Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous défendons la nécessité d’une maîtrise publique du secteur

Droit à l’eau -

Par / 5 février 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe, sur l’initiative de notre collègue Christian Favier, a souhaité débattre dans cet hémicycle du « droit à l’eau ».

Ce sujet, important pour la vie de nos concitoyens, constitue une préoccupation majeure des élus locaux.

L’eau, élément vital, devient malheureusement, de plus en plus, un poids dans le budget des familles, et ce de manière particulièrement inégalitaire puisque de fortes disparités territoriales font varier le prix de l’eau du simple au triple.

Alors que, selon l’OCDE, la facture d’eau ne doit pas représenter plus de 3 % du budget des ménages, cette limite est souvent franchie. L’émergence de cette question dans le débat public s’est traduite par la montée en puissance d’un « droit d’accès à l’eau ».

Je voudrais donc revenir sur ce que nous entendons concrètement par cette notion de « droit à l’eau », dont les contours sont aujourd’hui bien trop flous.

Lorsque l’accès à un service essentiel est rendu difficile parce qu’il ne se fait plus dans des conditions financièrement acceptables, comme cela se voit trop souvent, l’exigence d’un droit individuel émerge et semble constituer la meilleure garantie pour les usagers. Il en a été ainsi de l’énergie, du logement et, plus récemment, de l’eau.

La loi sur l’eau et les milieux aquatiques adoptée en 2006 a ainsi proclamé en son article 1er que « chaque personne […] a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». C’est très bien ! Cependant, même si la définition d’un droit à l’eau à portée universelle est un progrès incontestable, nous estimons qu’elle reste fondamentalement insuffisante : aujourd’hui, ce principe est inopérant.

En individualisant la question de l’accès à un droit, on opère un raccourci qui permet d’éviter soigneusement le sujet des conditions de la réalisation de ce droit et de la responsabilité des pouvoirs publics en vue de le garantir.

Pour me faire comprendre, je prendrai l’exemple du logement.

Depuis les années soixante-dix, et à mesure que baissaient les aides à la pierre, les aides personnelles au logement ont pris une place de plus en plus importante dans le budget de l’État, comme dans celui des ménages : la responsabilité de la puissance publique n’a plus été de bâtir, mais d’apporter aux plus précaires une aide leur permettant d’être solvables sur un marché laissé aux mains du privé. De l’État acteur, nous avons progressivement glissé vers un État correcteur des dérives de marchés libéralisés.

Malheureusement, dans le contexte actuel de crise économique, la tâche s’avère de plus en plus difficile puisque les tarifs ont augmenté alors que le pouvoir d’achat de nos concitoyens baisse inexorablement.

Le même raisonnement s’applique au sujet de l’accès à l’eau.

Depuis plusieurs années, nous avons de grands débats pour savoir comment caractériser le droit à l’eau. Faut-il garantir financièrement les personnes dont les ressources ne leur permettent pas d’avoir un accès à l’eau dans des conditions acceptables ? Ne faut-il pas plutôt se poser la question de la responsabilité publique en la matière et garantir la définition au niveau national de l’intérêt général et d’un droit l’eau ?

Nous avions déposé en 2009 une proposition de loi qui prévoyait l’instauration d’une allocation « eau » sur le modèle de l’aide personnalisée au logement, l’APL. Une telle proposition est partagée au plus haut niveau, au sein du Comité national de l’eau, mais elle n’a toujours pas vraiment abouti, ce que nous regrettons.

Nous défendons cette proposition parce qu’il s’agit d’une mesure d’urgence sociale. Toutefois, elle ne peut résumer à elle seule notre approche politique de cette problématique.

