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Les débats

Notre pays peut être un acteur dynamique du désarmement nucléaire multilatéral

Désarmement, non-prolifération nucléaire et sécurité en France -

Par / 23 mars 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite tout d’abord que ce débat consacré au désarmement, à la non-prolifération nucléaire et à la sécurité de la France se tienne cet après-midi dans notre assemblée.

Il me semble en effet que c’est la première fois, depuis la création de notre force de frappe nucléaire, que se déroule, en séance publique, un débat parlementaire portant sur des questions aussi fondamentales que la doctrine de dissuasion nucléaire et la politique de désarmement de la France. Le contexte international et l’actualité s’y prêtent tout particulièrement, j’y reviendrai dans quelques instants.

Auparavant, il est à mon sens nécessaire, bien que notre débat de cet après-midi concerne le nucléaire et la sécurité de la France, d’élargir quelque peu notre vision des choses. En effet, l’arme nucléaire dans le monde d’aujourd’hui ne joue plus le même rôle « structurant » des relations internationales qu’avant la chute du mur de Berlin. À l’heure actuelle, on ne peut plus parler de désarmement, à la fois nucléaire et conventionnel – sans passer outre la spécificité de l’arme nucléaire, arme « absolue » de destruction massive, n’oublions pas la nécessité d’un désarmement conventionnel, parce que la paix et la sécurité ont besoin d’un véritable effort de démilitarisation –sans évoquer également les logiques de guerre, sans prendre en compte la persistance des conflits dans le monde, en Afghanistan notamment, où la France est directement impliquée, car on ne peut pas fragmenter la paix. Je n’ai pas le temps d’approfondir mon intervention en ce sens, mais je tiens à ce que nous ayons à l’esprit, dans nos réflexions et nos discussions, ce lien fondamental entre désarmement et conflits.

Pour revenir précisément à l’actualité nucléaire, je rappellerai que le projet de désarmement nucléaire relancé par le président des États-Unis dans son discours de Prague en avril 2009, la résolution 1887 (2009) votée à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité des Nations unies et la reprise des négociations « post-START » entre les Américains et les Russes ont incontestablement créé un climat plus favorable pour aborder ces questions.

Enfin, avec la récente conférence ministérielle tenue à Paris sur la sécurisation des exportations de technologie nucléaire civile, la prochaine conférence de Washington, en avril, sur la sécurité nucléaire, et surtout, en mai, à New York, la huitième conférence d’examen du traité de non-prolifération nucléaire, l’actualité ne peut qu’inciter les parlementaires que nous sommes à exprimer publiquement leurs réflexions et leurs propositions sur ce grand sujet de société.

Je regrette toutefois que la conférence des présidents n’ait pas saisi cette occasion pour inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution sénatoriale présentée par mon groupe politique et précisément consacrée aux initiatives que pourrait proposer notre pays lors du réexamen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, ou TNP.

Néanmoins, le rapport excellent et très approfondi déposé au nom de la commission des affaires étrangères par notre collègue Jean-Pierre Chevènement fournit une base d’informations et de propositions qui, bien que nous soyons fortement en désaccord avec certaines d’entre elles, nourrit très utilement le débat de cet après-midi.

Cela étant, bien que le climat soit plus propice à des discussions internationales sur le désarmement nucléaire, les obstacles pour atteindre cet objectif restent nombreux.

En 2005, la précédente conférence d’examen du TNP avait échoué, faute de consensus avec les pays non dotés de l’arme nucléaire sur la façon d’empêcher la prolifération de ce type d’armes. Prenant pour exemple la situation au Moyen-Orient, ils avaient estimé que les exigences en matière de transparence, de contrôle et d’engagement à réduire les arsenaux étaient inégales entre les pays signataires et les non-signataires.

Il faut se rappeler que le TNP, à l’origine, consistait essentiellement en un marché passé entre les pays n’ayant pas encore testé d’engin nucléaire, qui s’engageaient à ne pas en mettre au point, et les pays détenteurs – les États-Unis, l’URSS d’alors, la Chine, la France et le Royaume-Uni – qui, eux, s’engageaient au désarmement nucléaire.

