La France et l’Europe laissent filer des centaines de milliards d’euros de ressources financières disponibles
Efficacité des conventions fiscales internationales -
Par Marie-France Beaufils / 23 avril 2013Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête créée l’an dernier sur la proposition du groupe communiste, républicain et citoyen a eu un retentissement certain.
L’un de ses effets, grâce à quelques affaires qui ont été révélées, a été de permettre de mesurer l’ampleur du problème posé, la profondeur des pertes entraînées par la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales pour le budget général. Le montant se chiffre en dizaines de milliards d’euros et représente à peu près l’équivalent du déficit budgétaire. Le journaliste de La Croix Antoine Peillon, qui a intitulé son livre " Les 600 milliards d’euros qui manquent à la France ", a bel et bien situé l’enjeu.
Dans les méandres de la finance internationale, face à cette Hydre de Lerne de la spéculation, la France et l’Europe laissent filer des centaines de milliards d’euros de ressources financières disponibles, alors même que les économies des pays de l’Union européenne ont grand besoin de ces sommes pour faire face à leurs difficultés actuelles, dont la spéculation et la fraude sont d’ailleurs responsables pour une part décisive.
Là se situe clairement l’enjeu : ou bien une lutte contre la fraude fiscale de grande envergure est lancée, et nous connaîtrons, chaque année, un redressement des comptes publics et un élargissement des capacités de financement de la dépense publique comme de la réduction des impôts ; ou bien tel ne sera pas le cas, et nous serons toujours préoccupés par le taux de chômage, inquiets de voir progresser encore les inégalités sociales et de constater que des millions de nos compatriotes n’ont pas ou plus de logement et de voir augmenter sensiblement la proportion des jeunes en échec scolaire.
La découverte de l’existence des paradis fiscaux n’est pas nouvelle ; celle-ci a été révélée avec un certain éclat bien avant la crise financière de 2008.
Un paradis fiscal, rappelons-le, n’est pas nécessairement le paradis pour tous ! Le territoire tropical le plus inégalitaire possible, à l’instar des Philippines, où une oligarchie limitée se partage le pouvoir depuis de longues décennies, peut être un paradis fiscal idéal pour les ménages les plus aisés et les entreprises les plus profitables, tout en restant un enfer pour la grande majorité de la population.
Saint-Martin nous offre un exemple intéressant de ce qu’est un paradis fiscal. La partie française de l’île étant devenue une collectivité territoriale, ne s’y applique plus qu’un code général des impôts « adapté » aux spécificités locales, tout en restant « inspiré » par le code métropolitain. Néanmoins, quand il s’est agi d’« adapter », la première décision de l’assemblée territoriale a été de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune !
On peut douter que cet impôt ait alors constitué la première préoccupation des résidents : en 2007, le revenu moyen des habitants était inférieur à 7 400 euros et 8,4 % seulement des contribuables étaient habilités à payer une cotisation. Autant dire que la décision de l’assemblée territoriale ne concernait qu’une infime minorité des habitants de l’île.
Cet exemple, que nous fournit notre propre territoire, permet de bien montrer la logique du paradis fiscal : faire échapper aux rigueurs de l’impôt certaines ressources, plus particulièrement des gros patrimoines, des revenus aisés et des capitaux importants.
De ce point de vue, le cas de la Suisse, souvent cité en matière de paradis fiscal, est édifiant.
Pour une personne résidant en France, être travailleur frontalier en Suisse peut se révéler une opération coûteuse au plan fiscal, eu égard au dispositif de retenue à la source en général pratiqué par les cantons suisses sur les revenus du travail.
Exemple parmi d’autres, la petite commune d’Ornex, située dans le pays de Gex, abrite une population dont le revenu fiscal moyen est supérieur à 40 000 euros annuels. Toutefois, le rendement de l’impôt sur le revenu français s’y établit à 4,3 % des revenus déclarés, un pourcentage inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis ! Motif : une bonne partie des actifs d’Ornex travaillent en Suisse et leurs revenus étant soumis aux règles locales de retenue à la source se trouvent fort peu imposés en France, car la convention fiscale prévoit de défalquer l’impôt déjà acquitté en Suisse de celui qui serait exigible au barème français.
Rien à voir cependant avec le fameux forfait fiscal, qui ne profite, pour sa part, qu’à des revenus et patrimoines fort élevés et dont les règles sont bien moins dures pour les expatriés français que pour les frontaliers.
Rappelons-le, le forfait fiscal se fonde sur la dépense réalisée en Suisse par le contribuable français pour l’entretien de sa personne et de sa maison, y compris à l’étranger. Cette dépense doit constituer sept fois la valeur locative ou le loyer de la résidence occupée sur le territoire des cantons suisses pratiquant encore ce système.
Ce dispositif, en cours de suppression à la suite de plusieurs initiatives populaires, permet ainsi à de riches hommes – ou femmes – d’affaires français retraités de disposer d’un logement très confortable en Suisse, sans que le prix de celui-ci représente pour eux une charge trop élevée.
Les quelques milliers de forfaits fiscaux pratiqués en Suisse rapportaient en moyenne, selon les derniers chiffres connus, 120 000 à 125 000 francs suisses aux administrations cantonales concernées, un chiffre sans commune mesure, évidemment, avec les pertes fiscales causées aux pays d’origine, eu égard au patrimoine et aux revenus dont disposent ces heureux bénéficiaires.
J’ai cité des exemples en lien non pas avec les plus récentes conventions fiscales signées par la France, mais avec la convention franco-suisse, actuellement en débat.
Pour autant, comme nous avons examiné depuis 2008-2009 une bonne vingtaine de conventions, dont la très critiquable convention conclue avec le Qatar, nous pourrions fort bien nous interroger sur l’efficacité réelle de ces textes. Combien de procédures d’échange d’informations en ont découlé ? Quels furent les résultats ? Ensuite, le moment venu, nous pourrions aller à l’essentiel.
La France n’a pas à suivre aveuglément les recommandations de l’OCDE, et même du GAFI, le groupe d’intervention financière, organisme qui en découle, quant à la transparence financière.
On peut même penser que le travail de la nouvelle commission d’enquête, dont nous avons demandé la constitution, mettra en évidence le rôle complexe du secteur financier dans ces processus d’évasion de capitaux vers des cieux fiscaux plus cléments.
En qualité de pays majeur dans le concert international, nous devons faire valoir notre approche de la transparence des mouvements financiers, en nous situant clairement au premier rang de la lutte contre la fraude et la dissimulation fiscales, en remettant en question à la fois les listes avantageusement établies de territoires dits « coopératifs » et les opérateurs, financiers notamment, qui continuent à y exercer des activités.
Nous pourrons ainsi nous demander ce que devient la loi n° 2010-845 relative à la convention entre la France et le Gouvernement des îles Caïmans, ce petit territoire où 350 personnes gèrent un total de fonds équivalant au quart des sommes administrées par la City de Londres...
C’est donc à une approche critique des conventions passées, à un reclassement précis des pays en fonction de leur transparence réelle et à des changements de pratiques de nos établissements financiers que nous appelons au terme de cette discussion.
Dans notre démocratie, le rôle de l’impôt est bien la participation de chacun à l’intérêt général, selon ses capacités. C’est ce que nous rappelle la Constitution. C’est aussi ce qui fonde notre volonté que cette lutte contre la fraude fiscale soit une priorité du Gouvernement, lequel doit s’en donner les moyens.