dans le cadre du premier pilier aurait des conséquences dévastatrices.

Nous soutenons ces positions ; il convient d’étendre l’application du principe de subsidiarité, de plafonner les aides et de les lier à l’emploi.

À l’inverse, les propositions de la Commission relatives à la rémunération du travail restent très en deçà de nos attentes. Aucun mécanisme comparable au système de préférence communautaire n’est proposé.

Malgré la crise du secteur laitier et l’importance avérée des instruments d’intervention publique sur le marché, la Commission souhaite rationaliser et simplifier les outils existants. Il est vrai qu’un certain nombre d’entre eux risquent de tomber sous le coup des accords de Doha. Comme nous l’avons dit, les restitutions à l’exportation devraient être interdites dans le cadre de l’OMC, et les droits de douane et les contingents largement limités.

La suppression des quotas pour le lait et, à moyen terme, pour le sucre dans le cadre d’un marché ouvert aboutira à une baisse des prix au détriment des producteurs, en situation de dépendance face aux secteurs de la transformation et de la grande distribution.

Nous regrettons d’ailleurs que la Commission n’aborde pas la question de la répartition de la valeur ajoutée dans la filière agroalimentaire, et nous sommes très sceptiques quant à l’efficacité de la contractualisation pour corriger le déséquilibre des relations commerciales.

Enfin, il serait regrettable que la nouvelle politique agricole s’affranchisse de la question de la dépendance de l’Europe en matière de protéines, au moment où l’ensemble des productions européennes riches en protéines végétales ne couvrent que 24 % des besoins des élevages, et seulement 1 % des besoins en soja.

Pour répondre à ces besoins, l’Union européenne se tourne vers l’extérieur, notamment vers le continent américain. Or les importations de protéines végétales posent des problèmes majeurs sur plusieurs plans.

D’abord, les producteurs sont dépendants de la fluctuation des prix des produits sources de protéines végétales, notamment du tourteau de soja. Ces prix sont susceptibles d’augmenter avec la croissance de la demande à l’échelle mondiale, en particulier de celle des pays d’Europe centrale et orientale et de l’Asie.

Ensuite, ces productions ont un impact social et environnemental important, notamment en Amérique du Sud, d’où provient 85 % du soja importé par l’Union européenne, du fait des changements directs et indirects d’affectation des sols – selon l’IEEP, l’Institute for european environmental policy, la hausse des prix du soja en 2007 aurait amené un doublement en quatre mois des surfaces soumises à la déforestation –, de l’utilisation accrue de pesticides et de la pression exercée sur les petits paysans.

Pour conclure, aux yeux des membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, l’agriculture ne peut être considérée comme un secteur marchand banal. Notre position sur ce point est claire : il faut sortir l’agriculture du cadre de l’OMC.

En effet, les politiques agricoles et alimentaires doivent être détachées de toute forme de dumping social, économique ou environnemental. Des règles nouvelles doivent prévaloir : soutien à l’agriculture paysanne et à la pêche artisanale, fondé sur les connaissances agro-écologiques ; prix agricoles rémunérateurs et non spéculatifs ; relocalisation des productions ; promotion de garanties sociales et environnementales ; valorisation des circuits courts et limitation des échanges à la diversification.

Il s’agit là d’enjeux humains et environnementaux incontournables. Pour nous, la sécurité alimentaire reste le défi central pour l’agriculture, non seulement pour l’Union européenne, mais pour le monde. Selon la FAO, la demande alimentaire mondiale devrait doubler d’ici à 2050. Aujourd’hui, en Europe, plus de 40 millions de personnes pauvres ne bénéficient pas d’une alimentation suffisante. La politique agricole que nous mènerons ne sera ni juste, ni solidaire, ni susceptible de garantir des prix rémunérateurs, un développement durable des territoires et la préservation des ressources naturelles si elle reste soumise aux politiques commerciales déterminées au sein de l’OMC.

Non seulement le système actuel est délétère pour l’agriculture européenne, mais il conduit à exploiter indignement les pays du Sud et à affamer les populations. Lors de la réunion de Paris pour l’avenir de la PAC, qui s’est tenue le 10 décembre 2009, vous déclariez, monsieur le ministre, que « l’agriculture, c’est la conception que l’on se fait de notre avenir en Europe et de l’avenir de l’Europe dans le monde ». Cet avenir, nous souhaitons le garantir à notre agriculture, mais certainement pas au détriment des pays du Sud, ni pour le plus grand profit des spéculateurs !

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