Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous espérions dans ce domaine une politique nouvelle davantage inspirée par les valeurs de la gauche

Politique étrangère de la France -

Par / 8 janvier 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d’année, bien que les situations soient complexes, nous avons du mal à percevoir clairement les objectifs de la politique étrangère que mène le Gouvernement ; de fait, elle se distingue peu de celle qui a été conduite sous la précédente présidence. (M. le ministre le conteste.)

Nous sommes d’autant plus déçus que nous espérions dans ce domaine une politique nouvelle, plus inspirée par les valeurs de gauche.

Avec l’intervention en République centrafricaine, la poursuite de l’opération militaire au Mali, notre volonté un temps affichée de participer à d’éventuelles frappes sur la Syrie, la plus grande proximité de nos relations avec l’Arabie saoudite et notre position intransigeante sur le nucléaire iranien, vos lignes directrices, monsieur le ministre, sont parfois difficiles à saisir.

En République centrafricaine, la réalité du terrain évolue dangereusement, selon des paramètres qui ont été largement sous-estimés.

Pour répondre à l’urgence humanitaire, il fallait agir afin de protéger les populations, premières victimes des violences. Nous avons pourtant exprimé de fortes réserves au sujet de cette intervention, en raison de son cadre mal défini et des conditions précipitées dans lesquelles elle avait lieu.

Je sais qu’il est toujours aisé de critiquer après-coup, mais nous nous demandons si la complexité et la gravité de la situation n’ont pas été sous-estimées, parce qu’on a pensé qu’une démonstration de force et le désarmement des milices suffiraient à stopper l’engrenage de la violence.

Au-delà de l’urgence humanitaire, à laquelle nous étions certainement les mieux placés pour faire face rapidement, ne s’agissait-il pas aussi, de façon moins clairement affichée, de préserver notre influence et nos intérêts stratégiques et économiques dans la région en luttant contre l’installation durable d’organisations islamistes radicales ? La question est parfois posée.

Ce sont vraisemblablement ces considérations qui ont rendu nos partenaires européens réticents à nous suivre : visiblement, ils ne sont pas convaincus que la sécurité de l’Europe se joue aussi au Sahel, surtout par des interventions militaires.

Cette réticence est d’ailleurs apparue au grand jour lors du dernier Conseil européen, lorsque le Président de la République a fait appel à plus de solidarité de la part des autres pays de l’Union européenne. Le Chancelier autrichien, Werner Faymann, a alors donné une traduction de cet état d’esprit en déclarant : « Quand on lance une telle opération, il est important qu’on puisse se mettre d’accord avant. On ne peut pas envoyer l’addition après. »

Je comprends, monsieur le ministre, la difficulté que représente la contrainte de devoir prendre, pour de telles opérations, des décisions rapides. Je pense néanmoins que la France n’a pas mené, auparavant, l’action diplomatique suffisante pour convaincre ses partenaires européens de la nécessité d’une intervention coordonnée.

Quand j’évoquais précédemment le cadre mal défini et trop restreint dans lequel notre intervention s’inscrit, je faisais référence au mandat limité de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies. En fait, celle-ci n’a pratiquement autorisé que l’usage de la force. Elle a certes le grand mérite d’exister, mais elle n’a prévu aucun mandat pour réussir une transition politique. On voit bien aujourd’hui quelle difficulté provoque cette limite car, en l’absence de cadre défini pour l’« après », l’ONU peine à transformer cette intervention en opération de maintien de la paix.

Monsieur le ministre, percevez-vous suffisamment les dangers de ce guêpier dans lequel se débattent nos soldats, accusés de partialité par les populations civiles, elles-mêmes victimes des exactions de milices qui ont instrumentalisé et transformé le conflit en affrontements religieux ? Il faut rapidement trouver une solution pour sortir de cette impasse, ce qui nécessite de réviser la stratégie de notre diplomatie et de nos forces armées dans cette partie du monde !

