Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

L’évasion fiscale internationale porte une grave atteinte à l’équité de notre système fiscal

Evasion fiscale -

Par / 3 octobre 2012

Rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé de l’économie solidaire et de la consommation, mes chers collègues, au cours des quelques mois que la Constitution a concédés à la commission d’enquête créée par le Sénat sur l’initiative du groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir pour explorer l’évasion fiscale internationale, nous avons voulu, avant tout, comprendre et exposer ce qu’est exactement l’évasion fiscale.

Évoquée régulièrement, au gré le plus souvent de révélations scandaleuses, l’évasion fiscale internationale n’était-elle qu’une chimère, un phénomène accidentel ou bien un élément courant de la vie économique et financière contemporaine ?

Cette question valait qu’on la pose, d’autant que les travaux disponibles sur ce sujet en France se singularisaient par leur extrême rareté, sinon par leur totale inexistence, lacune particulièrement choquante s’agissant du vide des sources publiques et contrastant avec une relative abondance dans les pays étrangers, anglo-saxons notamment, comme avec l’activisme des officines qui promeuvent et « vendent » effectivement avec un grand profit pour elles des schémas d’évasion fiscale internationale.

Nous pouvons aujourd’hui espérer que notre commission d’enquête aura été une étape dans la trajectoire conduisant à l’indispensable construction d’une politique publique cohérente et résolue de lutte contre l’évasion fiscale axée sur l’efficacité et la transparence. Car, pour mettre fin à un suspense intolérable, je dois vous dire que la commission d’enquête a identifié l’existence de risques systémiques d’évasion fiscale qui représentent des enjeux financiers considérables, de sorte que l’évasion fiscale doit être considérée comme la manifestation d’une crise de l’impôt particulièrement grave par ses incidences financières, mais aussi économiques, sociales et politiques franchement délétères.

En ne quantifiant que ce qu’il nous a été donné de quantifier, c’est-à-dire en devant négliger certaines sources vraisemblablement très considérables d’évasion fiscale comme les échanges internationaux de services, les opérations financières internes aux groupes de sociétés ou encore les incidences des transferts de résidence des particuliers, nous pouvons avancer un risque excédant 30 milliards d’euros, chiffre qui se situe en bas d’une fourchette d’estimation dont la hauteur, qui devra être déterminée par des travaux complémentaires, pourrait se situer bien au-delà. En bref, la dimension du risque financier lié à l’évasion fiscale internationale nous est apparue comme supérieure à celle du risque total associé à l’ensemble des risques de fraude aux prélèvements obligatoires estimés par le Conseil des prélèvements obligatoires.

Notre estimation des risques peut sembler très élevée. Elle converge remarquablement avec celles que proposent, essentiellement à l’étranger et pour des pays comparables au nôtre, les observateurs les plus attentifs du phénomène.

Or ces risques sont très loin de n’être que théoriques. Il existe un véritable faisceau d’indices permettant de conclure à leur réalisation effective. Ainsi, nous avons pu identifier l’existence d’une véritable industrie mobilisable par les candidats à l’évasion fiscale internationale, d’un contexte globalement très favorable à la réalisation de ces risques systémiques, qui passe par l’emploi de vecteurs – les œuvres d’art, les échanges commerciaux, les circuits de financement – et de techniques – juridiques, comptables, financières – très diversifiées. Nous avons également relevé l’accumulation d’informations tendant à accréditer le soupçon d’un phénomène massif et usuel, qu’il s’agisse, par exemple, de la multiplication des découvertes portant sur des actifs non-déclarés détenus dans tel ou tel paradis fiscal, de l’inventaire fourni des schémas évasifs réuni par l’OCDE, qui compte désormais plus de 350 « recettes » d’évasion fiscale, ou de la réinterprétation de certains flux financiers de prétendus investissements directs internationaux correspondant en fait à des prêts intra-groupes à la finalité fiscale évidente.

À ce propos, je souhaiterais recevoir des assurances sur les effets de l’exclusion de la fiscalisation des intérêts prévue dans le projet de loi de finances que nous allons examiner prochainement, des opérations internes aux groupes de société qui sont, pourtant, particulièrement suspectes. Je comprends qu’elle ne portera que sur les groupes fiscalement intégrés, mais je voudrais en être certain.

