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Les débats

Ne laissons pas le vivant devenir l’objet de transactions sordides !

Biodiversité -

Par / 8 février 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la biodiversité, c’est la vie. En débattre, c’est prendre en compte l’ensemble de la biosphère, sur les continents comme dans les océans, et envisager la diversité de ses formes : diversité génétique, diversité entre les espèces et au sein de celles-ci, diversité des écosystèmes et donc des interactions entre ces espèces, dont l’homme. Il s’agit bien d’un enjeu vital et, dans le contexte des grands bouleversements que nous connaissons, la biodiversité devient plus précisément une assurance vie pour l’humanité : sa protection sera, à mon sens, l’une des clés de l’adaptation.

Le sujet est très complexe et il n’existe pas d’indicateur qui puisse en rendre compte. Il convient d’envisager à la fois des échelles locales et globales et de situer le discours sur la biodiversité à la croisée des chemins entre des discours environnementaux, économiques, agronomiques, culturalistes, philosophiques et éthiques.

Le monde du vivant est une source de création inépuisable tant les potentialités des évolutions génétiques et culturelles semblent infinies.

Malheureusement, depuis de nombreuses décennies déjà, on assiste à une érosion de la biodiversité ; certains parlent d’une sixième vague d’extinction massive, les activités humaines étant considérées comme les principales responsables de cet état de fait.

La prise de conscience par la communauté internationale et les États est réelle, mais elle n’est sans doute pas suffisante. Où en sommes-nous en France et que doit-on faire ? Notons que la mise en œuvre des décisions prises à Nagoya, pour la période 2012-2020, est laissée au bon vouloir des États...

Le Gouvernement français reste sensibilisé, notamment du fait de l’existence de réservoirs considérables de biodiversité outre-mer ; mais sans doute y a-t-il autre chose que de l’intérêt pour l’environnement…

Certes, des outils existent : des plans, des schémas, des expériences solides en matière de conservation, le concept de trame verte et bleue, qui aurait vocation à devenir un grand projet national si les finances suivaient, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment.

Oui, la réflexion avance, la prise en compte des services rendus par la nature progresse et des leviers sont actionnés.

Cependant, le bilan reste mitigé et les sujets de controverse nombreux. On vient de parler du grand hamster d’Alsace, des tentatives de réintroduction mal acceptées, des difficultés de cohabitation entre les éleveurs et le loup, qui fait son retour dans les Alpes et maintenant dans les Vosges. On peut aussi évoquer les algues vertes, les plantes dites invasives, etc. Et nos listes rouges des espèces menacées ne désemplissent pas.

De plus, je rappelle que, pour l’heure, seuls deux des vingt-six dispositifs considérés comme dommageables pour l’environnement repérés par le Commissariat général au développement durable ont été supprimés par le Gouvernement.

La réforme des subventions néfastes est, quant à elle, un grand chantier : l’inventaire a été fait par le Centre d’analyse stratégique, mais cela nécessitera une volonté politique forte, de la part tant du futur gouvernement que des parlementaires.

Ainsi, même si certains objectifs du plan stratégique adopté à Nagoya sont en bonne voie d’être atteints, des engagements nouveaux sont encore nécessaires. Il faut notamment continuer de s’interroger sur nos politiques agricoles, et la réforme de la PAC pour 2013 constitue un rendez-vous à ne pas manquer.

En ce qui concerne la gestion des stocks de poissons, les subventions à ce secteur doivent être revues et les moyens de contrôle et de lutte contre les pêches frauduleuses, renforcés.

Comme nous l’avions indiqué lors des débats sur la loi relative aux certificats d’obtention végétale, les dispositions relatives aux variétés agricoles et au partage des avantages ne sont toujours pas équitables, loin de là ;, il faudra y remédier.

On peut, du reste, faire sortir de l’oubli des variétés et des races anciennes, qui présentent des atouts dont on se prive aujourd’hui par une uniformisation toujours croissante.

Mais je pense surtout à l’objectif numéro un de ce plan stratégique : « d’ici à 2020 au plus tard, les individus seront conscients de la valeur de la biodiversité et des mesures qu’ils peuvent prendre pour la conserver et l’utiliser de manière durable ». Nous sommes loin du compte ! Nous ne sommes pas encore parvenus à un niveau de prise de conscience de la population qui soit suffisant. Au reste, la prise de conscience des élites est loin d’être acquise.

