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Les débats

L’intention du gouvernement est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales

Mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales -

Par / 28 septembre 2010
L’intention du gouvernement est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales
L’intention du gouvernement est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a inscrit à l’ordre du jour de cette session extraordinaire un débat sur la péréquation des ressources et des moyens des collectivités territoriales.

Ce débat constitue une sorte d’avant-première de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, puisque nous n’avons pas débattu de la clause de revoyure. Avons-nous d’ailleurs plus d’éléments de réflexion aujourd’hui ? Les simulations ne nous permettent pas encore d’éclairer les choix qui pourraient être faits afin que les collectivités territoriales répondent véritablement aux besoins des populations.

À l’heure où nous discutons, l’intention du Gouvernement, une fois mise en œuvre la suppression de la taxe professionnelle, est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales afin de faire contribuer ces dernières à la réduction du déficit de l’État. Or elles apportent déjà largement leur pierre à l’entreprise de résorption du déficit, ne serait-ce que parce qu’elles réalisent des investissements représentant 73 % des dépenses d’équipement de la nation.

En vingt-cinq ans, les multiples réformes engagées ont mis à mal l’équilibre des finances locales : allégements divers de taxe professionnelle avant que celle-ci ne soit supprimée, réformes de la DGF et des autres dotations.

À chaque fois, ces réformes se sont traduites par une inflexion à la baisse des concours de l’État aux collectivités locales, en valeur relative comme en capacité de pouvoir d’achat.

Le débat d’aujourd’hui pourrait être parfaitement intéressant s’il n’intervenait deux jours avant la présentation du projet de budget pour 2011, lequel gèlera les dotations accordées aux collectivités alors que ces dernières devront faire face à une augmentation annoncée de leurs charges – je pense en particulier à l’énergie – bien supérieure à l’inflation envisagée.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

Mme Marie-France Beaufils. Nous pouvons craindre également que de nouveaux transferts de charges et de compétences, plus ou moins officiels, ne viennent peser peu à peu sur les collectivités et grever leurs capacités.

Quant aux ajustements de la suppression de la taxe professionnelle, le débat qui s’est tenu lors du Comité des finances locales le 6 juillet dernier a montré que des inquiétudes persistaient à se faire jour chez les élus.

Tout à leur volonté de supprimer rapidement la taxe professionnelle, répondant en cela à une revendication des milieux patronaux et du monde des affaires au moins aussi ancienne que la taxe professionnelle elle-même, le Gouvernement et le Président de la République ont oublié d’apprécier les conséquences d’une telle décision pour les collectivités territoriales. Le Président de la République, lors d’un déplacement dans le Loir-et-Cher, avait d’ailleurs affirmé que la priorité était d’abord accordée aux entreprises.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi !

Mme Marie-France Beaufils. En effet, ce choix est positif pour les entreprises, …

Mme Nicole Bricq. Pas toujours !

Mme Marie-France Beaufils. … mais pas pour ceux qui sont chargés de faire vivre les services publics locaux !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi et l’investissement !

Mme Marie-France Beaufils. J’y reviendrai, ne vous inquiétez pas !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me voilà rassuré !

Mme Marie-France Beaufils. Nous vous avions alertés de cette difficulté dès l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Les faits confirment nos analyses d’alors.

Tout d’abord, la suppression de la taxe professionnelle a été réalisée en sollicitant largement les deniers publics, puisque le Gouvernement transfèrera la charge de plus de 12,5 milliards d’euros de différentiel entre le montant du produit des nouvelles taxes acquittées par les entreprises et celui du produit de la taxe professionnelle perçu précédemment par les collectivités locales. De plus, les transferts d’imposition nécessaires au financement des services publics se reporteront sur les habitants, comme l’a rappelé Nicole Bricq tout à l’heure au sujet de la taxe d’habitation.

L’impact de la mesure, moins important à compter de 2011, participe d’ailleurs de la réduction optique du déficit que nous découvrirons dans deux jours.

Ensuite, la plus grande partie des simulations réalisées et publiées après la suppression de la taxe professionnelle se sont révélées largement erronées, notamment parce qu’elles utilisaient des données dépassées et que la plus grande circonspection doit présider à la définition de la valeur ajoutée au sens de la nouvelle cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Par ailleurs, fait incontestable lui aussi, en lieu et place d’une taxe professionnelle vilipendée pour ses défauts et dont la seule faiblesse, facilement rectifiable, était en fait un différentiel de cotisations très important entre le secteur industriel et les secteurs financier et des services, les élus locaux se retrouvent aujourd’hui à la tête d’une contribution foncière, qui rappelle furieusement la très antique patente, et d’une cotisation sur la valeur ajoutée, dont ils ne sont de toute manière pas maîtres, puisqu’elle découlera de la déclaration des entreprises assujetties. Nous savons qu’elle sera tout autant contestée.

Elle dépendra donc, dans certains cas, des choix stratégiques accomplis par les groupes, puisque les plus grandes entreprises seront concernées. Il suffira au moindre groupe à vocation internationale de domicilier à l’étranger une partie plus importante de ses bénéfices, …

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est ce qu’ils font d’ailleurs !

Mme Marie-France Beaufils. … avec un bon trust aux Bahamas ou un fonds d’actifs à Jersey, ou de sa valeur ajoutée, et il pourra jouer à la fois sur le montant de la TVA collectée et sur sa CVAE.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut donc supprimer cette cotisation !

