Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Les vacances devraient être un droit pour tous

Quel avenir pour les colonies de vacances ? -

Par / 10 juin 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les colonies de vacances font partie de la culture populaire au double sens du terme : elles ont accueilli et continuent d’accueillir des millions d’enfants et de jeunes, même si les statistiques montrent une régression de leur fréquentation, et, du point de vue socioculturel, elles offrent aux enfants des familles des catégories sociales moyennes et modestes la possibilité de prendre des vacances. Elles cultivent ainsi une vraie mixité sociale.

Nombreux sont ceux qui ont des souvenirs de colonies de vacances, des histoires à raconter, des photos à montrer ou des objets qui, tel le sac à dos, incarnent leurs expériences. Cet espace-temps est avant tout un lieu émotionnel, un lieu de rencontres, de disputes, d’amitié et parfois même d’amour…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Alain Dufaut. Eh oui !

M. Michel Le Scouarnec. J’ai moi aussi fait pas mal de colos… Celles-ci permettent une appréhension du monde concret, au rythme des transports collectifs, à la sueur de la marche à pied ou pendant les longues soirées enchantées par les veillées.

Les colonies de vacances sont passées d’une création par le secteur associatif à une appropriation par le secteur marchand ; de la quasi-gratuité, grâce à l’encadrement par des bénévoles, aux séjours payants, suite à la professionnalisation des personnels. Ces derniers ont d’abord été très mal rémunérés ; peut-être l’avez-vous oublié. En 1969, je percevais 10 francs par jour. Sur les vingt-trois jours travaillés, j’ai gagné à peine 300 francs, soit moins du tiers du SMIC, qui s’établissait entre 900 et 1 000 francs par mois. C’était donc presque du bénévolat, d’autant que je dépensais la moitié de mon salaire pendant les journées de repos.

Sur les 12 200 organisateurs de séjours avec hébergement recensés en 2011, 8 300, soit 68 %, sont des associations, et seulement 3 500, soit 29 %, sont des collectivités territoriales.

Le rapport parlementaire sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs, déposé le 10 juillet 2013, fait un bilan de la situation actuelle des colonies de vacances. En préambule, il affirme que les colonies de vacances s’inscrivent dorénavant dans un nouveau contexte, la relation entre les jeunes et leur temps de loisirs s’étant considérablement transformée au fil du temps. Il pointe aussi un émiettement de la fréquentation des colonies depuis vingt ans. Le taux de départ des jeunes âgés de cinq à dix-neuf ans en séjours collectifs de vacances de plus de cinq nuits, c’est-à-dire en colonie de vacances, qui avait atteint 14 % en 1995 – cela représentait 28 millions de nuitées –, n’était plus que de 7,5 % en 2011. En outre, la durée moyenne des séjours a diminué. Cette évolution préoccupante mérite d’être soulignée et doit être mise en lien avec la hausse du prix des colonies. Il faut compter entre 400 et 600 euros par enfant pour une semaine. Le coût journalier est compris entre 63 et 75 euros, selon la distance entre le domicile et le lieu de séjour.

Les vacances devraient être un droit pour tous. La crise actuelle est une menace qui pèse sur les budgets. La preuve, 30 % de nos enfants ne seraient jamais partis en vacances.

Cette situation est grave, car les besoins existent encore plus aujourd’hui qu’hier, du fait de la pauvreté grandissante, de l’extension du chômage de masse et de la précarité qui galope.

Les coûts ayant fortement augmenté, de l’ordre de 63 à 75 euros la journée, comme je l’ai dit tout à l’heure, on assiste à un repli important des familles sur les centres aérés, les centres de loisirs sans hébergement ou les accueils de loisirs sans hébergement. Il faut dire que les communes et les CAF ont beaucoup investi ces dernières années, de même que pour l’accueil de la petite enfance.

Le coût de ces structures est très inférieur, car les communes, lorsqu’elles sont organisatrices, mettent en place un calcul des tarifs basé sur le quotient familial, avec quatre ou cinq tarifs permettant d’y assurer la mixité sociale. Néanmoins, à mon sens, elles n’ont pas la même portée que les colonies de vacances ou les classes de découverte.

Quant aux comités d’entreprise, ils ont peu à peu préféré se tourner vers des opérateurs à but lucratif pour les vacances des enfants de leurs salariés, délaissant la majeure partie des colonies traditionnelles organisées par des associations ou des collectivités territoriales.