Or, le principal obstacle à la non-prolifération provient du sentiment légitime de frustration éprouvé par les pays « émergents » et des pays du Sud « non dotés », qui estiment que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Ils s’opposent même au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l’extension du protocole additionnel de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, l’AIEA, qui prévoit des inspections inopinées et larges dans les pays menant des activités nucléaires.

Cette attitude peut se comprendre : comment demander de nouveaux efforts à des pays qui, comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, ont abandonné l’option nucléaire militaire, si les autres États ne font pas également leur partie du chemin ?

La lutte contre la non-prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, et la France tout particulièrement, ne peut être crédible et légitime que si elle s’accompagne d’un réel effort de ces puissances pour mettre en œuvre l’article VI du TNP, qui stipule qu’elles s’engagent à « poursuivre de bonne foi des négociations » relatives au désarmement nucléaire.

Le TNP et la résolution 1887 (2009) du Conseil de sécurité de l’ONU affirment le lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire. Malgré les apparences, cette logique n’est pas respectée par les grandes puissances, qui opposent souvent désarmement et lutte contre la prolifération, créant ainsi le principal obstacle au désarmement.

Nous devons par ailleurs être lucides quant à la réalité des propositions américaines de désarmement nucléaire. Pour annoncer la nouvelle politique nucléaire des États-Unis, qui procède de la volonté du président Obama d’œuvrer à la dénucléarisation de la planète, la Maison Blanche a parlé d’une réduction spectaculaire de ses stocks, la chiffrant à plusieurs milliers d’ogives.

Dans le même temps, le Président des États-Unis propose aussi de conserver une force de dissuasion « solide et fiable », ce qui exclut très clairement la possibilité d’une élimination à court et moyen terme. Notons, en outre, que les États-Unis n’ont toujours pas ratifié le traité d’interdiction complète des essais nucléaires.

Il faut surtout relever que, tout en parlant de désarmement, l’administration américaine accroît considérablement le budget consacré à la modernisation de l’arme nucléaire et veut compenser ce recul de l’atome par le développement d’une défense antimissile « nouvelle manière », et de nouvelles armes conventionnelles. Ces armes de forte puissance, non nucléaires, constituées de missiles intercontinentaux dotés de charges explosives conventionnelles, seraient tirées à partir des États-Unis et pourraient frapper n’importe où dans le monde dans un délai d’une heure.

Fondamentalement, la doctrine américaine consiste, certes, à détenir moins d’armes nucléaires – sans d’ailleurs se fixer d’objectif concret d’élimination – mais plus d’armes conventionnelles.

Face aux apparences de la nouvelle doctrine américaine, la France semble très réticente à poursuivre son engagement dans la voie du désarmement. À regarder de près l’attitude des autres membres du « club nucléaire », on s’aperçoit que la posture du Royaume-Uni, qui débat de la modernisation de sa force de frappe, est ambiguë, que la Chine accroît son arsenal, et que la Russie peine à envisager un désarmement nucléaire total qui la désavantagerait lourdement sur le plan conventionnel.

Ainsi, l’argumentation de la France consiste à dire que la réduction des arsenaux français, américains, russes et britanniques n’a jamais entraîné un ralentissement des programmes nucléaires des autres pays, et qu’elle ne reconnaît, en conséquence, aucune vertu pédagogique à ce processus.

Nous considérons également que nous avons déjà donné l’exemple en renonçant à la composante terrestre des missiles du plateau d’ Albion, en diminuant d’un tiers notre composante aéroportée, en réduisant à trois cents le nombre de nos têtes nucléaires, en démantelant le centre d’essais atomiques du Pacifique ainsi que nos usines de production de matière fissile.

Tout cela est vrai et témoigne d’un réel effort de notre part.

Mais les déclarations du Président de la République donnent l’impression qu’à ses yeux la lutte contre la prolifération est la seule priorité et qu’elle n’est pas compatible avec le désarmement nucléaire.

