Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Le logement ne doit plus être considéré comme une marchandise

Accession à la propriété -

Par / 2 novembre 2010

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sénateurs membres du groupe de la majorité parlementaire ont fait le choix de mettre en débat la question de l’accession à la propriété dans le cadre de l’ordre du jour réservé.

Il est vrai que le Président de la République avait fait de son engagement en faveur d’une « France de propriétaires » un leitmotiv de sa campagne présidentielle. Force est de constater cependant que, quelques années plus tard, les résultats ne sont pas ceux qui étaient escomptés. Il est vrai que, selon l’adage, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Sans y voir de malice, nous estimons que ce débat sur l’accès à la propriété donne l’impression d’être utilisé par la majorité comme un artifice visant à détourner l’attention de la véritable urgence : le mal logement, qui touche plus de 3,5 millions de personnes dans notre pays et qui est exacerbé par l’absence d’un droit au logement opposable applicable concrètement.

De manière plus cynique encore, on peut y voir un lien avec l’actuel débat sur les retraites, au cours duquel vous avez jugé utile et nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, de proclamer : « posséder son logement, c’est la constitution d’un capital pour la retraite ».

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est vrai !

Mme Odette Terrade. Cela s’apparente à une forme d’aveu sur la baisse évidente des pensions que va générer la réforme en cours et donc sur la nocivité sociale de celle-ci, nocivité qui donne raison aux millions de gens qui manifestent. Mais tel n’est pas notre sujet aujourd’hui.

En se faisant l’apôtre d’une France de propriétaires, en consacrant pour ce faire des dispositifs fiscaux avantageux, sans aucune prise en compte de la problématique sociale, le Président de la République a pourtant commis un manquement grave. Il faut d’ailleurs se souvenir que, avant la crise des subprimes, il ne tarissait pas d’éloges sur les crédits hypothécaires ; c’est dire la pertinence qui caractérisait son jugement sur les solutions à mettre en œuvre pour répondre à la crise du logement que connaît notre pays !

Pourtant, la crise des subprimes a largement démontré que vouloir ainsi favoriser à tout prix l’accession à la propriété indépendamment de la question du pouvoir d’achat ne pouvait produire que des catastrophes humaines, puisqu’une telle politique pousse les gens à s’endetter sur plusieurs générations pour le plus grand bonheur des banques.

C’est d’ailleurs un tel mécanisme qui conduit à ce que, aujourd’hui, 778 000 personnes bénéficient d’une procédure de surendettement. Pas étonnant que, dans ces conditions, comme l’a rappelé notre collègue tout à l’heure, 83 % de nos concitoyens pensent qu’il est impossible de devenir propriétaire !

En effet, comment parler d’accession à la propriété en dehors de toute considération humaine ? Ainsi, pour devenir propriétaire aujourd’hui, il faut non seulement disposer de ressources suffisantes mais également pouvoir témoigner d’une certaine stabilité dans son parcours professionnel. Or, les préceptes libéraux et la politique menée par le Gouvernement conduisent la plupart de nos concitoyens à la précarité et à l’instabilité, notamment par une mobilité professionnelle accrue.

Je rappellerai ici le propos de Mme Parisot, présidente du MEDEF, qui s’interrogeait en ces termes : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »

Peut-être a-t-il échappé à la patronne des patrons qu’il est justement demandé aux accédants à la propriété de justifier d’un travail et de revenus non précaires pour obtenir un prêt bancaire.

Par ailleurs, comment se porter acquéreur d’un logement alors même que le pouvoir d’achat est en berne et que l’État, au nom de la rigueur, n’assume plus ses missions de service public et particulièrement celle du logement ?

Ainsi, les propriétaires, comme les locataires, doivent faire face à des dépenses courantes de logement qui augmentent plus vite que leurs revenus, que ce soit en termes de charges d’eau, de gaz ou d’électricité.

Aujourd’hui, d’après l’association CLCV, la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, « 500 000 ménages présenteraient des impayés [de loyers] de deux mois ou plus, soit une augmentation de 96 % en quatre ans dans le parc privé et de 58 % dans le parc public ». En onze ans, le nombre de jugements pour impayés a ainsi progressé de 25 %.

Selon la lettre « Conjoncture logement » : « Pour devenir propriétaire de son logement en France, il vaut mieux être jeune ou vieux mais avec des revenus supérieurs à la médiane des salaires français, […]. » Seule une petite minorité de nos concitoyens peut donc prétendre au statut de propriétaire. Les chiffres sont d’ailleurs accablants : entre 2007 et 2009, l’accession à la propriété des personnes à revenus moyens a ainsi reculé de 37 % !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. C’est bien pour cela que nous faisons une réforme !

Mme Odette Terrade. Nous le voyons donc bien : en dehors d’une politique sociale ambitieuse, il sera bien difficile de faciliter l’accession à la propriété !

À cette occasion, je voudrais également évoquer avec vous un élément déterminant qui explique la difficulté liée à l’accession à la propriété. Il s’agit de la spéculation foncière galopante induite par la renonciation des pouvoirs publics à maîtriser le foncier.