Je dois enfin préciser que, pendant les travaux de la commission d’enquête, et peut-être ne fut-ce pas sans lien avec eux, un certain nombre de faits sont intervenus : je pense à l’affaire UBS mais aussi à d’autres dossiers sans doute moins « grand public » qui, faisant monter la partie émergée de l’évasion fiscale internationale, nous confortent dans la conviction que beaucoup reste encore à faire émerger.

Évidemment, une observation essentielle s’impose : l’évasion fiscale internationale se nourrit de l’opacité. Celle-ci est largement offerte par l’extrême sophistication de la vie économique contemporaine, par le renforcement de la part des processus immatériels dans la création de valeur économique, tendance qui, devant se renforcer à l’avenir, annonce une riche prospective de la problématique de l’évasion fiscale internationale, par un renforcement de la dimension financière de l’économie et par une série de défaillances informationnelles délibérément ménagées par certains outils juridiques et par certains États. Ces constats doivent guider la définition et la conduite de l’action contre l’évasion fiscale internationale.

Il est inutile en cette période de stress financier de trop insister sur l’apport que pourrait représenter une politique permettant de recouvrer les dettes fiscales éludées grâce aux pratiques d’évasion fiscale internationale. Il faut aussi comprendre que celle-ci met en cause non seulement le rendement de nos prélèvements mais, plus encore peut-être, la justice fiscale et économique et l’autorité de notre démocratie. L’évasion fiscale internationale porte une grave atteinte à l’équité de notre système fiscal, tant horizontale, entre les détenteurs de revenus analogues, que verticale entre les plus aisés et ceux qui le sont moins. Elle rompt l’égalité des conditions de concurrence et fait obstacle aux financements dont nous avons besoin pour élever notre croissance potentielle. Elle remet en cause la possibilité même de construire une démocratie solidaire et de progrès économique et mine l’autorité de la loi fiscale que nous votons. Elle permet de substituer au consentement démocratique à l’impôt qui s’exprime dans cet hémicycle l’individualisme fiscal en créant, et en prospérant dessus, des zones de non-droit, voie privilégiée de l’évasion fiscale internationale.

Je voudrais insister sur ce point, car l’évasion fiscale internationale est, à mes yeux, le symptôme d’une crise du droit fiscal confronté aux évolutions d’un contexte économique marqué par une globalisation financière dérégulée qui ébranle l’action publique, à commencer par ses concepts.

La commission d’enquête a dû constater que la notion même d’évasion fiscale internationale suscitait une forme d’embarras de la pensée chez la plupart de ses interlocuteurs.

Mme Nathalie Goulet. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Éric Bocquet, rapporteur. En particulier, les frontières entre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale sont apparues incertaines, et l’on se souvient du mot du chancelier de l’échiquier britannique, Denis Healey, selon lequel la différence entre les deux résidait dans « l’épaisseur d’un mur de prison ».

Notre législation fiscale porte la trace de cet embarras et elle s’en trouve affaiblie. De ce fait, la commission d’enquête a souhaité qu’elle franchisse un pas décisif de son histoire. Nous pensons qu’il conviendrait, ainsi que le Royaume-Uni a commencé de l’entreprendre, de s’attacher à introduire dans notre droit une disposition générale condamnant l’évasion fiscale internationale, autrement dit une norme anti-évasion, qui, en tant que disposition globale manque singulièrement à notre arsenal législatif. Comme celle-ci tend toujours à créer un écart entre la valeur économique intrinsèque d’une situation et l’assiette fiscale, il conviendrait que cette norme dépasse les concepts essentiellement juridiques qui limitent trop souvent l’efficacité des instruments partiels dont nous disposons aujourd’hui pour lutter contre les abus de droit ou les actes anormaux de gestion.

Après tout, c’est bien ce primat de l’économie qui anime les réflexions sur le projet ACCIS, assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés en Europe. La nécessité de faire mieux coïncider l’imposition et le revenu, et ainsi de restaurer la force de l’adage ubi emolumentum ibi onus s’impose dans un monde où la liberté des mouvements de capitaux, des biens et des personnes offre à chacun, sur fond de concurrence fiscale sans garde-fou, des opportunités injustifiables de shopping fiscal.

On l’a compris, ce n’est pas par simple intérêt intellectuel que nous devons clarifier notre conception de l’évasion fiscale internationale. Cette démarche doit avoir tous les prolongements juridiques et pratiques qu’appelle la lutte contre une pratique aussi pernicieuse, et cela commence par l’édiction d’une norme assez puissante pour réduire les interstices par lesquels elle se propage.

