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Les débats

Les violences conjugales constituent l’un des symptômes d’une société qui place les femmes en situation d’infériorité

Violences faites aux femmes -

Par / 13 février 2012

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que la conférence des présidents ait accédé à la demande que j’avais formulée, en qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes, et que nous puissions aujourd’hui débattre, sur le fondement de la proposition de résolution de notre collègue Roland Courteau, de l’application de la loi du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Ces violences ont longtemps été occultées. C’est la grande enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France qui a révélé la gravité et l’ampleur de ce qu’il faut bien considérer comme un phénomène de masse.

Sur la base des dernières enquêtes de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, quelque 663 000 femmes auraient été victimes de violences conjugales au cours des années 2008 et 2009.

Les résultats de ces diverses enquêtes ont provoqué un choc salutaire, et il est tout à l’honneur du Parlement d’avoir pris l’initiative des deux lois qui ont été votées en ce domaine. La loi du 4 avril 2006 et la loi du 9 juillet 2010 sont principalement issues de propositions de loi présentées par des sénatrices et des sénateurs, ainsi que par des députés. Les associations féministes et les délégations aux droits des femmes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont aussi activement contribué à cette réflexion.

Cependant, en ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, il ne suffit pas de voter des lois ; il faut aussi s’assurer de leur bonne application, car c’est souvent là que le bât blesse.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. À cet égard, je déplore qu’aucun des trois rapports prévus par la loi du 9 juillet 2010 n’ait, à ce jour, été remis au Parlement dans les délais requis : ni le rapport relatif à l’application de l’ordonnance de protection aux ressortissants algériens, prévu à l’article 13, ni le rapport relatif à la formation des acteurs concernés par la prévention et la prise en charge de ces violences, prévu à l’article 21, qui nous permettrait de nous assurer de la réalité des efforts engagés pour dispenser aux magistrats, aux avocats, aux personnels médicaux et sociaux, à ceux de la police et de la gendarmerie ainsi qu’à ceux de l’éducation nationale une formation qui nous paraît indispensable, ni, enfin, le rapport sur la création d’un Observatoire national des violences faites aux femmes, prévu à l’article 29.

Alors qu’un observatoire comme celui de la Seine-Saint-Denis a apporté la preuve de son intérêt et que la région Île-de France va prochainement aussi se doter d’une telle institution, quelles solutions envisagez-vous, madame la ministre, pour assurer un suivi comparable à l’échelle nationale ?

Pour le reste, la loi du 9 juillet 2010 est formellement applicable, dans la mesure où les textes réglementaires nécessaires ont bien été publiés, mais il ne s’ensuit malheureusement pas qu’elle soit encore véritablement appliquée. Cela s’explique, certes, par le caractère novateur des dispositifs mis en place, mais aussi par une insuffisance de moyens qu’aggrave la révision générale des politiques publiques, dont il faut, ici comme ailleurs, dénoncer les effets. (Mme la ministre s’exclame.)

Les travaux conduits par Guy Geoffroy et Danielle Bousquet à l’Assemblée nationale, ainsi que par notre collègue Nicole Bonnefoy à la commission des lois du Sénat, débouchent sur les mêmes constats quant à la mise en place des deux mécanismes de protection de la victime instaurés par la loi.

Premier constat, l’ordonnance de protection est encore mal connue : les avocats hésitent à utiliser cette nouvelle procédure et les tribunaux de grande instance l’appliquent de façon très inégale, y compris dans les territoires présentant des caractéristiques comparables.

Ensuite, et cela me paraît grave pour une procédure destinée à répondre à une situation de danger immédiat, son délai de délivrance est trop long : vingt-six jours en moyenne, alors qu’au cours des débats parlementaires nous avions plutôt envisagé des délais compris entre 24 et 48 heures. Il faut, madame la ministre, remédier absolument à cette difficulté.

Second constat, le recours à des dispositifs de surveillance électronique tarde à se mettre en place. Le placement sous bracelet électronique mobile des auteurs de violences, pourtant facilité par la loi, reste très peu répandu. Quant au dispositif anti-rapprochement, qui permet à la victime d’être alertée lorsque l’auteur des violences se rapproche d’elle, son expérimentation a pris du retard et n’a débuté que le 1er janvier 2012, ce qui ne permet sans doute pas encore de tirer les premières conclusions.

En ce domaine, le dispositif « Femmes en très grand danger », qui repose sur la remise aux victimes de téléphones portables préprogrammés, paraît un élément prometteur en faveur d’une action plus globale. Madame la ministre, envisagez-vous d’étendre à l’ensemble du territoire ce dispositif expérimenté avec succès par le tribunal de Bobigny ?

La protection des victimes passe, également, par la mise en place d’un plan d’hébergement d’urgence. Le nombre de places disponibles est d’une façon générale insuffisant, et les structures généralistes sont souvent mal adaptées. Il faut répondre à des besoins d’hébergement qui se développeront d’autant plus à l’avenir que nous serons parvenus à inciter une plus forte proportion de femmes victimes à porter plainte et à chercher à s’arracher aux violences conjugales qu’elles subissent.

Là encore, les initiatives prises par certaines collectivités territoriales ouvrent des pistes intéressantes et innovantes, et montrent même qu’il est possible d’aller plus loin.

Je pense ainsi à la convention signée entre les maires de la boucle nord des Hauts-de-Seine, le département dont je suis l’élue, et l’association L’Escale pour favoriser l’accès au logement – un logement pérenne – des femmes victimes de violences conjugales : chacun des maires signataires s’y engage à consacrer au minimum deux logements par an, avec bail ordinaire, à des femmes victimes de violences conjugales habitant l’une des villes signataires. Mais ces initiatives ne doivent pas dispenser l’État de l’effort qui est le sien.

J’en viens au second volet de la loi de 2010 : la prévention des violences. Elle est essentielle à mes yeux si nous voulons enrayer durablement ces dernières.

Cette prévention doit, à mon sens, s’effectuer dans trois directions.

Tout d’abord, il faut agir en direction des hommes violents eux-mêmes, pour éviter la récidive.

Ensuite, il faut travailler en direction des enfants qui ont été les témoins, voire les victimes de ces violences ; les aider à surmonter leurs traumatismes permettra aussi d’éviter qu’ils ne reproduisent, arrivés à l’âge adulte, les situations de violences conjugales auxquelles ils ont été exposés.

Plus généralement, c’est l’ensemble de la société qu’il convient de sensibiliser à l’impact de ces violences en promouvant une culture de l’égalité et du respect mutuel entre les sexes. C’est dès l’école que cet effort doit s’effectuer.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous devons aussi être attentifs à l’image de la femme et des rapports entre les hommes et les femmes que véhiculent les médias et veiller à l’usage des nouveaux leviers donnés par la loi aux associations et au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour lutter contre des représentations sexistes ou des « incitations aux violences faites aux femmes ».

En effet, les violences conjugales constituent l’un des symptômes d’une société qui place les femmes en situation d’infériorité. Par-delà la sanction des auteurs des violences et l’aide que l’on doit apporter aux victimes, c’est aussi en promouvant une culture de l’égalité entre les femmes et les hommes que nous devons répondre à ce problème.

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