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Les débats

Le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs ne se réduit pas à l’acquisition de compétences individuelles mises en concurrence

Réforme du lycée -

Par / 21 octobre 2009
Le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs ne se réduit pas à l’acquisition de compétences individuelles mises en concurrence
Le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs ne se réduit pas à l’acquisition de compétences individuelles mises en concurrence

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lycée est l’un des lieux importants de transmission des savoirs et d’apprentissage, un moment privilégié dans la constitution d’une culture commune et la construction de la citoyenneté.

Parler du lycée, c’est évoquer une vision de la société et de l’avenir, définir la place que l’on accorde aux jeunes. La question de sa réforme est donc éminemment politique. En débattre nous permet de nous interroger sur la conception même de l’éducation et, donc, sur son rôle dans notre société.

L’ensemble des réformes menées par le Gouvernement concourt à redéfinir notre conception même du système éducatif, de la maternelle à l’université, et transforme les missions et finalités de l’école, passant ainsi d’une ambition d’un haut niveau de connaissance pour tous et toutes à un objectif d’employabilité.

Ce projet-là implique une nouvelle conception des apprentissages et des savoirs « nécessaires » aux individus, en fonction de la place qui leur est assignée dans la société. Il s’inscrit dans le droit fil de la « stratégie de Lisbonne », visant à « construire l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde », et qui préconise notamment de disposer, d’un côté, d’une main-d’œuvre non qualifiée devant répondre à des critères d’« employabilité », à hauteur de 30 % à 40 %, et, de l’autre, d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, à hauteur de 40 % à 50 %.

C’est à l’aune de cette « stratégie » que doit s’analyser la réforme actuelle des lycées. Sur le sujet, de nombreux rapports ont identifié les points faisant « consensus », à savoir, notamment, le déséquilibre entre les différentes voies, leur inégale dignité, l’orientation, les sorties sans qualification, l’hégémonie de la série scientifique et la nécessaire revalorisation du métier d’enseignant.

Il s’agit non pas de donner ici une image négative de notre lycée, mais de nous interroger sur les transformations à opérer pour répondre au défi de l’élévation des connaissances et des qualifications. De ce point de vue, une telle réforme ne peut s’émanciper ni de l’amont ni de l’aval. J’y reviendrai en abordant la question de l’orientation.

De même doit être posée la question d’une nouvelle articulation et d’une égale dignité entre les voies générale, technologique et professionnelle. Le poids des déterminismes sociaux marque en effet trop fortement notre lycée. Les filières technologiques et, plus encore, professionnelles, sont trop peu investies, et les élèves issus de milieux défavorisés y sont surreprésentés. Elles sont encore méprisées et restent marquées du sceau d’une orientation par l’échec.

À ce titre, je souhaite dénoncer le caractère choquant et stigmatisant de l’expérimentation menée par l’académie de Créteil sous l’impulsion de M. Martin Hirsch, visant à rémunérer des élèves des lycées professionnels pour leur présence et leur bon comportement.

M. Nicolas About. Vous déformez la réalité !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Une telle expérimentation participe d’un dévoiement du sens de l’école.

M. Nicolas About. Ce n’est pas cela !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Dans les lycées professionnels, la réforme est effective depuis la rentrée 2009 et le baccalauréat professionnel en trois ans a été généralisé. Le chef de l’État a lui-même évoqué, le 13 octobre dernier, « l’une des réformes les plus importantes » de son quinquennat en matière éducative, précisant qu’elle devait être conçue comme « la première étape » de son projet pour le lycée.

Nous pouvons d’ailleurs nous en inquiéter, tant sur la forme que sur le fond. En effet, la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans a été imposée brutalement, contre l’avis des enseignants, alors même que, selon les premières expérimentations, près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu’au diplôme et sortaient de ce parcours sans qualification. Un tel constat ne peut manquer d’étonner, surtout quand le but affiché, rappelé par le Président de la République, est de « lutter efficacement contre les sorties sans qualification ».

Cette réforme, organisée selon un calendrier insoutenable, a été menée dans la précipitation. Lors de la rentrée scolaire, tous les référentiels n’étaient pas connus, ce qui a entraîné, sur le terrain, désorganisation et problèmes d’orientation : alors qu’ils le souhaitaient, certains élèves n’ont pas été affectés en lycée professionnel, mais, par défaut, dans d’autres branches ; certains se sont vu refuser le redoublement.

Dans les établissements, les personnels se sont mobilisés pour faire en sorte que la rentrée se passe le « moins mal » possible, mais l’inquiétude est forte. En découle un manque de lisibilité de la nouvelle offre de formation dans sa globalité, tant pour les élèves et les familles que pour les enseignants.

Sur le système d’orientation, le Président de la République ne nous annonce rien de moins qu’une « révolution ». L’orientation deviendrait « progressive et surtout réversible », grâce à des dispositifs de passerelles. Il s’agirait d’instaurer une sorte de droit à l’erreur. Dont acte.