Dans les pratiques d’évasion fiscale internationale se retrouvent toujours les effets de la déréglementation, qui est un trait fondamental de l’économie contemporaine depuis une trentaine d’années, ainsi que l’existence d’un contexte d’hétérogénéité des régimes fiscaux nationaux.

Sous ce dernier angle, la problématique des paradis fiscaux se présente comme une forme paroxystique et caricaturale. La commission d’enquête a pris acte des initiatives prises par le concert des nations à leur encontre. Pour autant, les paradis fiscaux ont-ils disparu ? Des listes internationales ou nationales où ils furent un temps inscrits dans l’intention de les stigmatiser, assurément... Du paysage financier international, pas le moins du monde. Les listes officielles se vident, les listes de comptes non déclarés se multiplient...

Au demeurant, cette politique de la liste a des limites flagrantes. Les listes des différentes organisations internationales ne se recoupent pas, alors même qu’elles prétendent couvrir des problèmes analogues de conformité. Leur portée juridique est nulle, et leur déclinaison à l’échelon national s’en ressent.

À ce niveau, chaque pays est en quelque sorte face au reste du monde en état de quasi complète incertitude sur les décisions que prendront ses « partenaires », qui sont en fait ses concurrents. Autrement dit, comme c’est systématiquement le cas, la mondialisation n’est pas gouvernée sur le plan fiscal, et même l’objectif minimal d’éliminer les nuisances les plus caricaturales n’est pas atteint. On y retrouve la même logique de soumission des politiques de lutte contre l’évasion fiscale à une concurrence fiscale qui permet à l’évasion fiscale internationale de prospérer.

Nous avons pu constater les effets de cette carence en France, où, non contents d’avoir orienté la lutte contre l’évasion fiscale internationale des pays à fiscalité privilégiée vers le champ plus restreint des paradis fiscaux, nous nous sommes attachés à réduire leur périmètre sur la base de considérations incompréhensibles. C’est ainsi que, pendant les travaux de notre commission, par simple arrêté, la liste des paradis fiscaux a été vidée de onze États, dont le Panama, paralysant un peu plus les dispositions législatives adoptées dans cet hémicycle pour lutter contre les paradis fiscaux. Certes, nous avons courageusement ajouté à notre liste le Botswana, qui rejoint dans notre mise à l’index les sept États encore englobés par notre vision des paradis fiscaux, dont les 1500 habitants de Nioué ne sont pas les moindres.

À l’évidence, un changement de braquet s’impose, à moins qu’on ne se satisfasse du triomphe de l’âge de l’offshore, qui voit Singapour accueillir davantage de dépôts bancaires que le Brésil et le Canada réunis, les îles Caïmans gérer davantage de ressources que l’Allemagne et les îles Vierges britanniques compter seize entreprises par habitant, dont au demeurant une assez grande partie doit se trouver au chômage...

Or qui peut se satisfaire que le offshore abrite des actifs provenant des ménages évalués à environ 12 000 milliards de dollars, phénomène entraînant des pertes fiscales considérables pour les pays de provenance et donnant lieu à des utilisations incontrôlables et vraisemblablement pour partie criminelles et terroristes ?

Il nous faut donc remédier aux faiblesses de la coordination internationale de la lutte contre les paradis fiscaux.

Outre les efforts du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, on devrait pouvoir compter en ce domaine sur l’Europe, mais, malheureusement, la consistance de l’action européenne est, là comme ailleurs dans le champ fiscal, beaucoup trop mince.

Pour tout dire, l’Europe a été trop absente d’une action qui a pris racine dans le G 20, c’est-à-dire dans une enceinte de coordination molle et ambiguë, si je me réfère aux positions de nos partenaires chinois, qui ne semblent guère favorables à cette politique, et à celles des États-Unis, qui obéissent à des principes de géométrie variable dont une analyse géopolitique pourrait révéler les intentions.

Mais, si l’Europe ne fait presque rien dans le monde, c’est sans doute qu’elle commence par ne presque rien faire chez elle.

Mme Nathalie Goulet. Bravo !

M. Éric Bocquet, rapporteur. On sait que la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale, on doit reconnaître que l’Union européenne – c’est un euphémisme – n’est pas davantage une zone fiscale optimale. Rien, ou presque, n’est prévu pour réguler les chocs fiscaux que les États s’infligent les uns aux autres et, ce qui est encore plus préoccupant, on laisse subsister des comportements fiscaux hautement dommageables.