Précisément, il ne faudrait pas que l’image positive que nous avons acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire tant dans la ratification des traités que dans des mesures unilatérales de désarmement, soit ternie à l’approche de la conférence d’examen du TNP. En effet, de nombreux pays nous soupçonnent de vouloir préserver à tout prix le siège de membre permanent du Conseil de sécurité que nous devons en grande partie à notre force de dissuasion.

Aujourd’hui, à la veille de la huitième conférence d’examen du TNP, nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif d’éviter un nouvel échec comme il y a cinq ans. Celui-ci enterrerait définitivement le régime de non-prolifération défini par le TNP. Il faut le soutenir sans ambiguïté et le renforcer, car il est le seul à pouvoir garantir en toute sécurité l’accès au nucléaire civil aux États qui renoncent à l’acquisition de l’arme nucléaire. Sinon, ce serait à coup sûr une prolifération débridée, la disparition de ce cadre juridique international sans qu’il soit remplacé, le risque accru de la probabilité d’emploi de l’arme nucléaire et, au total, le retour d’un rapport de force nucléaire dans les relations internationales.

Notre pays peut de nouveau jouer un grand rôle et être un acteur dynamique du désarmement nucléaire multilatéral lors de la conférence de New-York. Pour cela, il doit être porteur de propositions ambitieuses et constructives, car ce sont d’abord les pays « dotés » qui doivent donner l’exemple et montrer concrètement que régime de non-prolifération et mouvement vers le désarmement nucléaire vont de pair.

Il sera crucial de convaincre les pays émergents et « non-dotés » que le TNP, qui promettait le désarmement des uns en échange du renoncement des autres à la bombe, n’est pas un marché de dupes.

Il faudra aussi parvenir à un accord d’ensemble sur le désarmement nucléaire tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation en armements conventionnels, chimiques et biologiques.

Il sera pourtant bien difficile de progresser dans cette voie si les cinq puissances nucléaires – mais aussi Israël, l’Inde et le Pakistan – ne sont pas unanimes. Si l’on veut persuader ces trois pays d’adhérer au TNP, il faut concrètement réduire les arsenaux au plus bas niveau.

Or, si l’on doit reconnaître un certain effort américain, même s’il est ambigu, il faut aussi avoir présent à l’esprit que les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire en stocks, très loin devant la France, la Chine ou le Royaume-Uni.

Il est donc déterminant que, comme le propose Jean-Pierre Chevènement dans son rapport, les Américains et les Russes amplifient leur effort de désarmement de manière significative. Il faudrait également, comme le demande notre collègue dans son rapport, obtenir de tous les États qui ne l’ont pas encore fait la ratification du traité d’interdiction des essais nucléaires et entamer des négociations sur la production de matières fissiles à usage militaire.

Quant aux autres propositions que Jean-Pierre Chevènement suggère de présenter lors de la conférence, nous estimons qu’elles accompagnent la position officielle du Gouvernement. En souscrivant à l’idée que la France a eu une position « exemplaire » en matière de réduction de notre arsenal et en invitant le Gouvernement à être très ferme pour préserver l’indépendance que garantit notre force de dissuasion, il exclut toute nouvelle proposition de réduction de notre arsenal nucléaire.

Pour aller au-delà des préconisations minimales positives que contient ce rapport, le groupe CRC-SPG propose que notre pays prenne des initiatives fortes afin que les États s’engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.

La France pourrait de nouveau montrer l’exemple en interrompant le programme de missile stratégique M 51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui.

Elle pourrait également proposer que, pour tous les pays, les doctrines de la dissuasion soient strictement limitées au « non-emploi » des armes nucléaires, comme l’était celle de la France avant les inflexions de doctrine décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de l’Île Longue et de Cherbourg. Cela supposerait ainsi que soit bannie toute forme de frappe préventive.

Au total, nous souhaitons donc que, lors de la prochaine conférence d’examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d’entrer dans un processus de négociation sur notre armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Ce serait un nouveau signe de bonne volonté qui montrerait aux pays sceptiques que nous n’en restons pas aux annonces de réduction de notre potentiel militaire faites par le Président de la République à Cherbourg en mars 2008.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que notre groupe voulait apporter à ce débat sur le désarmement, la non- prolifération nucléaire et la sécurité de notre pays.

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