Mais par quels moyens parviendra-t-on à un tel résultat ? L’accent est mis sur une meilleure information sur les filières, les études supérieures et les débouchés. Mais informer ne suffit pas, il faut surtout réussir à modifier les comportements induits par les inégalités socioculturelles, qui aboutissent à limiter les choix des élèves issus des milieux modestes. Il faut enrayer une telle autocensure en prévoyant un véritable accompagnement, dans la durée, par des personnels compétents et qualifiés.

Or, depuis 2006, le Gouvernement procède à une extinction tacite du corps des COPsy, les conseillers d’orientation-psychologues : 50 postes sont ouverts au concours, alors qu’il en faudrait 250 pour maintenir l’effectif actuel, déjà trop limité.

Monsieur le ministre, vous mettez en cause leur formation, en soulignant ses insuffisances en matière de connaissance fine des métiers, mais vous voulez confier leur mission aux enseignants, dont le savoir en la matière est limité ! C’est sans doute pour cette raison que vous envisagez de proposer à ces derniers d’effectuer des « stages d’observation en entreprises ». Il en faudra alors beaucoup...

Comment croire à la mise en place de mesures supplémentaires, efficaces et de qualité, alors que sont confirmées les 16 000 suppressions de postes au sein de l’éducation nationale pour 2010 ? Ainsi, depuis 2008, auront été supprimés plus de 40 000 postes. De plus, on sait que la sélection par l’échec et l’orientation par défaut se font souvent dès le collège, notamment en classe de troisième. Et ce n’est pas le « parcours de découverte des métiers et des formations » tel que mis en place en 2007 qui a changé la donne. Si rien n’est réformé en amont, ce « droit à l’erreur » en restera au stade de l’incantation.

Pour le chef de l’État, le lycée de demain doit devenir celui de « l’accompagnement personnalisé pour tous les élèves ». Pourquoi pas, s’il ne s’agit pas de s’inscrire dans la philosophie de l’individualisation des parcours, mesure phare de M. Darcos, qui allait de paire avec l’autonomie des établissements ! Face à l’absence de moyens supplémentaires – la réforme s’effectue « à moyens constants » –, on peut s’interroger sur l’impact réel de ce dispositif sur la réduction de l’échec scolaire, d’autant que rien n’est dit des modalités concrètes, sinon que les établissements devront « trouver la solution la mieux adaptée ». Devront-ils utiliser la dotation globale horaire et donc réduire les heures consacrées aux enseignements généraux ? Auront-ils recours aux heures supplémentaires ? Quid alors du respect de l’égalité de traitement sur tout le territoire ?

Une fois encore, tout cela participe d’une logique avec laquelle il faut rompre, car elle consiste à n’interroger l’échec scolaire que du point de vue de l’élève, en réfutant tout traitement global et toute remise en cause de l’institution et des politiques conduites.

Le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs ne se réduit pas à l’acquisition de compétences individuelles mises en concurrence, où le diplôme – le baccalauréat, en l’occurrence – garde sa valeur de référence nationale et collective, où est défendue la mission émancipatrice de l’école.

C’est pourquoi un autre projet pour le lycée pourrait s’articuler autour de deux grands axes.

Tout d’abord, il convient de réaffirmer la nécessité d’une culture ambitieuse pour tous les futurs adultes, y compris grâce à des allers et retours rendus possibles par la formation continue tout au long de la vie. La formation doit transmettre des outils intellectuels permettant d’avoir prise sur le monde et de le comprendre. À mon sens, c’est l’inverse du socle commun minimal qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns.

La lutte contre les inégalités constitue le second axe de ce projet. Il faut enfin créer les conditions réelles de sa réalisation en mettant en place un plan de lutte contre les inégalités, qui prévoira le maintien du traitement de la difficulté scolaire dans la compétence de l’école, le financement d’un programme de recherche pour comprendre l’échec scolaire, l’aide aux professeurs pour l’appréhender et améliorer leur formation.

En effet, réformer le lycée ne peut se faire sans porter une attention particulière à l’exercice du métier d’enseignant et à son statut, garant des bonnes conditions d’enseignement. Ce sont eux les acteurs du changement ! Un profond malaise, accentué par le passage en force lors de la réforme de leur recrutement et de leur formation, touche cette profession. Difficile et peu valorisé, mal rémunéré, ce métier voit ses conditions d’exercice s’aggraver du fait des suppressions de postes qui font disparaître peu à peu tous les autres adultes présents dans les établissements : infirmières, médecins scolaires ou CPE, conseillers principaux d’éducation. Rien ne sera décemment possible dans une logique de restriction budgétaire.

Il est temps aussi que soient non seulement écoutés, mais aussi compris, les besoins et les attentes des lycéens.

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