Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

La mise en œuvre de ce texte confirme les craintes que nous avions formulées lors de son examen

La loi « hôpital, patients, santé et territoires » , un an après -

Par / 15 juin 2010

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par faire part de la satisfaction de notre groupe et par féliciter Mme la ministre d’avoir promulgué, le 20 mai dernier, un décret relatif aux établissements de santé privés collectifs, qu’on appelait « participant au service public hospitalier », ou PSPH, avant la promulgation de la loi HPST.

Cette suppression était d’ailleurs cohérente avec celle du chapitre relatif au service public hospitalier dans le code de la santé publique, que vous avez malheureusement refusé de rétablir.

Néanmoins, nous nous réjouissons que le Gouvernement, en publiant ce décret, reconnaisse le rôle irremplaçable joué par de tels établissements dans notre système de santé. Nous pensons même qu’ils devraient constituer un modèle vers lesquels pourraient converger tous les établissements privés.

Pour le reste, la mise en œuvre de ce texte confirme les craintes que nous avions formulées lors de son examen et qui nous avaient conduits à voter contre ce texte.

La logique comptable qui inspirait votre réforme est aujourd’hui à l’œuvre. L’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, qui négocie actuellement avec sa tutelle pour ses budgets à venir, prévoit pour l’année 2010 la suppression de 685 emplois non médicaux et 50 emplois de personnels médicaux et la disparition de 25 hôpitaux de l’AP-HP, puisqu’il ne devrait plus rester que 12 sites au terme de cette opération.

Parmi les fermetures les plus importantes, je souhaite mentionner les hôpitaux Jean Rostand, Paul Brousse et Saint-Vincent de Paul. À cela, il convient d’ajouter les fermetures programmées telles que celles de l’hôpital Fernand Widal, de l’hôpital Beaujon à Clichy, menacé par son regroupement avec l’hôpital Bichat. Ce sont aussi 400 lits qui manqueront avec la reconstruction de l’hôpital Charles Foix à Paris. Je passe volontairement sous silence les fermetures de services, trop nombreuses pour les évoquer toutes, comme par exemple à l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt, qui voit disparaître son service de réanimation chirurgicale et à qui l’on refuse, contrairement aux engagements, la création de 66 postes infirmiers, ou encore la probable fermeture du service de médecine nucléaire de l’hôpital Louis Mourier de Colombes. Je pourrais évidemment allonger la liste, mais je m’en tiendrai là…

De telles fermetures sont d’autant plus faciles à réaliser que le Gouvernement dispose aujourd’hui, avec les directeurs généraux des ARH, véritables « superpréfets » sanitaires et sociaux, d’une autorité régionale renforcée, ce qui affaiblit la démocratie sanitaire, déjà réduite à la portion congrue.

Quant aux établissements privés à but lucratif, ils peuvent désormais se voir attribuer des missions de services publics qu’ils ont la possibilité de choisir eux-mêmes. En clair, cette décision échappera aux pouvoirs publics, qui sont pourtant les seuls capables de garantir la satisfaction des besoins spécifiques en santé des territoires et des populations. Dans les faits, la direction de la clinique fera acte de candidature en fonction de ses intérêts commerciaux et pour une mission qu’elle aura elle-même sélectionnée, parce que celle-ci correspondra à une activité rentable ou permettra de drainer une nouvelle clientèle. Je pense particulièrement aux urgences.

Le Conseil Constitutionnel ne nous a malheureusement pas suivis lors de notre saisine, et je le regrette. Néanmoins, en déclarant, dans son sixième considérant, qu’il appartiendra à l’autorité de tutelle « en définissant les modalités de cette participation et en la coordonnant avec l’activité des établissements publics de santé, de veiller à ce que soit assuré l’exercice continu des missions du service public hospitalier pris dans son ensemble », le Conseil constitutionnel a relevé quelques faiblesses dans votre organisation, madame la ministre.

Et je crois que vous devriez particulièrement veiller à garantir l’accès continu aux tarifs opposables pour des soins débutés dans un établissement commercial. Nous vous avions proposé des amendements en ce sens, et vous les avez systématiquement refusés. Croyez bien que je le regrette.

De la même manière, nous regrettons le choix que vous avez fait d’autoriser les cliniques privées commerciales à constituer des centres de santé.

On voit bien qu’il s’agit, là encore, de créer la confusion entre les établissements sans but lucratif et ceux qui poursuivent un intérêt commercial. Les entreprises de santé, que nous connaissons tous, ne sont pas de parfaits philanthropes. Si elles décident demain d’ouvrir des centres de santé, c’est non pas pour prendre en charge, comme le font très bien les centres municipaux, associatifs ou mutualistes, les besoins de santé d’une population souvent démunie, mais pour avoir accès à une clientèle qui leur échappe actuellement.

Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le penser. Le jeudi 6 mai 2010, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, a rendu publique la lettre qu’elle a adressée le 23 avril dernier au Premier ministre, François Fillon, pour lui demander d’abroger trois des dispositions de l’ordonnance du 23 février 2010 de coordination avec la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Deux des mesures concernées ont trait aux centres de santé.