En France, ONG environnementales et gestionnaires, chasseurs, pêcheurs, forestiers jouent un rôle nécessaire et reconnu pour la connaissance et la conservation. Mais les autres citoyens doivent aussi s’emparer de ce sujet et cela constitue un énorme travail d’éducation et de sensibilisation des jeunes et des moins jeunes. On devrait d’ailleurs commencer par les parlementaires ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. En tout cas par certains !

Mme Évelyne Didier. La connaissance et l’humilité resteront toujours le meilleur rempart contre les destructions, tandis que l’indifférence, le mépris et le sentiment de supériorité en seront des catalyseurs. En cela, l’évolution intéressante de la conservation stricte, de la nature mise sous cloche, vers l’application du développement durable par l’association des populations locales, au travers des expériences des parcs naturels régionaux ou des sites Natura 2000, doit continuer à guider notre action.

Sur le plan international, cette année, la conférence d’Hyderabad, en Inde, ainsi que le sommet de « Rio+20 » sont l’occasion de tirer les leçons des échecs des dernières décennies, mais aussi de valoriser les démarches qui ont prouvé leur intérêt et de renforcer les coopérations entre les États et entre les peuples.

Il serait, à mon sens, judicieux aussi d’aborder le sujet de la gouvernance des eaux extraterritoriales, qui a été un échec total depuis un demi-siècle. Près de la moitié de la surface de la terre est soumise à la surexploitation des ressources halieutiques, à la destruction des fonds marins et aux flux massifs de pollutions et de déchets. Il conviendrait de donner un mandat à l’Assemblée générale des Nations unies pour engager des négociations relatives à la conservation des espèces marines en haute mer et, bien entendu, pour créer l’OME.

Enfin, j’aimerais évoquer le rôle que doivent jouer les instruments économiques en matière de biodiversité et soulever la question de la privatisation de cette dernière.

En effet, certaines méthodes, destinées à estimer la valeur de la biodiversité, peuvent légitimement susciter des inquiétudes. Chercher à donner une valeur à la nature – en euros ou en dollars – peut présenter quelques avantages : permettre à la justice de chiffrer certains préjudices, convoquer les acteurs économiques autour de la table et lier des écosystèmes locaux à des bénéfices globaux. C’est aussi et surtout une prise de conscience : ainsi, nous réalisons que la seule valeur d’usage des services fournis par les écosystèmes dépasse de loin toutes les richesses créées par l’homme.

M. Jean Desessard. Très bien ! Bravo !

Mme Évelyne Didier. C’est aussi une leçon d’humilité. Les politiques de conservation et de restauration peuvent souvent produire plus de valeur que des politiques d’exploitation court-termistes et irresponsables dont le petit profit privé cache la destruction considérable de valeur pour la collectivité. Or ces politiques de conservation, de restauration et de gestion durable des milieux nécessitent un engagement de long terme que seul l’État est à même d’assurer.

Tout écosystème détruit est perdu et l’idée de compensation écologique est, à mon sens, une imposture intellectuelle.

M. Joël Labbé. C’est vrai !

Mme Évelyne Didier. C’est vouloir créer un marché des « indulgences » sur la destruction de la biodiversité !

Il faut donc être conscient des dérives possibles : par exemple, les paiements pour services écosystémiques ne signent-ils pas la fin des pratiques désintéressées de conservation ? N’existe-t-il pas un risque de généralisation du chantage écologique du type « Je ne détruis pas ma forêt, mais que me donnez-vous en échange ? »

En vérité, la gratuité est la grande victime de la montée en puissance des représentations marchandes ; mais pourtant, ce qui est gratuit n’est pas sans valeur, bien au contraire. Il s’agit d’un choix de société, d’un investissement pour l’avenir.

Entre la privatisation de la biodiversité et l’édiction d’un prix pour la nature, pourquoi ne pas envisager une reprise en main par les citoyens, adopter une gestion collective et durable des biens communs, sortir la notion de gratuité de l’ornière marchande dans laquelle le capitalisme l’a placée ? La biodiversité doit rester ce bien commun accessible à tous, selon des règles acceptées par tous.

Mes chers collègues, ne laissons pas le vivant devenir l’objet de transactions sordides !

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