Comme l’archevêque de Bangui vient de l’exprimer, nous convenons tous que les interventions militaires ne peuvent jamais suffire à régler durablement une situation. Elles agissent sur les conséquences, et non sur les causes profondes qui sont bien connues et que je veux rappeler en cet instant : ces dernières ont pour nom pillage des richesses de ces pays, ou encore politiques dites d’« ajustement structurel », ces politiques menées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui les étranglent et les plongent dans une extrême pauvreté, aggravée par les inégalités sociales. Loin d’une litanie, c’est là une réalité qui, malheureusement, existe encore aujourd’hui !

Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser ce que vous comptez faire en Centrafrique et dans la région. Nos relations avec les pays africains exigent désormais des changements beaucoup plus radicaux que ceux qui ont été annoncés lors du sommet de l’Élysée à la fin de l’année dernière.

La seule voie – difficile et exigeante, j’en conviens – pour sortir de l’impasse vers laquelle nous nous dirigeons est maintenant de trouver les moyens appropriés, c’est-à-dire d’abord diplomatiques, pour convaincre la communauté internationale de prendre le relais.

C’est pourquoi il est heureux que le Président de la République se soit résolu à demander à l’ONU de jouer un rôle plus important dans ce pays. Bien entendu, cela implique aussi de renforcer notre dialogue avec l’Union africaine pour la convaincre de la nécessité de transformer la Mission internationale de soutien à la Centrafrique en opération de maintien de la paix.

Mais, au-delà du Mali et de la Centrafrique, on voit bien l’ampleur gigantesque de la crise couvant au Sahel, une région qui comptera plus de 200 millions d’habitants en 2050. Il s’agit d’une crise multiforme – économique, humanitaire, politique et sécuritaire –, une crise qui, si elle n’est pas maîtrisée dans le sens de la justice et de la solidarité, aura bien évidemment des répercussions néfastes sur notre continent.

Comme il est indiqué dans le rapport d’information de nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, les relations de notre pays avec les pays africains, en particulier subsahariens, doivent maintenant reposer sur un partenariat d’égal à égal, fondé sur des intérêts communs, que ce soit dans les domaines économique et culturel, mais aussi en matière de développement ou de sécurité collective. Il est grand temps d’avancer concrètement vers ces objectifs, sinon, pour reprendre l’expression des auteurs du rapport, l’échec de l’Afrique pourrait aussi bien être le « cauchemar » de l’Europe.

À cet égard, il faut déplorer l’inadaptation de notre aide publique au développement aux problèmes posés par le Sahel. Nous l’avons encore constaté dans le cadre de l’examen de la dernière loi de finances…

Plus largement, l’action diplomatique de notre pays au Proche-Orient, vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran notamment, suscite de ma part une grande inquiétude et de nombreuses interrogations.

Quelle est notre ligne de conduite ?

Nous avons failli participer à des frappes militaires sur des objectifs syriens pour punir Bachar Al-Assad de l’usage d’armes chimiques. Vous étiez prêt à vous lancer dans cette aventure aux côtés des États-Unis, monsieur le ministre, sans le feu vert du Conseil de sécurité. Mais nous avons été lâchés par les Américains et écartés d’un accord de compromis négocié entre les États-Unis et la Russie, ce qui nous a opportunément évité de commettre une action illégale et contraire, comme je l’ai déjà souligné, à nos intérêts en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Nous aurions, de surcroît, été totalement discrédités pour jouer un rôle constructif auprès des différents acteurs de ce conflit régional.

À la veille de la conférence de paix dite « de Genève II », qui paraît si mal engagée, tentons de reprendre la main et de jouer un rôle majeur pour concilier les parties en présence. À ce titre, ce n’est certainement pas en écartant l’Iran de cette conférence, me semble-t-il, que celle-ci pourra ouvrir des perspectives de règlement du conflit syrien.

À l’instar de Washington et de Londres, prenons la décision de ne plus fournir d’aide non létale, comme, par exemple, des équipements de protection, aux éléments les plus radicaux de la rébellion syrienne. Les dissensions au sein de celle-ci et la montée en puissance des groupes djihadistes, dont certains combattent maintenant militairement la coalition nationale syrienne, accentuent encore la complexité de la situation dans ce pays.

