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Les débats

L’élève France va rendre sa copie à la Commission européenne

Programme de stabilité -

Par / 24 avril 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos en m’inspirant des derniers mots de Mme Des Esgaulx à l’instant.

M. Francis Delattre. Ah ?

M. Éric Bocquet. Ce qui heurte le groupe CRC n’est pas tant l’absence de vote à l’issue de ce débat que, beaucoup plus fondamentalement, la perte de souveraineté du Parlement français dans l’élaboration des budgets nationaux.

La Commission européenne, sans légitimité aucune au regard du suffrage universel, jaugera notre budget, émettra des recommandations et, au besoin, en cas de non-respect de celles-ci, pourra nous imposer des pénalités à hauteur de 0,2 % de notre PIB national, soit pas moins de 4 milliards d’euros…

Il a été fait référence à l’objectivité du Haut Conseil des finances publiques, aujourd’hui constitué. Mais, mes chers collègues, avec la forte représentation de la Cour des comptes en son sein et la présence d’« experts indépendants », qui l’accompagnent dans ses avis, et de deux représentants de grandes banques françaises et internationales, c’est l’expertise de la finance privée mobilisée au secours de la dépense publique !

Mme Marie-France Beaufils. Très bien !

M. Éric Bocquet. N’est-ce pas là, mes chers collègues, l’humiliation véritable de notre Sénat ?

Ainsi, pour la première fois, l’élève France va rendre sa copie à la Commission de Bruxelles, qui va viser les propositions formulées, noter la copie et, éventuellement, demander quelques ajustements et corrections au cadre défini par le ministère des finances.

À la vérité, notre groupe s’étant opposé avec vigueur et détermination à l’instauration de ce « semestre européen » dans le cadre de la loi organique comme du pacte budgétaire, il ne peut, en toute logique, que contester le bien-fondé des politiques budgétaires que la France va subir au nom du dogme absolu de la réduction de la dépense publique.

Sans surprise, les tenants de la politique budgétaire recommandent l’adoption et la mise en œuvre de politiques d’austérité, habilement masquées sous le nom de « rigueur », politiques fondées sur le « nécessaire redressement des comptes publics », l’apurement de la dette et autres postulats, ma foi, fort discutables.

Nous connaissons d’ores et déjà les contours de la traduction concrète de ces mesures : remise en cause du caractère universel de certaines prestations sociales, nouvelles attaques contre le pouvoir d’achat des fonctionnaires, remise en question du niveau des retraites, notamment par la désindexation des pensions sur les prix.

Pour faire bonne mesure, avec l’adoption du texte prétendument destiné à assurer la « sécurisation de l’emploi », de nouvelles attaques sont menées contre les droits des salariés, le MEDEF ayant totalement approuvé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, signé par trois organisations syndicales de salariés compatissantes.

Flexibilité accrue, recours encore facilité aux temps partiels et aux horaires atypiques, mobilité interne devenant motif de licenciement, non-reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle, mise en cause des garanties sociales collectives par l’ouverture du marché de la complémentaire santé : effectivement, le MEDEF peut exulter ! C’est à croire que, décidément, il s’agissait de rassurer les entreprises et de concrétiser – enfin ! – ce vieux principe qui veut que, pour embaucher, les entreprises doivent pouvoir licencier sans risques. Comprenne qui pourra !

Depuis trente ans, et surtout depuis la promulgation de la loi quinquennale sur l’emploi, dite « loi Giraud », notre pays a expérimenté à grande échelle la flexibilité de l’emploi, les bas salaires, les politiques d’exonérations sociales massives, les allégements fiscaux successifs et cumulatifs – je pense à l’impôt sur les sociétés ou à la taxe professionnelle, par exemple –, le tout, nous disait-on, pour soutenir l’emploi et – peut-être ! – l’activité et la croissance.

La facture des cadeaux et des allégements a pris de l’ampleur. Elle atteint aujourd’hui, selon le consensus des économistes qui ont étudié la question, 170 à 180 milliards d’euros, rien moins ! Cela représente bien plus que le déficit budgétaire et presque autant que le montant des émissions nouvelles de dette publique réalisées chaque année.

Il y a là du grain à moudre, mes chers collègues, bien plus de grain qu’il n’en a été nécessaire à Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne et, chacun s’en souvient, ancien de Goldman Sachs, et José Manuel Barroso, pour préparer l’amère potion de l’austérité qu’ils s’apprêtent à administrer à la France, avec le soutien explicite de la Chancelière allemande.

