Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Pour financer la politique de l’offre voulue par le Medef, vous demandez des efforts aux Français et aux collectivités

Réforme territoriale -

Par / 28 octobre 2014

Monsieur le président, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce débat, et remercier également le Premier ministre d’être parmi nous pour clarifier cette réforme territoriale.

Avant toute chose, quitte à amputer quelque peu mon temps de parole, je souhaite faire part de l’émotion de mon groupe à la suite du décès, dans des conditions qui restent encore à déterminer, du jeune Rémi Fraisse, qui manifestait pour la suspension des travaux du barrage de Sivens, dans le Tarn. On ne peut mourir à vingt et un ans. Nos pensées sont tournées vers sa famille, ses proches, et nous espérons que la lumière sur ce drame sera faite au plus vite.

Mes chers collègues, notre débat de cet après-midi ne peut être déconnecté de ce qui se passe dans le pays : chômage en constante progression, croissance quasi nulle, demande agonisante et austérité bien présente, alors que les déficits sont à leur paroxysme.

De manière générale et plus particulièrement dans ces circonstances, vous n’êtes pas sans le savoir, les élus, les collectivités, sont souvent les derniers remparts – d’aucuns disent les boucliers – contre la dislocation du tissu social.

Monsieur le Premier ministre, avec votre déclaration de ce jour sur la réforme territoriale, vous nous présentez en quelque sorte de nouveau votre projet de société. Libéral ? Social-libéral ? Je vous laisse le soin de le qualifier…

Pour ma part, ce qui m’intéresse, ce sont les contenus et le sens. Une chose est sûre, cependant : ce projet tourne le dos aux valeurs qui ont construit la gauche au fil des décennies.

Rares sont celles et ceux qui croient aujourd’hui que l’objectif de votre politique est de répondre aux espoirs exprimés au mois de mai 2012. Vous ne cessez d’ailleurs de le répéter : vous voulez casser le lien avec cette gauche que vous avez reniée, alors même qu’elle fonde votre seule légitimité politique.

Votre gouvernement a entériné une politique de l’offre conforme aux souhaits du MEDEF et, pour la financer, vous vous attaquez à la protection sociale, au code du travail et aux collectivités. En résumé, vous demandez des efforts à la population pour améliorer la situation du pays, alors que vous faites des cadeaux aux entreprises et à leurs actionnaires.

Autant de choix qui n’offrent pas de différence de fond avec la politique économique menée par la droite. Vous ne laissez qu’une seule option aux Français, puisqu’ils doivent choisir entre deux maux : le moins pire, c’est-à-dire la réduction des dépenses de 50 milliards d’euros que vous proposez, et le pire, les économies de 120 milliards d’euros voulues par la droite. Mais pire ou moins pire, c’est toujours pire ; or ce n’est ni pour l’un ni pour l’autre que nous avons voté !

Certes, vous n’êtes pas, je dois le reconnaître, monsieur le Premier ministre, le seul responsable des évolutions libérales en matière économique et sociale de la société ; il en va de même, d’ailleurs, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’organisation du territoire : cette évolution remonte en effet à de longues années.

Après les grands espoirs suscités par les lois de décentralisation de 1982, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a engagé le morcellement de la République. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, en avait fait sa réforme clé : la clé d’une politique libérale totalement revendiquée, dont la finalité fut d’opérer de vastes transferts d’activités publiques rentables vers le secteur privé et de diminuer considérablement les dépenses publiques.

Les réformes engagées par Nicolas Sarkozy ont poursuivi une logique de désengagement financier et politique de l’État, avec une méthode : la mise en compétition « à la libérale » des territoires mortifère pour les communes.

La réforme des collectivités territoriales de l’année 2010, que toute la gauche avait pourtant combattue, n’a été ni abrogée ni même détricotée par votre gouvernement.

Seul le conseiller territorial, qui remplaçait les conseillers généraux et régionaux, a été supprimé à la suite de l’adoption d’une proposition de loi déposée par mon groupe au Sénat.

« Réformer les territoires pour réformer la France » : telle est la formule utilisée par le Président de la République pour justifier sa politique territoriale, qui remet en cause l’architecture institutionnelle de notre pays. Cette réforme territoriale a trois objectifs : imposer l’austérité, attiser la concurrence entre les territoires et ouvrir de nouveaux espaces de profit pour les marchés, tout en détruisant la démocratie locale.