Utilisons l’influence qui nous reste pour que cette conférence se tienne avec tous les protagonistes du conflit, tout particulièrement les représentants de la coalition nationale syrienne, et qu’elle débouche sur une transition politique acceptable par tous.

Dans l’immédiat, soyons aussi en pointe avec nos partenaires européens pour venir en aide aux millions de déplacés et de réfugiés qui se débattent dans une situation où les besoins humanitaires et l’insécurité alimentaire atteignent un niveau inégalé jusqu’à présent.

Ainsi, selon les derniers chiffres, le nombre de déplacés s’élèverait à environ 8 millions de personnes, dont 2,3 millions dans les pays voisins – 800 000 au Liban, 500 000 en Jordanie – et 6,5 millions à l’intérieur de la Syrie. Plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Cela crée une situation de grande instabilité et de violence, d’où peuvent naître de nouvelles tensions, et représente un poids financier et social insupportable pour des pays déjà fragilisés.

À cela s’ajoute un autre drame, dont on parle insuffisamment, celui des Palestiniens qui ont dû fuir la Syrie et, réfugiés dans d’autres pays, ont perdu tous les droits attachés à leur statut. Non seulement ils sont apatrides, mais encore ils n’ont plus désormais leur statut international de réfugiés pris en charge par l’Organisation des Nations unies.

Alors que l’ONU a estimé les besoins humanitaires à 6,5 milliards d’euros, l’Union européenne annonce un montant d’aide à hauteur de 63 millions d’euros. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous sommes bien loin des engagements pris ! Ce n’est digne ni de l’Europe ni de notre pays, ce dernier étant historiquement une terre d’accueil, caractéristique qui en fait aussi sa grandeur. Je voudrais simplement rappeler, à cet égard, que nous avions accueilli, en d’autres temps, 15 000 réfugiés chiliens. Aujourd’hui, seuls 700 Syriens ont pu trouver refuge dans notre pays !

En dernier lieu, et pour conclure, avec le récent voyage du Président de la République en Arabie saoudite, nous avons peut-être temporairement recueilli quelques fruits commerciaux de notre soutien diplomatique à ce pays, mais je doute, monsieur le ministre, que votre choix stratégique de jouer exclusivement la carte des monarchies pétrolières sunnites dans la région soit le bon.

Ne vaudrait-il pas mieux miser, comme le permet l’accord signé à la fin de l’année sous l’égide du groupe des 5+1, de l’Union européenne et de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, sur une démocratisation de l’Iran rendant possible un allègement des sanctions pour favoriser la détente à l’échelon régional ? C’est cette voie, me semble-t-il, que nous devons suivre avec l’Iran pour progresser vers la sécurité collective dans la région.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le laps de temps qui m’était imparti, bien court au regard de la situation internationale, tels sont les propos que je voulais tenir au nom du groupe communiste, républicain et citoyen.

Les dernieres interventions

Les débats Un vrai débat entre deux projets de société

Le partage du travail : un outil pour le plein-emploi ? - Par / 6 janvier 2022

Les débats Aucune cause profonde des migrations n’est traitée

Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021 - Par / 8 décembre 2021

Les débats Le Président de la République veut plateformiser l’État

Situation des comptes publics et réforme de l’État - Par / 1er décembre 2021

Les débats L’école a besoin d’un réinvestissement massif

Éducation, jeunesse : quelles politiques ? - Par / 1er décembre 2021

Les débats Ce sont les inégalités qui mûrissent depuis des décennies

Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer - Par / 1er décembre 2021

Les débats Le mal-être des professionnels de la justice comme des forces de l’ordre doit être entendu

Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats Ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible dans la surveillance et le contrôle des populations

Quel bilan de l’action du gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats La désindustrialisation se poursuit depuis 2017

Perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat - Par / 30 novembre 2021

Administration