Le code de conduite qui avait été créé pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable ne suffit plus. De toute façon, il ne couvrait pas la fiscalité des particuliers. La directive épargne est bloquée par quelques-uns de nos partenaires au nom de l’existence de paradis fiscaux extérieurs à l’Union européenne.

De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne approfondit sans cesse une jurisprudence qui juge la moindre mesure de régulation à l’aune des principes sacrés des traités, sans se préoccuper le moins du monde des ruptures d’équilibre que cette jurisprudence occasionne dans les contrats sociaux propres à chaque pays.

Elle favorise les comportements de passagers clandestins qui minent ces équilibres. Vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque l’audit des finances publiques réalisé par la Cour des comptes vous a alerté sur l’ampleur des risques financiers résultant de certains contentieux qui, par plusieurs aspects, portent directement sur ces questions.

J’ajoute que la commission d’enquête a pu identifier un risque non négligeable en lien avec la fiscalité des transferts de sièges sociaux d’entreprises.

Je n’évoquerai pas ici la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont certains prolongements pourraient se révéler totalement destructeurs pour toute forme de vie collective. Manifestement, ces constructions prétoriennes n’ont que faire des conclusions du GAFI, dont les rapports alertent sur les graves insuffisances des cadres législatifs et réglementaires existant dans nombre de pays européens ou très étroitement liés à l’Union européenne pour maîtriser les risques de blanchiment, notamment de fraude fiscale. Tout cela laisse l’Union européenne sans véritable réaction.

Notre pays n’est pas exempt de reproches puisque, en son temps, nous avons, semble-t-il, préféré inscrire à l’ordre du jour du Conseil ECOFIN la baisse de la TVA sur la restauration plutôt que le projet ACCIS, qui devrait pourtant être un moyen de lutter contre les effets de l’évasion fiscale favorable à la France.

On m’a également indiqué que nous avions refusé de participer à un groupe de travail réuni pour examiner les problèmes posés par le Liechtenstein après la découverte de la liste de la banque LGT présidée par le prince de ce pays.

Au moins la France semble-t-elle défendre une position de principe sur les affaires Rubik. Mais elle paraît de plus en plus isolée, ses partenaires créant une brèche dans la seule position commune de l’Europe, à savoir sa pétition de principe de privilégier l’échange d’informations avec les tiers.

On pourrait se dire que la lutte contre l’évasion fiscale en Europe pourrait passer par des coordinations renforcées, puisque les principaux problèmes sont le fait soit de petits pays qui ont un intérêt majeur à pratiquer des politiques fiscales non coopératives, soit de pays à intérêts financiers considérables et à tradition européenne fluctuante, mais il faut bien reconnaître que les tentations de pays comme l’Allemagne ou l’Italie de céder sur les principes sont peu engageantes.

Toutefois, le sursaut est possible, et nous sommes confrontés à des choix historiques. Je n’ai pas en tête le seul cas des accords Rubik. Je songe, plus largement, aux enjeux majeurs auxquels sont confrontés, au cœur de l’Europe, les pays fondateurs de l’Union européenne, qui laissent libre cours aux pratiques sur lesquelles se fonde l’évasion fiscale internationale. À mon sens, il est grand temps de progresser vers une intégration de la politique de lutte contre l’évasion fiscale en Europe. Il ne faut surtout pas s’interdire de reconnaître que l’évasion fiscale existe au cœur même de notre continent.

Monsieur le ministre, c’est dans cet esprit que doivent être appréciées les différentes propositions ayant trait à la dimension européenne de notre sujet, et sur lesquelles je souhaiterais connaître le sentiment du Gouvernement.

Nous espérons que la diplomatie économique que vous avez, avec raison, tenu à renforcer, permettra de discipliner les pratiques fiscales en Europe, afin que cesse la guerre fiscale que se livrent aujourd’hui les États, au détriment non seulement les uns des autres, mais aussi des contribuables qui ne contournent pas leurs obligations fiscales et qui, globalement, sont les moins favorisés. (Mme Mireille Schurch acquiesce.)