La précipitation de cette réforme, menée qui plus est sans consulter le peuple, est le symptôme de la poursuite des attaques portées contre la République ; elle dénote un vrai mépris pour la démocratie et la souveraineté populaire, le Gouvernement se pliant à la seule volonté de la Commission européenne, dont l’ambition est de dissoudre, par la promotion des régions, le cadre national, afin de faciliter la circulation des capitaux et des travailleurs sans droit.

Scindée en plusieurs textes, cette réforme est devenue illisible – quoi qu’en disent certains – pour les citoyens. Comment peuvent-ils s’y retrouver quand les élus locaux eux-mêmes s’y perdent ? En réalité, elle s’attaque aux deux collectivités les plus proches des citoyens, celles qui sont à leur côté dans les difficultés. Cela ne peut que renforcer la crise politique et entraîner une remise en cause de la cohésion sociale.

Répondant aux attentes de la Commission européenne et du « top secret » Comité des régions, la suppression des départements et la réorganisation libérale du territoire marquent la volonté de réduire au maximum l’expression de la souveraineté populaire.

En ce sens, l’adaptation du territoire au libéralisme sacrifie les structures démocratiques pour mieux s’éloigner de l’intérêt général.

Par ailleurs, ce projet défend une conception de l’État recentré sur ses missions régaliennes, conception promue par les idéologues du libéralisme et leurs traités européens, afin de réduire les dépenses publiques.

Cet aménagement du territoire entraînera nécessairement une mise en concurrence internationale, européenne et nationale des territoires.

Elle aura pour conséquence prévisible d’approfondir le fossé entre les régions à fort potentiel économique et les autres. Les régions riches ne vont certainement pas tirer vers le haut les régions les plus pauvres ; elles seront en réalité de véritables trous noirs, qui aspireront l’essentiel des richesses.

Cette concurrence induira un déséquilibre territorial, une hiérarchie inévitable, et laissera encore davantage les plus démunis au bord de la route.

Mettre en concurrence des territoires participe du démantèlement des services publics, garants du principe d’égalité. De ce point de vue, ce qui nous sépare profondément de vous, monsieur le Premier ministre, c’est notre attachement au principe républicain d’unicité des services publics.

Or cette réforme porte, dans ses fondements mêmes, l’éclatement de l’égalité républicaine. La mise en concurrence a été poussée à son paroxysme avec la création des métropoles. Avec ces dernières, dans un objectif de concentration et d’optimisation économique, sont constitués de grands centres économiques adaptés au marché et est mis à la disposition du marché capitaliste ainsi que des multinationales un espace dans lequel ils vont pouvoir trouver tout ce dont ils ont besoin pour satisfaire leur appétit. En clair, tout est fait pour mettre les institutions au service des dogmes de rentabilité et de compétitivité.

Monsieur le Premier ministre, nous n’acceptons pas que votre gouvernement, qui tient sa légitimité du peuple de gauche, avance et répète, comme un vieux disque rayé, le fameux argument de la réduction des dépenses publiques.

Le regroupement et la mutualisation permettraient, selon vous, de faire des économies, sans licenciement, tout en améliorant les prestations offertes à la population. Qui, à part vous et vos amis, bien sûr, peut sincèrement soutenir cette thèse ?

Nombreux aujourd’hui sont ceux qui considèrent – y compris, et c’est un comble, des agences de notation ! – que les frais de regroupement des organisations nouvelles vont coûter plus cher pendant une période de cinq à dix ans.

Ce ne sont pas les frais de structures ni les fonctions support qui coûtent le plus aux collectivités territoriales ; ce sont les services mis en place en faveur de la population. Il n’y aura donc réduction des coûts qu’au prix d’une baisse brutale des services, ce qui est bien l’objectif inavoué de cette réforme. Si les collectivités dépensent plus pour se réorganiser, et que, dans le même temps, les dotations d’État baissent, alors les collectivités devront réduire leur action en direction de la population, ainsi que leurs investissements.

Ce mouvement est déjà à l’œuvre et l’austérité gagnera toujours plus l’action locale. Comment pouvez-vous ignorer à ce point la colère qui monte chez les élus, les fonctionnaires et nos concitoyens, face à la réduction des dotations aux collectivités ? Cet après-midi même, de nombreux maires ruraux sont venus dire cette colère devant le Sénat.

