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Les débats

La loi de 2009 a mis en péril le service public de l’audiovisuel

Communication audiovisuelle et nouveau service public de la télévision -

Par / 2 octobre 2012

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la grève massive qu’ont menée aujourd’hui les salariés de l’audiovisuel public, le rassemblement qui a eu lieu cet après-midi devant notre assemblée tout comme la présence, ce soir, dans nos tribunes, de leurs représentants syndicaux illustrent bien l’enjeu du bilan que nous avons à tirer de la réforme de 2009.

Ce bilan intervient alors que France Télévisions vient d’informer ses salariés de la suppression de 500 nouveaux postes et qu’une baisse brutale de son budget est annoncée par le Gouvernement.

Les effets cumulés de ce bilan et de ces annonces peuvent s’avérer désastreux, voire entraîner des ruptures pour l’avenir de France Télévisions. La situation est donc particulièrement inquiétante et les salariés viennent à juste titre de tirer le signal d’alarme.

En réalité, la loi de 2009 a mis en péril le service public de l’audiovisuel en le confrontant à une double crise : une crise économique et une crise de confiance.

La crise de confiance est notamment – mais pas seulement – le résultat du mode de désignation des présidents de l’audiovisuel public. Ceux-ci étant désormais nommés directement par l’exécutif, les liens créés avec le pouvoir politique sont devenus trop ténus pour que les décisions prises puissent échapper à cette dépendance. On le voit ces derniers jours avec l’incapacité du P-DG de France Télévisions à réagir pour défendre les moyens du service public et ses salariés, contrairement à ce qu’il disait voilà quelques jours encore. Cette incapacité est l’illustration de cette situation.

Crise de confiance, mais surtout crise de financement et de vision stratégique. Évidemment, on ne peut faire un bilan de la réforme de 2009 sans évoquer la suppression de la publicité télévisuelle, qui en était l’objectif affirmé et qui a en réalité, on le voit aujourd’hui, profondément affecté les finances de France Télévisions. À l’époque, nous avions déjà alerté sur ce point : la condition expresse devait être d’assurer des ressources pérennes alternatives.

Entendons-nous bien : nous partageons l’objectif d’une télévision publique dégagée de la contrainte marchande afin de privilégier une offre indépendante et de plus grande qualité. Mais force est de constater que les conditions de mise en œuvre de cette suppression n’ont servi en réalité qu’à fragiliser les finances de France Télévisions, sans pour autant ni modifier significativement le contenu de sa programmation ni la dégager des contraintes de l’audimat.

Le risque de déstabilisation était d’ailleurs tellement manifeste dans ces conditions que la suppression de la publicité ne s’est appliquée qu’après vingt heures. Si tel n’avait pas été le cas, la catastrophe serait déjà survenue.

S’agissant des effets sur les programmes, la suppression de la publicité ne permet pas de conclure à de véritables changements éditoriaux ni à une modification notable de la qualité des programmes. La réforme de 2009 avait d’ailleurs, et fort peu logiquement, autorisé le parrainage et les placements de produit qui envahissent la soirée, ce qui a d’autant réduit l’impact de la suppression de la publicité.

En vérité, la tyrannie de l’audience a dans les faits continué à jouer à plein.

Résultat pour France Télévisions : la réforme de 2009 a entraîné une déstabilisation financière sans gain qualitatif.

La loi de 2009 avait prévu de nouveaux dispositifs censés compenser la baisse de ressources financières consécutive à la suppression de la publicité, mais ils sont aujourd’hui tous remis en cause. Non seulement le taux de la taxe sur le chiffre d’affaires des recettes publicitaires qui a été créée et affectée à France Télévisions n’a cessé de diminuer au fil des lois de finances, passant de 3 % initialement à 0,5 % aujourd’hui, mais encore son rendement a diminué du fait d’une conjoncture économique défavorable et de l’effondrement des recettes publicitaires.

Cela impacte donc doublement le budget de France Télévisions : le montant de la taxe est plus faible qu’escompté et celle-ci souffre de la baisse des revenus publicitaires en journée.

D’ici à la fin de l’année 2012, on estime que ce sont environ 60 millions d’euros de revenus publicitaires qui manqueront à France Télévisions.

Quant à la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, également créée pour compenser la baisse des ressources publicitaires, elle est aujourd’hui ouvertement menacée par la Commission européenne, qui devrait rendre une décision au cours de l’année 2013.

La logique de concurrence aveugle véhiculée par la Commission européenne ainsi que le lobbying des fournisseurs d’accès à Internet auront malheureusement porté leurs fruits, empêchant la mise en place de mutualisations pourtant légitimes.

Il est en effet à redouter, dans ces conditions, que la Commission invalide cette taxe. Cela entraînerait un manque de 250 millions d’euros par an pour France Télévisions et l’État devrait alors rembourser au moins 1 milliard d’euros – il est même question de 1,3 milliard d’euros pour les trois années précédentes.

Il est dit que le Gouvernement aurait provisionné cette somme ; dans le contexte budgétaire actuel, sur quels budgets ces sommes seraient-elles prélevées ?

Enfin, il était prévu que le Gouvernement compense les pertes de recettes publicitaires par l’affectation d’une dotation budgétaire annuelle d’un montant de 450 millions d’euros. Or non seulement cet engagement n’a jamais été respecté, pas même la première année au motif des « surperformances » de la régie publicitaire de France Télévisions, mais, entre 2008 et 2011, il a manqué au total 86 millions d’euros de dotations publiques promises.

