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Les débats

Le ciel européen est devenu le cimetière de grandes compagnies aériennes nationales

Transparence dans le transport aérien -

Par / 5 février 2015

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’emblée saluer à mon tour la qualité du propos introductif de notre collègue Pascal Allizard. Je souscris en tout point au constat qu’il a brillamment établi.

Il y a quelques mois, la grève des pilotes d’Air France contre le projet de création d’une filiale à bas coût – j’éviterai l’anglicisme ! –, Transavia, afin de diminuer le coût du travail et, donc, de baisser le prix du billet, a fait la une de l’actualité. Les véritables enjeux de cette grève n’ont pas été clairement et objectivement expliqués à l’opinion publique ; ils ont même été parfois caricaturés. Selon l’adage, « quand le savant désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. »

Les prix bas séduisent évidemment les clients potentiels, mais il faut examiner les effets macroéconomiques de cette évolution dans la durée, notamment sur les normes fiscales et sociales, comme l’ont souligné les orateurs précédents.

Le ciel européen est devenu le cimetière des grandes compagnies aériennes nationales, et pas des moindres ; je pense notamment à Swissair, KLM, Alitalia et Iberia.

Le secteur du transport aérien a été complètement déstabilisé au cours des deux dernières décennies. C’est dire si le débat proposé par nos collègues de l’UMP est tout à fait pertinent. Il y a effectivement lieu de demander la transparence absolue sur les enjeux du transport aérien.

Aujourd’hui, en Europe, seuls la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont réussi à conserver leur compagnie historique. C’est d’ailleurs sur ce constat que s’ouvre le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui s’interroge sur la viabilité des compagnies aériennes européennes.

Si les rapports de forces internationaux ont un impact réel sur ce secteur sensible à l’évolution des prix des hydrocarbures, cela ne profite pas aux compagnies européennes, car leur situation s’explique avant tout par une politique de libéralisation hasardeuse et une application souvent biaisée de la notion de concurrence. Ainsi, la déréglementation européenne n’a pas pris en compte l’équité de la concurrence, la capacité financière des entreprises entrantes et la preuve de leur honorabilité, même si la directive de 2008 du Parlement européen et du Conseil essayait d’y remédier.

Le moyen-courrier intracommunautaire est aujourd’hui partagé entre les compagnies généralistes et les compagnies à bas coût, les compagnies charters ayant pratiquement disparu. En effet, le cadre réglementaire européen libéralisé a permis l’émergence de nouveaux acteurs très efficaces, jouant des avantages offerts par le manque d’harmonisation fiscale et sociale au sein de l’Europe, mais aussi de la possibilité, sans aucun souci d’aménagement du territoire, de choisir les lignes à exploiter et de fixer leurs tarifs.

À cet égard, les conclusions de la mission d’information sur le dumping social dans les transports sont sans appel. Le transport aérien, qui a été le premier touché par les politiques de déréglementation mises en place en Europe, a aussi été un laboratoire en matière d’optimisation sociale et de fraude : recours à de faux travailleurs indépendants, contrats de travail établis dans des pays dits « à bas coûts », sociétés boîtes aux lettres, etc. L’absence de lieu de travail fixe et la relative imprécision des normes européennes ont longtemps favorisé ces pratiques.

Ainsi, le succès économique des compagnies à bas coût repose sur une réduction drastique de la plupart des coûts, en particulier des charges de personnel. Ces entreprises sont à la pointe des techniques d’optimisation sociale, contournant le droit européen, voire y dérogeant.

Dans un contexte de concurrence exacerbée, ces pratiques tendent désormais à être mises en œuvre au sein de certaines filiales de grands groupes. Par exemple, afin de contourner la notion de base d’affectation, certaines sociétés ont généralisé le recrutement de faux travailleurs indépendants pour composer leurs équipages. Ce statut permet à l’exploitant de s’exonérer des charges sociales et patronales, les compagnies n’apparaissant plus comme employeurs de leurs propres pilotes ou équipages de cabine.

Et ce n’est qu’un exemple ! Les auteurs du rapport d’information établi au nom de la commission des affaires européennes se sont également penchés sur les salaires scandaleusement bas, les conditions de travail, voire le travail dissimulé, qui mettent réellement la sécurité des personnels et des voyageurs en danger.

Si la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne tend, depuis 2011, à garantir une meilleure protection aux travailleurs concernés, il reste que le manque de concurrence loyale fragilise singulièrement les compagnies nationales. Il convient désormais de veiller à mieux évaluer les conséquences sociales des textes européens visant à créer un marché unique des transports, car le dumping social et fiscal constitue bien la première faiblesse du secteur, au niveau intracommunautaire.

Sur les marchés long-courriers, la présence des compagnies européennes et françaises se trouve, elle, menacée par les grandes compagnies émergentes d’Asie et du Moyen-Orient. Le cas de Dubaï vient d’être cité.

Comme le souligne justement dans son rapport, remis au Premier ministre à l’automne dernier, notre collègue député Bruno Le Roux, le transport aérien reste, malgré la mondialisation, l’activité porte-drapeau d’un pays. C’est un véritable multiplicateur d’emplois, en particulier au niveau des plateformes aéroportuaires. On estime qu’une augmentation du nombre de passagers d’un million de personnes permet de créer 4 000 emplois, dont 1 000 emplois directs. Ce n’est pas rien !

Bien sûr, les questions des hubs aériens, des redevances aéroportuaires, des aides d’État en soutien à ce secteur et aux compagnies nationales, de la volonté européenne de continuer à ouvrir le ciel européen devront aussi être abordées.

Pour ces raisons, et au regard des forts enjeux évoqués ici par les uns et les autres, nous saluons la création de ce groupe de travail, auquel nous prendrons une part active. Peut-être y aurait-il d’ailleurs lieu d’envisager dès maintenant une suite à ce groupe de travail, sous la forme d’une nouvelle mission d’information ou d’une commission d’enquête. Pour notre part, nous en sommes demandeurs !

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