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Les débats

Les 35 heures n’ont été ni une panacée ni une catastrophe

Coût des 35 heures pour l’État et la société -

Par / 31 mars 2010

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd’hui du coût des 35 heures, sous-entendu du coût de la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires – qui vous semble insupportable – pour l’État et pour la société !

Se focaliser ainsi sur les effets pervers d’une mesure progressiste relève d’une rhétorique réactionnaire qui n’est pas nouvelle ! Nous savons bien que ce débat vise, pour la majorité parlementaire, à démontrer que les 35 heures sont une erreur et à prouver combien il est nécessaire de poursuivre leur mise à mort, engagée en 2002 avec le relèvement, par décret, du contingent d’heures supplémentaires de 130 heures à 180 heures par an, lequel passera à 200 heures en 2004. La liberté de négocier le temps de travail existe donc depuis 2002, monsieur Fourcade !

Depuis son entrée en vigueur, en 2000, la loi dite « Aubry II » est accusée de tous les maux : coup de frein sur la croissance en raison de son coût excessif, contraintes pour les entreprises, verrou pour travailler davantage. On se souvient du slogan « travailler plus pour gagner plus », jeté aux oubliettes depuis l’augmentation du chômage. Le comble aurait été de le maintenir.

Bref, les 35 heures seraient le symbole d’une France paresseuse, d’une France adepte du farniente, pour reprendre le terme utilisé par un député lors de la discussion du texte.

Or, selon l’INSEE, les 35 heures ont créé 350 000 emplois supplémentaires entre 1998 et 2002, et elles ont permis aux salariés d’augmenter le nombre de leurs jours de congé !

Pourtant, dès l’arrivée de votre majorité au gouvernement, les textes se sont succédé afin de remettre en cause ce meilleur partage du temps entre vie privée et vie professionnelle, auquel les femmes sont particulièrement attachées.

En outre, depuis 2002, les mesures visant à « détricoter » les 35 heures se sont multipliées, et cela coûte cher. Ainsi en est-il des subventions qui sont accordées depuis 2007 pour défiscaliser les heures supplémentaires, qui absorbent 4 milliards d’euros par an sur le budget de l’État. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le Conseil économique, social et environnemental vient de conclure à la nécessité d’abroger les dispositions relatives aux heures supplémentaires défiscalisées, tant leurs conséquences sont néfastes pour le chômage et pour les finances publiques. Il aurait, me semble-t-il, été plus opportun d’organiser un débat sur ce sujet plutôt que sur les 35 heures ! Néanmoins, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd’hui du coût des 35 heures pour l’État et la société.

En ce qui concerne le coût pour la société, je tiens à souligner que les 35 heures, contrairement à beaucoup d’autres lois sociales, ont eu un effet immédiat et concret pour la société et pour l’ensemble des salariés : la réduction du temps de travail !

J’ajoute que 82 % des salariés sont favorables aux 35 heures et que 79 % d’entre eux ne sont pas intéressés par le rachat de leurs jours de RTT.

Les 35 heures ont permis des gains importants en termes de qualité de vie, en réduisant le poids du travail au bénéfice du temps libre. Ces gains compensent les effets négatifs dus à la mise en œuvre de la mesure, mise en œuvre qui dépendait des conditions de la négociation et, par conséquent, du rapport de force syndical !

Ainsi, dans de nombreuses entreprises, la mise en place des 35 heures s’est conclue par une intensification du travail avec le passage au temps de travail effectif, c’est-à-dire à la suppression du temps d’habillage et de pause. Elle s’est traduite également par un gel des salaires, par une modulation horaire hebdomadaire pouvant aller jusqu’à 42 heures, donc par une plus grande flexibilité pour les salariés et par la perte de la rémunération des heures supplémentaires.

En qualité de vice-présidente de la mission d’information sur le mal-être au travail, aux côtés de M. Gournac, je puis affirmer que de nombreuses personnalités auditionnées ont dénoncé les nouvelles organisations du travail, et non les 35 heures, comme la cause du mal-être de nombreux salariés.

Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr !

Mme Annie David. Ainsi, plusieurs entreprises ont profité de la réduction du temps de travail pour appliquer le lean management, ou la chasse au temps non travaillé, temps qui correspondait à des périodes de récupération primordiales pour la santé des salariés.

Au même moment, les entreprises ont enregistré une hausse de 8 % de leur production de richesses, sans consentir aucun investissement supplémentaire en machines ou en bâtiments.

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

Mme Annie David. Par ailleurs, des exonérations de cotisations patronales et des subventions ont été accordées pour le passage des 39 heures aux 35 heures ! Autant dire que la mesure n’a rien coûté aux entreprises, et c’est bien là le plus gros défaut de cette réforme !

Contrairement à une idée reçue et largement relayée par le patronat et par le Gouvernement, le coût du travail en France se situe dans la moyenne des pays qui ont un niveau de développement économique et social comparable.

En revanche, la France se situe dans le peloton de tête pour la productivité du travail.

Mme Raymonde Le Texier. Absolument !

Mme Annie David. Le coût du travail en France est en dessous de la moyenne européenne, inférieur à celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou du Danemark !

D’une manière générale, les 35 heures n’ont pas été néfastes pour les entreprises. Elles ont au contraire eu un effet bénéfique sur l’emploi. Il est donc juste que la société dans son ensemble, et les salariés en particulier, bénéficie de gains sociaux grâce à une réduction importante de leur temps de travail.

En ce qui concerne le coût des 35 heures pour l’État, ne tronquons pas le débat. Il ne faut pas oublier de rapprocher le coût des 35 heures pour l’État des gains qu’il en retire.

En effet, les 350 000 emplois créés ont entraîné une augmentation des recettes perçues au titre des cotisations de sécurité sociale, qu’il s’agisse des cotisations salariales – CSG et CRDS – ou des cotisations patronales, puisque les allégements se réduisent au fur et à mesure que le salaire brut horaire s’éloigne du SMIC. Avec un salaire brut moyen de 1,3 fois le SMIC, ces 350 000 nouveaux emplois ont rapporté près de 1,8 milliard d’euros à la sécurité sociale en 2006.

En revanche, l’État rembourse à la sécurité sociale les allégements consentis aux entreprises. Ces remboursements ayant été étendus à l’ensemble des entreprises, alors qu’ils auraient dû être réservés à celles qui avaient signé un accord de RTT, leur masse a bondi à 16 milliards d’euros en 2003 et atteignait 19,5 milliards d’euros en 2006.

Cependant, ce chiffre ne représente pas le coût réel de la réduction du temps de travail. Il faut en effet déduire les allégements qui existent par ailleurs, au titre du temps partiel ou des bas salaires, et qui s’élèvent à près de 10 milliards d’euros en 2006.

On peut donc considérer que le coût des 35 heures pour 2006 s’établit à 8 milliards d’euros, et peut-être moins grâce aux économies d’indemnités chômage réalisées du fait des créations nettes d’emplois.

Il aurait fallu prévoir un coût identique pour les allégements au titre des bas salaires, s’ils avaient été maintenus en l’état. La dernière évaluation fait apparaître un apport net d’environ 250 000 emplois seulement !

Les 35 heures n’ont donc été ni une panacée ni une catastrophe. Elles auraient dû être une belle avancée sociale, à laquelle nous étions favorables. Dans les faits, elles ont modifié en profondeur l’organisation du travail. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de donner aux salariés et à leurs représentants les moyens de peser véritablement sur l’organisation du travail. C’est d’autant plus nécessaire que la loi de 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a entériné une inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, ce qui permet l’adoption d’accords d’entreprise moins favorables aux salariés que les dispositions figurant dans le code du travail !

En conclusion, non seulement les 35 heures doivent être maintenues, mais leur portée doit également être amplifiée ! Elles ont apporté une meilleure qualité de vie à de nombreux salariés. Elles ont permis un partage du travail tout en préservant la compétitivité de nos entreprises. Le secteur économique du tourisme et du loisir en a également bénéficié !

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