Heureusement, certains comités d’entreprise continuent d’y croire et de s’y investir, comme celui de la SNCF, avec 14 000 enfants concernés, ainsi que des organismes tels que les associations de pupilles de l’enseignement public, les PEP. Ainsi, dans le Morbihan, les PEP 56 gèrent six centres de vacances, deux bases de voiles, soit 1 000 lits au total. En un an, ils accueillent 17 000 enfants ou adolescents, dont 13 500 en colos ou en classes de découverte. Malgré cet engagement exceptionnel, madame la ministre, il leur est promis la suppression, au minimum, d’un poste de direction.

Tous ces aléas, conjugués à l’augmentation des coûts, empêchent les jeunes qui en ont le plus besoin d’accéder à ces séjours. La réalisation d’un objectif de mixité sociale est ainsi compromise. C’est extrêmement préjudiciable pour leur avenir, car les centres aérés, malgré leur intérêt et le fait que les deux types de structures soient très complémentaires, sont loin de répondre aux mêmes objectifs que les colonies de vacances.

L’apport éducatif, la construction de l’autonomie, l’apprentissage de la vie en groupe ou en collectivité, l’éducation à la citoyenneté, le tout en dehors du cercle familial, c’est extra ! Il s’agit d’un apport comparable à celui d’une classe de découverte pendant la période scolaire. En effet, les deux formules permettent aux enfants de s’épanouir, car elles les placent en situation de réussite. Malgré mes réticences initiales, j’ai été convaincu, après l’avoir vécu à maintes reprises, que la classe de découverte permet de débloquer la plupart des enfants qui ont des difficultés, lesquels trouveront leur autonomie et seront mis en valeur grâce au sport ou à des activités d’éveil comme le chant.

Tous ces enfants ont besoin d’être valorisés, et rien n’est pire que de les laisser en échec devant une feuille blanche. Je le dis avec mon cœur, car j’ai souvent été très surpris par les changements provoqués par de telles expériences chez des enfants en situation de blocage. De plus, le coût est moins élevé, car, bien souvent, les enseignants, aidés par des parents d’élèves ou des membres de l’amicale de l’école, encadrent les classes de découverte. Parfois, même, le maire est sollicité, ce qui contribue à le rajeunir… (Sourires.)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. C’est extra ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Le Scouarnec. Je peux vous dire que c’est excellent, car les élus restent ainsi en lien avec le réel.

À l’heure où l’on parle de décrochage scolaire et d’échecs graves – de 15 % à 20 % des élèves – en commission ou dans la presse, il serait tout de même dommage de ne pas soutenir les colos. C’est d’abord à l’État de maintenir ses aides, car cette contribution à la réussite scolaire procure un très grand bénéfice pour la société et le budget de la France, ce que jamais personne ne dit ou n’évalue.

Les vacances, qui peuvent sembler normales pour certains, sont en réalité un véritable luxe pour une grande partie de la population. Pourtant, loin d’être anodines, elles peuvent jouer le rôle de déclencheur et de levier pour aider des familles en difficulté à reprendre une activité, à reprendre espoir, des initiatives, à retrouver la volonté de s’en sortir et de surmonter les obstacles. En effet, l’enfant qui part en colo peut aussi tirer sa famille vers le haut, mais le tout doit bien sûr être conçu dans une vision sociale, avec un accompagnateur et une aide financière appropriée.

S’agissant d’un formidable outil d’action et de promotion sociales qu’il ne faut pas sous-estimer, il nous semble particulièrement important aujourd’hui de réaffirmer une volonté de réappropriation des colonies par toutes les classes sociales en les revalorisant comme lieu de transmission privilégié de l’éducation populaire.

La vision des colonies de vacances que je décris n’est pas celle qui s’impose forcément aujourd’hui, et je le regrette.

L’éducation populaire, qui s’était fortement développée dans les années soixante, avait pour finalité la formation critique des citoyens dans une politique d’éducation large visant l’émancipation par des savoirs et des pédagogies d’éveil accessibles au plus grand nombre.

Face à cette situation, la tentation est grande de renoncer à la professionnalisation des animateurs, à cause de son coût, de réduire leurs droits en diminuant leurs salaires ou en augmentant leur temps de travail, voire de recourir au bénévolat. Nous aurions tort ! La question du coût des colonies et de l’accès des classes populaires à ces dernières ne se résout en aucun cas par la création de nouveaux travailleurs pauvres. Nous appelons donc les pouvoirs publics à mener des politiques sociales visant à favoriser le départ d’un maximum d’enfants et d’adolescents ; les colonies de vacances demeurant l’un des rares espaces de mixité et de cohésion sociales, il convient de les préserver, voire d’en augmenter le nombre.

L’intercommunalité en marche pourrait être un levier judicieux pour relancer le droit aux vacances pour tous dans l’esprit de la coopération des territoires, encore faudrait-il impulser cette idée novatrice.