Nous ne saurions trop vous inviter à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour assurer au plus vite la révision des directives dont les lacunes favorisent l’évasion fiscale en Europe. Je songe notamment aux directives relatives à l’épargne, à l’information des sociétés, aux intérêts et redevances, ou encore aux maisons mères et à leurs filiales. Nous appelons de nos vœux une Europe plus cohérente et plus forte face à tous les paradis fiscaux, c’est-à-dire également face à ceux qu’elle nourrit en son sein ou à sa très proche périphérie.

Insistons encore pour que, dans les débats que nous aurons sur la supervision bancaire en Europe, la lutte contre le blanchiment de la fraude fiscale figure au cœur des normes communes du régulateur.

Par ailleurs, nous sommes convaincus du caractère hautement prioritaire qu’il convient d’attribuer à l’instauration d’une assiette consolidée d’imposition des sociétés.

J’évoquerai brièvement les problèmes posés par les transferts de résidence des personnes, voire par leur changement de nationalité.

Notre commission d’enquête tient à ce que cette question soit rapidement résolue. En particulier, je vous invite à remédier à l’anomalie que constitue la péremption de la valeur fiscale du capital humain constitué à partir des investissements publics, lorsque des individus qui ont largement bénéficié des transferts publics s’exemptent, par leur changement de résidence, d’en acquitter les contreparties fiscales.

Dans un tout autre domaine, la résiliation de la convention fiscale franco-danoise illustre cette problématique, Copenhague ne pouvant se résoudre à ce que les revenus différés constitués au Danemark soient taxés en France.

Pour ce qui concerne la dimension domestique de la politique de lutte contre l’évasion fiscale, je tiens à mettre en lumière un certain nombre de problèmes auxquels notre commission d’enquête a été confrontée.

Il me semble possible de résumer ces différents problèmes en évoquant le « monopole contesté des administrations fiscales » ou, si vous voulez, les limites d’une action publique fondée sur une administration fiscale ambitionnant d’être au centre ou en surplomb de tout. Ce modèle subit un sourd effritement : s’y agripper à tout prix reviendrait sans nul doute à commettre une erreur.

Certes, la « citadelle Bercy », comme on la surnomme parfois, a accompli de réels progrès pour dépasser le principe traditionnel des baronnies qui l’animait. La direction générale des finances publiques, la DGFIP, a fini par voir le jour et, en son sein, un service du contrôle fiscal est né.

Mais ces évolutions n’ont pas pour autant mis un terme à la superposition de structures internes à la DGFIP, spécialisées selon des découpages fonctionnels qui ne vont pas de soi, tout particulièrement pour les dossiers soulevant de forts enjeux fiscaux.

Les problèmes de coordination, régulièrement évoqués par la Cour des comptes, s’aggravent sans doute du fait du maintien de certaines structures hors de la DGFIP. Ces entités restent en marge pour des raisons que l’on peut concevoir, mais qui emportent des conséquences peu favorables au contrôle fiscal. Je songe notamment aux douanes, à la direction générale du Trésor, à l’INSEE ou à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, la DGCIS, autant de directions stratégiques peu ou insuffisamment impliquées dans ce domaine, alors qu’elles recèlent d’évidentes ressources d’intelligence économique, lesquelles sont particulièrement nécessaires à une action exigeant des efforts soutenus d’observation et d’analyse.

Au surplus, le positionnement de la délégation interministérielle à l’intelligence économique est peu lisible. La diversité des intervenants s’accentue lorsqu’on élargit l’horizon au-delà du seul ministère des finances. Au demeurant, notre commission d’enquête a noté que ces problèmes organisationnels donnaient lieu à un foisonnement de structures de coordination qui semblent parfois hors d’état de coordonner quoi que ce soit.

Nous avons nettement perçu ce problème avec le COLB, le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Mais nous pourrions également citer la délégation nationale à la lutte contre la fraude. Toutefois, je tiens à saluer M. d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux et président du groupe chargé de la revue par les pairs, qui possède une connaissance intime de ces sujets.

Outre les questions pratiques qu’elle soulève à tous les niveaux, il faut bien reconnaître que cette organisation ne facilite pas la lisibilité et la visibilité d’une action publique qui devrait être plus transparente et plus largement exposée à l’appréciation de nos concitoyens.

Pour l’ensemble de ces raisons, notre commission d’enquête a préconisé la création d’un Haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics, instance qui ne s’ajouterait pas aux structures existantes mais qui les sublimerait en quelque sorte.

La place et le rôle de l’autorité judiciaire dans la politique de lutte contre l’évasion fiscale constituent un sujet à part entière.