On mesure ici les effets dévastateurs de la pensée unique, dont souffrent les tenants de la prétendue absence d’alternative.

La baisse des dépenses publiques met à contribution les fonctionnaires de l’État – allez voir comment travaillent les administrations des finances ou du travail sur le terrain avant de décréter la maîtrise des dépenses publiques, mes chers collègues ! –, les collectivités locales – victimes, dès cette année, de la baisse des dotations, elles assurent encore plus de 70 % de l’investissement public, apportant ainsi leur soutien à la croissance de manière très concrète –, les assurés sociaux – concernés par la baisse programmée des remboursements maladie et des retraites complémentaires, ils seront les probables victimes d’un accord au rabais sur les retraites du régime général, qui deviendraient des retraites par points –, et les ménages, qui subissent l’abandon de plus en plus fréquent de la notion de gratuité de l’action publique.

Notre pays porte les stigmates de la baisse des dépenses publiques.

D’une part, nous constatons le recul de notre société dans son ensemble. Ce recul est d’autant plus intolérable que notre pays, pourtant confronté à la récession ou à la stagnation du produit intérieur brut marchand, n’a jamais été aussi riche, à la différence près que 10 % de la population possède 50 % de la richesse nationale.

Ce recul, évidemment, frappe au premier chef les plus modestes, ceux qui sont privés d’emploi, ou de logements, les jeunes couples à la recherche de la stabilité indispensable à la conduite de leurs projets, et crée quelques tensions supplémentaires dans une société qui, hélas, n’en manque pas.

D’autre part, nous observons, bien entendu, la montée des inégalités sociales, dont s’accommodent parfaitement ceux dont les impôts diminuent grâce aux multiples cadeaux qui leur ont été faits ces dernières années, sous l’ancienne majorité, et ceux qui, au mépris de l’intérêt général, fraudent, optimisent, laissent s’évader, avec beaucoup de distraction, leurs capitaux, qui ne sont pourtant que le fruit confisqué du travail des autres.

Oui, mes chers collègues, c’est bien l’évasion des capitaux de quelques-uns qui crée le déficit pour tous les autres !

Un gouvernement élu pour le changement n’a rien à gagner à une rigueur budgétaire, si chère à nos prédécesseurs, qui ne sert que les intérêts – c’est le cas de le dire – des rentiers de la dette publique, de ceux qui confondent production de richesses et distribution de dividendes, de ceux qui ont déjà tout et qui en veulent encore plus.

Allons-nous oublier, mes chers collègues, qu’un habitant sur neuf de la République fédérale d’Allemagne vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ? Allons-nous oublier ces millions de salariés qui subissent les rigueurs de la loi Hartz IV, et que l’on paye avec des queues de cerises ?

Le modèle allemand, régulièrement vanté, mériterait d’être regardé de plus près, en considération de l’explosion du nombre de travailleurs pauvres dans ce pays.

Voilà un « modèle » qui, d’ailleurs, s’essouffle, et bien vite. La Croatie est appelée à devenir très prochainement le vingt-huitième membre de l’Union. Pourtant, 80 % des électeurs croates ont boudé les urnes lorsqu’il s’est agi d’élire des députés européens ! Une telle abstention ne manque pas de nous interpeller sur les attraits du rêve européen.

Que l’on y songe, ces élections européennes en Croatie n’ont attiré que 20,8 % des électeurs dont on aurait pu croire, pourtant, qu’ils étaient heureux et fiers d’entrer enfin dans la grande famille.

S’il était besoin d’une preuve supplémentaire, après les catastrophes irlandaise, grecque, espagnole, portugaise, italienne, et plus récemment chypriote, de l’ensevelissement de l’idée européenne dans les sables des politiques d’austérité, imposées par les marchés financiers et relayées par la Commission comme par les partisans de la « règle d’or », il n’en faudrait pas plus !

Convenons, monsieur le ministre, que des interrogations sérieuses s’élèvent dans cet hémicycle, au-delà de nos rangs, au sein même du Gouvernement, cela a été rappelé par Jean-Vincent Placé, et jusqu’aux experts économiques du FMI, sur les effets des politiques d’austérité en France et en Europe.

Notre groupe, pour sa part, ne peut que marquer à nouveau son opposition nette et franche aux logiques strictement budgétaires, qui condamnent l’Europe au déclin, dans un monde où elle finit par perdre et son influence, et son rôle, et sa place, et son estime !

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