En tout cas, rien ne pourra se faire si l’État ne se préoccupe pas d’urgence de l’avenir des centres de colonies de vacances.

Nous sommes plus inquiets aujourd’hui qu’hier avec la réduction très forte des dotations aux communes et à l’ensemble des collectivités territoriales, d’autant que des charges nouvelles vont leur incomber, notamment avec la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires. Je ne suis pas contre, mais il faut trouver l’argent !

Permettez-moi de donner quelques recettes pour obtenir une réduction des coûts. Tout d’abord, il peut être envisagé de limiter l’éloignement des centres de séjours et de négocier des tarifs très privilégiés avec la SNCF. En outre, les CAF devraient flécher des crédits plus importants de la branche famille et l’Agence nationale pour les chèques-vacances pourrait créer un chèque « séjour collectif enfance-jeunesse ». Par ailleurs, il faudrait que les salariés des TPE obtiennent des chèques-vacances.

Pourquoi ne pas instaurer également une taxe spécifique sur l’hôtellerie de luxe, même si M. Dufaut a catégoriquement rejeté cette solution ?

Les ventes du patrimoine immobilier, comme j’ai pu le voir quelques fois en bord de mer, représentent en tout cas ce qu’il a de pire pour l’avenir de notre pays et de notre jeunesse. Même si cela rapporte aux collectivités dans un premier temps, la perte est importante à plus long terme.

Il ne faut pas oublier que le développement de nos colonies de vacances contribue à l’activité économique touristique de nos territoires, qu’ils soient situés en montagne, sur le littoral ou dans nos campagnes.

Mme Annie David. Très bien !

M. Michel Le Scouarnec. En effet, en considérant que celles et ceux qui fréquentent et apprennent à aimer ces espaces naturels pendant leur jeunesse seront les touristes de demain, il nous semble important de relancer cette fréquentation au travers des colonies de vacances. Cet apprentissage précoce permettrait de les montrer non pas comme des domaines réservés à quelques initiés, mais bien comme des espaces ouverts et de qualité pour tous.

Monsieur le président, je vois que je suis en train de dépasser mon temps de parole, mais c’est la première fois que cela m’arrive. (Rires sur les travées du groupe CRC.)

M. Alain Dufaut. Rassurez-vous, on se régale !

M. le président. M. Dufaut n’ayant pas utilisé tout son temps de parole, vous pouvez le prendre. (Sourires.)

M. Alain Dufaut. Avec plaisir !

M. Michel Le Scouarnec. Je suis heureux qu’il existe parfois des ponts entre nous.

De fait, d’autres questions surgissent, comme la réhabilitation des centres d’accueil et d’hébergement obsolètes et vieillissants ; le problème de la sécurité limite aussi l’accueil des jeunes publics, notamment dans les refuges en montagne, malgré l’existence d’un texte de juillet 2003 qui permet d’utiliser, dans la plupart des cas, le support refuge.

L’avenir des colos est l’affaire de tous, pas seulement pour le plaisir et le bonheur des vacances collectives, mais surtout pour que la société de demain retrouve force, confiance et espoir en l’avenir.

L’école républicaine est concernée au premier chef. À cet égard, je pense que tous les futurs enseignants devraient avoir l’obligation d’encadrer au moins une fois une colonie de vacances et de participer à une classe de découverte dans le cadre de leur formation initiale, ce qui pourrait faire baisser un peu les prix.

M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas faux !

M. Michel Le Scouarnec. Je pense que nous avons là une idée à creuser, qui vient de moi, et non du groupe CRC (Rires sur les travées du groupe CRC.), car, à mon sens, il s’agit d’un complément de formation indispensable permettant une immersion dans le réel. Cette implication citoyenne les conduirait à devenir plus tard des enseignants proches des familles, comme du temps des écoles normales.

Madame la ministre, dites bien à votre collègue ministre de l’éducation nationale que la question du devenir des colonies est aussi son affaire, car elles participent du bonheur conjugué à l’essor humain, indispensables à notre jeunesse et leurs familles. C’est un temps qui doit être très riche pour les enfants, mais aussi pour les moniteurs et les enseignants.

Le groupe CRC, très attaché au progrès social, a toujours œuvré pour les centres de vacances et le droit aux vacances pour tous. À nous de faire vivre la mixité sociale, qui tire tous nos jeunes vers le haut, vers la réussite et le rayonnement.

Rien ne serait pire que l’existence de « colos ghettos », les unes pour les riches, les autres pour les plus pauvres. Il va de notre intérêt à tous

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