La France a connu une importante phase de judiciarisation de l’action de l’administration fiscale avec, notamment, la création d’un corps d’officiers fiscaux judiciaires, le renforcement des liens avec la police judiciaire et l’instauration d’un délit de flagrance fiscale.

De son côté, l’autorité judiciaire pénètre dans la gestion des fraudes fiscales, en s’efforçant de réunir les moyens de traiter ces dossiers. Cette évolution suppose l’accès à des informations que le mauvais fonctionnement de la coopération judiciaire dans le champ fiscal empêche hélas souvent, ainsi que des compétences techniques, difficiles à réunir, qu’exigent des affaires dont la complexité n’est pas à démontrer.

Malgré les contraintes très fortes qui pèsent sur ses effectifs, l’autorité judiciaire agit également en élargissant le champ de son intervention. À cet égard, elle procède moins par l’exercice de sa compétence spécifique de répression de la fraude fiscale – laquelle est soumise à des limites, notamment du fait de la règle confiant un monopole de l’action publique au ministère du budget – que par d’autres voies, plus détournées, telles celles qu’offre la répression des infractions connexes à la fraude, notamment les moyens prévus au code monétaire et financier.

De façon générale, la commission d’enquête a pu constater un certain manque de vigueur de la répression pénale de la fraude fiscale, qui, par ailleurs, est soumise à un double verrou : celui du ministre du budget et celui des procureurs.

Quant à la politique pénale de répression de l’évasion fiscale à proprement parler, elle reste à définir. De fait, si l’évasion fiscale est parfois sanctionnée administrativement, elle semble échapper systématiquement aux sanctions pénales.

La commission d’enquête a examiné le rôle de la commission des infractions fiscales et le monopole de saisine attribué au ministre du budget. Sans remettre en cause l’esprit de ce dispositif, elle a souhaité qu’un certain nombre de clarifications soient apportées, notamment quant au contrôle de l’appréciation de l’opportunité des poursuites, tant au niveau ministériel qu’au niveau des parquets.

Par ailleurs, notre commission a relevé les difficultés soulevées par les appréciations divergentes portées sur la question de la loyauté des preuves et par la mise en œuvre de l’article 40 du code de procédure pénale. Parallèlement, elle a suggéré quelques solutions.

Une tendance récente et notable conduit à diversifier les modalités de maîtrise de la fraude et de l’évasion fiscale. J’ai précédemment évoqué le GAFI, qui s’inscrit dans un processus visant à contrôler les fraudes au plus près du terrain. À mes yeux, cette diversification de l’action publique est louable. En effet, elle traduit le souci de compenser les effets d’une dérégulation excessive qui a fait perdre aux gouvernements nationaux la plupart de leurs instruments de contrôle et de maîtrise de la vie financière.

Avant de conclure,… (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)

Mme Nathalie Goulet. Enfin !

M. Marc Daunis. Deux cents pages, c’est long !

M. Éric Bocquet, rapporteur. … je souhaite évoquer la conception quelque peu irénique de l’action de contrôle de l’administration des finances, qui peut conduire cette dernière à privilégier une posture de surplomb régalien et à sous-estimer, partant, les difficultés auxquelles elle est confrontée.

La commission d’enquête a conclu à la nécessité de développer les moyens du contrôle. À cet égard, nous tenons à ce que les réductions d’emplois de la DGFIP n’amputent pas ces moyens.

Parallèlement, la diversification des qualifications et leur mise à niveau doivent constituer des efforts constants.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Éric Bocquet. En conclusion, je rappellerai que, dans ce domaine, notre voisin américain dispose d’un sous-comité permanent dont les travaux font autorité dans le monde entier. Nous aurions donc, à mon sens, tout intérêt à nous inspirer de cet exemple.

De surcroît, je suis persuadé que la constitution d’un réseau d’organisations non gouvernementales, très dévouées et actives, à l’échelle du territoire français, travaillant en lien avec des instances analogues existant chez nos partenaires étrangers, pourrait offrir un véritable stimulant à un engagement pérenne de la Haute Assemblée, s’agissant d’un sujet aussi essentiel pour notre pacte républicain.

Enfin, je tiens à m’associer à l’hommage rendu par M. le président de la commission d’enquête aux administrateurs du Sénat qui se sont profondément impliqués dans nos travaux, en permettant que ces derniers soient menés dans d’excellentes conditions.

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