L’ensemble de ces constats est pour nous sans appel. Nous ne pourrons pas sortir France Télévisions des difficultés actuelles en bricolant, a fortiori en portant par surcroît des coups de hache dans son budget. C’est à la mise en chantier urgente d’une nouvelle loi qu’il faut s’atteler au plus vite afin de remettre sur le métier une solution d’ensemble pour la pérennisation des ressources de France Télévisions. Il y va de la responsabilité de la gauche et de son ambition pour le service public de l’audiovisuel.

Au lieu de cela, comment comprendre que le Gouvernement ait annoncé ces jours-ci une diminution brutale du budget de France Télévisions qui représenterait une perte supplémentaire de 85 millions d’euros ? Si cette mesure était confirmée au cours du prochain débat budgétaire, ce serait là une baisse historique du budget de France Télévisions. Elle poserait plus que jamais la question de la survie d’un service public de la télévision performant et de qualité.

La réflexion sur les financements nouveaux ne peut donc pas, dans ces conditions, se réduire à la seule augmentation de la redevance, surtout dans le contexte fiscal que nous abordons.

La réforme de 2009 a déjà conduit, récemment, à l’annonce de la suppression au sein de France Télévisions de 500 nouveaux emplois en plus des 650 départs déjà enregistrés cette année – il paraît même que le P-DG a annoncé vouloir poursuivre dans cette voie ! –, sans compter les fins de contrats à durée déterminée et de contrats de pigistes.

La réforme de 2009 a également précipité l’annonce récente par la direction de sa volonté de fusionner les rédactions de France 3 et France 2 au détriment des missions de la première et pousse chaque jour à la mise en cause des moyens de production, singulièrement des moyens de production régionaux.

S’agissant de Radio France, si la baisse de ses moyens n’est « que » de 3 millions d’euros, les emplois ne sont pas non plus épargnés.

Dans ces conditions, nous ne pouvons être que surpris par les annonces gouvernementales. Surtout au moment où de nouveaux canaux de diffusion sont attribués aux chaînes privées, comment imaginer que la gauche porte ce type de projets pour le service public et remette à plus tard une grande et ambitieuse réforme de l’audiovisuel ?

Voulons-nous aggraver les conséquences d’une loi mal ficelée déjà en 2009 ou sortir de l’ornière à laquelle celle-ci a conduit ?

Par conséquent, c’est en reposant la question de l’ambition et des missions de service public qu’il faut indéniablement songer à dégager de nouvelles recettes pérennes pour France Télévisions et, pour les mêmes raisons, revoir le mode de désignation des présidents de l’audiovisuel public.

Des réformes fondamentales pour l’indépendance et la démocratisation des médias publics sont urgentes. Au-delà, c’est la remise en chantier de toutes les pistes de financement qui est nécessaire, le préalable étant, à nos yeux, la remise en cause immédiate des coupes budgétaires annoncées. À défaut, la confiance serait rompue avec les personnels de France Télévisions, sans lesquels aucun redressement ne sera possible.

Concernant la contribution à l’audiovisuel public, une remise à niveau reste nécessaire. Comment y parvenir ? par un élargissement aux résidences secondaires ? par l’augmentation de quatre euros déjà annoncée ? Je pose la question, car cela mérite discussion, mais, en tout état de cause, dans le contexte d’austérité actuel, toute mesure fiscale nouvelle devra intégrer des éléments de progressivité et s’inscrire dans une réforme fiscale plus globale, allant vers une réelle justice.

Alors que le taux de la redevance française est inférieur au taux européen moyen, ne pourrait-on envisager une augmentation par paliers, avec des exonérations pour les foyers les plus démunis ?

Et faut-il envisager un retour de la publicité après 20 heures ?

M. le président. Il est temps de vous orienter vers votre conclusion, mon cher collègue.

M. Pierre Laurent. Certaines organisations syndicales le proposent, faute d’autres financements. Ce n’est pas la piste que nous privilégions, vous le savez, mais la situation mérite l’examen de toutes les propositions.

En revanche, et malgré le lobbying des chaînes de télévisions privées et le contexte de réduction des ressources publicitaires, nous pensons qu’il faudrait rétablir le taux de la taxe sur les chiffres d’affaires publicitaires au niveau prévu par la loi de 2009.

Au-delà, les rapports entre France Télévisions et les producteurs privés doivent être revus en profondeur pour redonner au service public la maîtrise des droits sur ce qu’elle finance, d’autant que France Télévisions – c’est un enjeu de taille – a une obligation d’investissements de 470 millions d’euros par an dans la production télévisuelle et cinématographique, investissements qui nourrissent, de fait, les producteurs privés.

Enfin, il faut continuer à travailler sur d’autres pistes, dont la taxe sur les agrégateurs de contenus, la fameuse « taxe Google ».

Telles sont les quelques brèves, trop brèves remarques que je souhaitais formuler. Une chose est sûre, et je terminerai sur ce point, le bilan de la loi de 2009 ne laisse d’autre option qu’une refonte profonde et rapide de la loi. Des pistes sont possibles, le calendrier est urgent. Il faut que la gauche agisse !

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