En trente ans, on constate une hausse de 572 % des prix du foncier. C’est pourquoi nous plaidons depuis de nombreuses années pour une régulation des prix et du foncier afin d’aboutir à une meilleure convergence entre les prix pratiqués et les revenus perçus par nos concitoyens.

Pour clore la partie de mon intervention relative au constat, je ne peux passer sous silence la diminution des aides à la pierre, qui a plongé le logement dans la crise que nous connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire le manque d’au moins 900 000 logements. Pourtant, dans la loi de finances que nous allons être amenés à voter prochainement, les aides à la pierre sont, encore une fois, en nette diminution, puisqu’elles représentent 500 millions d’euros. Cette politique récurrente de désengagement de l’État se traduit par le fait que, en 2008, seuls 368 000 logements ont été mis en chantier.

Dans le même temps, la politique fiscale du Gouvernement se traduit par la multiplication des dispositifs de type « Scellier » ou « Robien », dont l’opportunité politique et l’efficacité sociale n’ont jamais été démontrées.

Ces dispositifs fiscaux ont surtout favorisé le logement privé sur fonds publics, ce qui nous apparaît particulièrement contestable. Ces dispositifs n’ont, au final, servi qu’à embraser la spéculation foncière autour du marché de l’immobilier.

Le 14 septembre dernier, le Président de la République Nicolas Sarkozy et vous-mêmes, monsieur le secrétaire d’État, avez présenté de nouvelles mesures, qui trouveront leur prolongement dans la loi de finances. Ces dernières visent soi-disant à favoriser l’accession à la propriété ; en réalité, elles assujettissent plus encore l’accession dite « sociale » à la voracité et à la volatilité des marchés financiers !

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Rien que cela !

Mme Odette Terrade. Ainsi, il est prévu de revenir sur la récente déductibilité des intérêts d’emprunt, qui serait trop budgétivore. Le Pass-Foncier serait également supprimé parce que les fonds du 1 % logement ne suffisent pas à le financer.

Enfin, exit le prêt à taux zéro, dont le plafond avait pourtant doublé avec le plan de relance ; place au nouveau prêt à taux zéro, dit « PTZ+ », sorte de PTZ amélioré qui pourrait concerner 380 000 bénéficiaires en proposant des montants et des durées de prêt allant jusqu’à trente ans. Ce prêt serait universel pour les primo-accédants et sans condition de ressources.

Cette réforme aurait également le mérite principal à vos yeux de participer à l’effort de réduction des dépenses publiques puisque son coût devrait atteindre 2,6 milliards d’euros, ce qui permettrait de réaliser une économie de 1,6 milliard d’euros par an.

À ce sujet, je trouve les propos de Mme Mathilde Lemoine, directrice des études à HSBC France, particulièrement intéressants : « Il ne faudrait pas que l’argent injecté dans l’accession ne serve qu’à alimenter la hausse des prix ».

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. D’accord !

Mme Odette Terrade. Quelle lucidité !

En réalité, vos mesures ne servent que les banques et nourrissent un système pervers et pernicieux qui financiarise, spécule et prospère sur les difficultés sociales des plus démunis, exacerbant au final la fameuse « fracture sociale ».

Alors qu’il y a aujourd’hui 1,3 million de demandeurs de logement et, je le répète, 770 000 personnes en situation de surendettement, il me semble que ce débat sur l’accession à la propriété ne répond pas à l’urgence logement vécue et ressentie comme une priorité par nos concitoyens.

Soyons clairs : derrière les annonces sur l’aide à l’accession à la propriété, c’est la casse du logement social qui se confirme.

L’accès au logement social est durci, les bailleurs sont contraints de céder une partie de leur parc au nom de l’accession sociale à la propriété. Pour le logement social, on assiste à un véritable désengagement de l’État incarné dans la période par le hold-up sur les offices d’HLM de 340 millions d’euros par an sur trois années prévu dans la loi de finances, et ce malgré le réajustement opéré en commission des finances à l’Assemblée nationale.

Pour notre part, nous estimons que le logement ne doit plus être considéré comme une marchandise. Les pouvoirs publics doivent mettre en place une politique publique et un service public du logement à la hauteur des enjeux. Cette politique devrait se caractériser par la mobilisation de l’ensemble des outils disponibles : fiscalité, politique foncière, définition du rôle des banques et intervention publique. Il nous semble primordial de revenir à un équilibre plus sain entre « aide à la pierre » et « aide à la personne ».

Dans ce cadre, afin d’inverser les logiques spéculatives, la création d’un pôle public de l’habitat se trouve réaffirmée. Celui-ci permettrait de lancer le grand programme de construction de logements, notamment sociaux, dont notre pays a besoin pour, enfin, garantir à tous le droit opposable au logement digne d’une société du XXIe siècle.

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Bio Express

Odette Terrade

Ancienne sénatrice du Val-de-Marne
Membre de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire
Elue le 19 septembre 2007
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