La nécessaire solvabilisation ne doit pas cacher l’importance d’une maîtrise publique du secteur. Nous le voyons aujourd’hui, beaucoup de collectivités, à l’approche des futures échéances électorales, se posent la question des modes de gestion de l’eau, témoignant d’une aspiration à un meilleur contrôle des prestations et à une meilleure protection de la ressource. Elles sont de plus en plus nombreuses à être tentées par l’idée de revenir sur les délégations de service public au profit de régies. Pour autant, le débat reste insuffisant.

En déléguant, comme c’est souvent le cas, le service public de l’eau, les communes, au motif d’économies budgétaires, ont supprimé les services municipaux correspondants, trouvant par ailleurs un intérêt fort et justifié dans la mutualisation intercommunale. Elles ont, par conséquent, perdu le savoir-faire technique et se sont placées en situation de dépendance devant les majors de ce secteur.

Les collectivités, notamment en milieu rural, disposent aujourd’hui d’un choix extrêmement limité au regard de la complexification des normes en matière environnementale. Elles n’ont plus ni les moyens ni les capacités d’expertise pour assumer de nouveau un mode de gestion public.

En outre, le plus souvent, l’état des infrastructures est dégradé. Dès lors, une telle réappropriation nécessiterait des investissements que les collectivités ne sont pas en mesure de consentir. Seront-elles obligées de socialiser les déficits après avoir subi une privatisation des profits ? Demain, au regard de la baisse dramatique des dotations qui impose aux communes de prendre des décisions extrêmement difficiles en matière de gestion, la marge de manœuvre des collectivités sera encore plus étroite qu’aujourd’hui.

Au final, le choix est souvent simple : soit le périmètre du service public est réduit, soit le service est confié intégralement au privé.

L’offre privée n’est pas porteuse, on le sait aujourd’hui, d’une concurrence bénéfique aux usagers puisque, en réalité, il s’agit d’un quasi-monopole partagé entre quelques majors, qui réalisent de confortables profits. Or ceux-ci ne font aucun effort pour réinvestir leurs profits dans le secteur économique, notamment dans les réseaux, préférant distribuer l’essentiel de leurs bénéfices aux actionnaires.

Certes, les grands groupes ont accepté d’instituer « une tarification sociale », mais en faisant reposer cette solidarité uniquement sur les autres usagers. Cette tarification sociale leur permet, par ailleurs, de s’acquitter à bon compte de ce qu’ils qualifient de responsabilité sociale, tout en solvabilisant les plus précaires, ce qui limite les impayés.

Pour ces raisons et afin de sortir par le haut de ce débat, nous misons, pour notre part, sur la création d’un service public national de l’eau.

La mise en place d’un service public national décentralisé permettrait à l’État d’assurer son rôle de garant de la préservation de la ressource et rendrait possible le soutien technique et financier des collectivités, tout en garantissant une péréquation au niveau national, seul gage possible de solidarité et d’accès au droit à l’eau.

C’est d’ailleurs dans ce cadre que doit se poser la question de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau. Une telle mesure de justice sociale n’a de sens que si elle relève de la solidarité nationale, justement parce qu’il s’agit d’un droit fondamental.

L’État, pour remplir auprès des élus des collectivités locales des missions de conseil et d’expertise, pour promouvoir une utilisation économe de la ressource, doit permettre la création d’un corps de fonctionnaires formés. Il est inacceptable que, aujourd’hui, la connaissance et l’expertise se situent quasi exclusivement au sein des entreprises privées de l’eau. Mon collègue Christian Favier a d’ailleurs soulevé très justement la question des laboratoires départementaux.

Non seulement il faut garantir à tous le droit d’accès à l’eau, mais il faut aussi permettre que s’exerce un contrôle citoyen. Pour cela, il est impératif de garantir aux collectivités les moyens techniques et humains de choisir réellement les politiques qu’elles mettront en œuvre et pour lesquelles elles seront élues.

À défaut, on pourra toujours évoquer un droit à l’eau sans que celui-ci soit jamais réellement garanti, et ces questions seront laissées, au fond, au bon vouloir des opérateurs privés.

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