Mme Marie-France Beaufils. Dans les faits, il n’y a plus de ressources pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et il n’y en a quasiment plus pour le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, tout simplement parce qu’il n’y a plus de taxe professionnelle.

Pour ne citer qu’un exemple, dans le département de l’Isère de mon amie Annie David, un certain nombre d’établissements exceptionnels – barrages hydrauliques ou installations de production d’électricité – étaient jusqu’à aujourd’hui concernés par l’alimentation du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, ce qui représentait une aide pour 550 communes. Désormais, les ressources de ces communes sont écrêtées pour solder les comptes de la suppression de la taxe professionnelle. Que deviendront ces communes sans un tel apport ? Où retrouveront-elles les capacités pour faire face à leurs obligations ?

À la place d’une gestion de proximité, animée par le conseil général sur les treize territoires de l’Isère, est créé un outil de simple ajustement fiscal confié aux services du ministère des finances et à la direction générale des collectivités locales, la DGCL.

J’ai entendu tout à l’heure qu’il était proposé de faire de la péréquation par l’intermédiaire de l’intercommunalité. Permettez-moi d’émettre un certain nombre de doutes. L’expérience m’amène, en effet, aujourd’hui à être plus que réservée au sujet d’un tel projet. L’intercommunalité à TPU a permis d’intervenir sur des actions nouvelles dans les territoires concernés, mais elle a laissé aux communes le soin de poursuivre la gestion de leurs services avec des moyens de moins en moins dynamiques.

Pour ce qui concerne les dotations budgétaires, les données sont connues de longue date. Le pouvoir d’achat de la dotation globale de fonctionnement, principale dotation de l’État aux collectivités locales, n’a cessé de se réduire depuis 1990, année où elle fut déterminée pour la première fois, d’une autre manière que par la voie d’un prélèvement sur les recettes de TVA de l’État.

La réforme de 1993 n’a rien changé au problème. La tendance lourde s’est maintenue et la dotation d’aménagement, comme ses composantes – dotation d’intercommunalité, DSU et DSR –, ne joue depuis lors qu’un rôle mineur, celui de rendre un peu moins amère la pilule de la déperdition de la DGF dans son ensemble. D’après nos collègues de l’Observatoire des finances locales, 14 700 communes ont connu une réduction de leur DGF en 2010.

N’oublions pas que l’insertion de la DGF dans l’enveloppe fermée et contrainte des concours budgétaires lui a aussi fait jouer un rôle peu reluisant, celui d’évincer progressivement d’autres dotations en termes de montants versés aux collectivités.

La misère de la DGF depuis quinze ans n’est rien comparativement à la chute libre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle !

Nous n’avons donc plus d’outils de péréquation opératoires, et cette péréquation de la misère risque fort de nous conduire très vite à la misère de la péréquation !

Sans taxe professionnelle et avec une DGF contrainte, que veut-on mettre en péréquation ? Souhaitez-vous faire du produit des amendes de police de la circulation le vecteur d’une péréquation nouvelle ? Soyons sérieux : que peut-on faire avec 1 milliard d’euros ?

Pour tout dire, il est plus que temps de nous poser deux vraies questions.

D’abord, on doit se demander s’il était opportun de supprimer la taxe professionnelle cette année ? Quel impact une telle décision a-t-elle pu avoir sur la situation réelle des contribuables ?

En vérité, le niveau des créations d’emplois en 2010 ne permet pas de justifier la mesure qui a été prise. Selon l’INSEE, seule la progression des emplois intérimaires permet cette année à la France d’enregistrer une hausse de l’emploi salarié total. Cela signifie que l’État a, pour l’heure, sacrifié 12,5 milliards d’euros pour voir se prolonger la disparition d’emplois industriels et exploser l’emploi précaire. On pourrait imaginer un meilleur résultat… C’est ce que l’on appelle jeter l’argent par les fenêtres ! Cela étant, cet argent ne sera pas perdu pour tout le monde : il est permis de penser que quelques dividendes seront, à terme, nourris par l’effort accompli par l’État.

Par ailleurs, la péréquation ne peut répondre à des objectifs précis, notamment la prise en compte des situations souvent complexes de certaines collectivités locales, si l’on ne se dote pas rapidement d’un nouvel outil de péréquation.

Mme la présidente. Veuillez conclure.

Mme Marie-France Beaufils. C’est pourquoi nous réclamons depuis plusieurs années la taxation des actifs financiers détenus par les banques, les assurances et les entreprises en général. La financiarisation de l’économie a tellement pollué le champ des activités de production qu’il est plus que jamais à l’ordre du jour de mettre en œuvre une telle mesure. Parce que l’acquisition, la détention, la rémunération de ces actifs participe de comportements prédateurs à l’égard de la richesse créée par toute entreprise produisant des biens ou des services, il convient de freiner ces activités en les assujettissant, dans un premier temps, à une cotisation à assiette large mais à taux réduit, qui pourrait être fixé à 0,5 %, et à rendement élevé.

La philosophie de cette flat tax puissamment incitative entend amener les entreprises à privilégier, pour assurer leur développement, l’investissement dans les processus de production comme dans les capacités humaines.

Les sommes en jeu seraient importantes – 30 milliards d’euros environ – et permettraient de redonner du souffle à nos collectivités locales, afin de porter remède à la réduction de leur capacité d’investissement que nous constatons aujourd’hui et qui pourrait avoir des conséquences lourdes sur le secteur du bâtiment et des travaux publics.

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