Monsieur le Premier ministre, notre vision de la démocratie, de l’organisation des institutions et du territoire n’est ni dépassée ni archaïque. C’est au contraire la politique du Gouvernement qui n’est nullement tournée vers l’avenir, qui s’inspire des vieux préceptes libéraux, à peine dépoussiérés, promus par les économistes des XVIIIe et XIXe siècles David Ricardo et Adam Smith.

C’est votre politique qui ramène vers le passé notre pays : retour sur les acquis sociaux par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 ; destruction organisée des services publics ; culpabilisation des chômeurs ; atteintes aux droits des salariés ; coups donnés aux fonctionnaires ; recentralisation des pouvoirs ; éloignement des centres de décisions des citoyens ; et j’en passe ! Sous couvert de modernité, c’est en réalité un recul démocratique majeur qui est en cours.

Non, monsieur le Premier ministre, pour reprendre vos propos tenus dans une interview accordée à un hebdomadaire qui a récemment changé de nom, nous ne choisissons pas « de défendre les solutions d’hier plutôt que de résoudre les problèmes d’aujourd’hui » ; nous sommes des partisans déterminés du progrès. Or, selon nous, le progrès, c’est placer l’humain au cœur des décisions, et non pas, comme vous le faites, la logique financière comptable.

Nous sommes favorables à une évolution des structures locales ; encore faut-il analyser les forces et faiblesses de ce qui existe aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons, dans le respect des structures démocratiques existantes, une remise à plat de notre organisation territoriale, accompagnée d’une réforme fiscale,…

M. Jean-François Husson. Promise par Jean-Marc Ayrault !

Mme Éliane Assassi. … cette fameuse réforme dont nous avons longtemps entendu parler, et qui a été enterrée, renforçant la libre administration des collectivités et les outils de péréquation sur la base de quatre axes cardinaux : démocratie, proximité, coopération, services publics.

Nous sommes pour une profonde rénovation de nos institutions ; une rénovation tournée vers le partage et non vers la domination des unes sur les autres. Dès lors que ce sont les objectifs de services publics et d’épanouissement humain qui priment, nous sommes favorables, monsieur le Premier ministre, à des regroupements de territoires, pour autant qu’ils se fassent sur la base de projets convergents, respectueux de l’unicité de la République.

Quant à l’État, nous voulons qu’il s’investisse dans des grands projets structurants, utiles, développeurs de solutions publiques, créateurs d’emplois, et qu’il joue son rôle, à son échelle, dans un certain nombre de domaines : la santé, les transports, l’éducation, l’énergie, la culture et l’environnement, notamment.

Oui, nous sommes pour une VIe République démocratique et sociale. Nous sommes courageux, monsieur le Premier ministre ; nous n’avons pas peur, vous le savez bien, de changer radicalement nos institutions, à condition qu’elles apportent plus de démocratie. Je pense à l’Assemblée constituante, pour plus d’implication citoyenne ; je pense également au contrôle citoyen, grâce à un droit de regard du peuple sur les prises de décisions et à plus de coopération.

La réforme du Président de la République que vous défendez ne recueille pas l’assentiment de la majorité des élus ni du pays ; elle est même à l’origine de fissures au sein de votre majorité.

Elle doit faire l’objet d’un référendum populaire, car le peuple ne peut être mis devant le fait accompli que représente une telle modification des règles démocratiques.

Contrairement aux idées reçues, nos concitoyens sont très attachés à leurs collectivités, dont leur département, y compris en milieu urbain. C’est ce dont témoignent les 32 000 signatures recueillies dans le Val-de-Marne (M. Philippe Dallier s’exclame.), que mon ami Christian Favier, sénateur et président du conseil général du département en question, va vous soumettre aujourd’hui.

Oui, monsieur le Premier ministre, l’heure est au choix : entre les valeurs d’avenir, de progrès et de justice sociale – des valeurs de gauche, en résumé, de cette gauche dont la raison d’être est la contestation de la toute-puissance du capitalisme – et celles d’un libéralisme passéiste, arc-bouté sur ses privilèges, dont vous semblez malheureusement vous faire aujourd’hui le porte-parole.

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