Nous partageons pleinement l’analyse du président de l’UNIOPSS, qui, dans un recours gracieux sur les décrets du 23 février 2010, précisait ceci : « À ce titre, nous nous permettons d’insister sur l’importance qu’il y a de pouvoir garantir aux patients qui entrent dans le circuit de soins d’un établissement de santé par l’intermédiaire d’un centre de santé le bénéfice du tarif opposable tout au long de leur prise en charge par cet établissement de santé, qu’il s’agisse d’actes à visée diagnostique ou thérapeutique. »

De la même manière, nous sommes inquiets quant à la procédure relative à la création de ces centres, que vous entendez mettre en place par décret.

Nous sommes aujourd’hui sous un régime dit de l’autorisation. En d’autres termes, pour pouvoir s’installer, un centre de santé doit avoir reçu une autorisation de la part des autorités compétentes, attestant notamment – c’est très important – que son implantation est conforme au schéma régional d’organisation sanitaire, le SROS. Or il semblerait que, sous prétexte de favoriser la création des centres de santé, gérés en réalité par des cliniques commerciales, vous fassiez évoluer le système selon une logique déclarative. Dès lors, il n’y aurait plus de visite de conformité ni, surtout, d’opposabilité du volet ambulatoire du SROS. Cette décision serait lourde de conséquences, dans la mesure où l’objectif assigné au SROS est d’assurer à l’ensemble de la population l’accessibilité financière et géographique à des soins de qualité.

De plus, comme si concéder des pans entiers de service public au secteur privé ne vous suffisait pas, vous avez fait le choix d’instiller dans le public des pratiques spécifiques au secteur privé, que nous réprouvons.

Disant cela, je pense, en particulier, à la nomination aux postes de directeurs d’établissements publics de santé de personnels non fonctionnaires, c’est-à-dire de personnels non issus de l’Ecole nationale de santé publique, l’ENSP. Nous avions contesté cette mesure à l’occasion de l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que j’avais personnellement défendue devant vous. Le Conseil constitutionnel, s’il a validé cette disposition, a toutefois émis d’importantes réserves. À titre d’exemple, il vous a contraint à limiter à 10 % le nombre de directeurs non issus de l’ENSP et à préciser par décret les compétences indispensables de ces directeurs recrutés de manière dérogatoire, ainsi que la manière de les évaluer. Vous n’aviez rien prévu de tout cela. Vous ne vouliez pas entendre nos avertissements, puisque, pour vous, il s’agissait de traduire dans les faits le dogme qui a conduit à l’élaboration de ce projet de loi : la transformation de l’hôpital en une entreprise de soins.

Dans le même temps, vous appuyant sur la même logique d’ « hôpital-entreprise », vous avez instauré le recours massif aux contractuels et la rémunération au mérite. Ainsi, dans un seul et même service, différentes relations contractuelles peuvent désormais coexister, ce qui ne manquera pas de créer des conflits, peu propices, nous le savons tous, à un travail en équipe. D’ailleurs, interrogés par le syndicat des médecins anesthésistes, 85 % des salariés ont déclaré leur opposition à cette mesure.

En outre, pour imposer votre nouveau modèle de gestion, vous avez fait le choix d’apporter des restrictions considérables à ce qui faisait sans doute la spécificité de notre système de santé : son caractère démocratique. Les représentants des territoires que nous sommes savent tous combien la participation des élus locaux aux conseils d’administration des établissements publics de santé a été bénéfique. Alors que, hier encore, les conseils d’administrations étaient de véritables lieux de décisions, associant l’ensemble des personnels, ils sont devenus, sous la forme de conseils de surveillance, de simples organes consultatifs. En somme, les pouvoirs décisionnels ont été transférés aux directoires.

Madame la ministre, la mise en œuvre de cette réforme apporte quotidiennement la preuve que notre opposition était fondée. Tout cela ne fait que la renforcer.

Cette réforme va rendre plus précaires les conditions d’accueil et de prise en charge des plus pauvres de nos concitoyens, dont l’état de santé est le plus atteint. (Mme la ministre manifeste son désaccord.) La détérioration des conditions de travail des professionnels de santé risque de les décourager, et de faire fuir les plus compétents vers le secteur privé. Il est à craindre que votre réforme de l’hôpital ne compromette la qualité et la sécurité des soins qui y sont dispensés, sans pour autant garantir un retour à l’équilibre financier.

Enfin, et nous pouvons tous le regretter car il y a urgence, cette loi n’apporte aucune réponse à la disparition programmée de la spécialité de médecine générale – quelques années seulement après sa création – ni aux inégalités territoriales de santé. Vous en aviez l’opportunité. Vous n’avez pas pu, ou voulu, la saisir. C’est profondément regrettable, car tout retard dans ce domaine rend plus difficile encore la mise en œuvre des mesures indispensables pour stopper la dégradation de notre système de santé.

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