Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Sans un mandat fort de l’ONU, le maintien de nos troupes ne suffira pas

Prolongation de l’intervention au Mali -

Par / 22 avril 2013

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réponse à apporter sur la prolongation, ou non, de notre intervention militaire au Mali est délicate, tant la situation de ce pays comme celle des populations de la région ainsi que les enjeux géostratégiques sont complexes. Nous souhaitons pourtant répondre avec clarté, car il s’agit aussi de la défense de valeurs auxquelles nous croyons.

Avons-nous tous les éléments pour nous prononcer en parfaite connaissance de cause ? Sur certains aspects, la réponse est positive.

À cet égard, bien que je n’en partage pas toutes les appréciations, je voudrais souligner l’apport essentiel du rapport de nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher pour comprendre la situation sur le terrain et les enjeux de ce conflit.

Je voudrais également vous remercier, messieurs les ministres des affaires étrangères et de la défense, pour votre disponibilité à informer régulièrement notre commission des évolutions sur les plans diplomatique et sécuritaire.

Ceci étant dit, je ne m’interroge pas tant sur la qualité des informations dont nous disposons que sur le cadre et le contexte dans lequel nous devons nous prononcer, qui est encore relativement flou.

Je rappelle d’emblée que nous avions pris position, sans ambiguïté mais sans naïveté, sur la nécessité de cette intervention militaire, dont les objectifs étaient de stopper l’avance des groupes armés de fondamentalistes islamistes, d’assurer la sécurité des populations du Mali et de restaurer la souveraineté de l’État sur l’ensemble de son territoire.

Les objectifs assignés à cette intervention étant pour l’essentiel atteints, grâce au comportement exceptionnel de nos soldats, il est temps maintenant de faire suite à la résolution 2085, qui prévoyait la mise sur pied par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, d’une coalition panafricaine.

Il faut désormais obtenir du Conseil de sécurité une nouvelle résolution créant une force de maintien de la paix qui soit en mesure de prendre le relais.

Cette résolution devrait également nous fournir le cadre de la légalité internationale, c’est-à-dire un mandat explicite de l’ONU, permettant la poursuite des opérations militaires, que nous devons encore mener à cause de l’instabilité qui persiste dans ce pays, cela en respectant l’engagement pris par le Président de la République de retirer progressivement, selon le calendrier annoncé, nos troupes.

Or, nous devons nous prononcer ce soir sans connaître les termes exacts de cette résolution, puisqu’elle ne devrait être formellement adoptée par le Conseil de sécurité qu’à la fin du mois. En fonction de son contenu, de ses objectifs et du périmètre du mandat, la question du maintien ou non de nos troupes peut se poser de façon différente. Concrètement, les troupes françaises qui resteront au Mali seront-elles, ou non, entièrement placées sous mandat de l’ONU ?

C’est une question fondamentale, car le « label » ONU est le seul à pouvoir nous donner la légitimité et la reconnaissance nécessaires aux yeux de la communauté internationale.

En écoutant les explications qui nous ont été apportées au fil des derniers jours, il nous a pourtant semblé percevoir les difficultés qu’éprouvent les membres du Conseil de sécurité et le Secrétaire général de l’ONU à définir la nature même de cette opération de maintien de la paix – notre collègue Gérard Larcher vient de le rappeler –, et donc les outils juridiques et les moyens financiers qu’il faut lui accorder.

Globalement, les quelque 10 000 hommes des forces onusiennes auraient pour tâche de sécuriser les villes, d’aider le gouvernement malien à protéger les civils et à promouvoir le processus de transition politique et de réconciliation nationale.

De son côté, notre « force parallèle », que nous appelons plus communément « Serval prolongée », serait dotée de moyens de réaction rapide et chargée de continuer les opérations contre les groupes armés du Nord, tout en poursuivant les recherches pour la libération de nos otages. Les unités qui la composeraient pourraient venir, en cas de besoin, en appui de l’opération de stabilisation de l’ONU.

Pour remplir une telle mission, je crains que le mandat donné à notre pays, en soutien de cette nouvelle opération de maintien de la paix supposée démarrer le 1er juillet, pour une durée de douze mois, ne soit pas suffisamment précis. En effet, d’après certaines informations rapportées par la presse, l’importance, la composition et la zone de déploiement géographique des forces françaises ne seraient évoquées que de façon succincte.

Nous serons donc voués à jouer seuls – efficacement, certainement – les gendarmes, et nous pourrions être suspectés de vouloir établir une relation bilatérale déséquilibrée avec le Mali, en étant dans l’obligation de signer un nouvel accord de défense pour donner une légitimité juridique à la présence de nos forces dans ce pays.

Il y a pourtant urgence à se donner les moyens nécessaires, car la situation sécuritaire tout comme les conditions qui permettront une solution politique restent très incertaines.

Votre gouvernement, messieurs les ministres, insiste à juste titre auprès des autorités maliennes pour que des élections se tiennent au mois de juillet. C’est une condition nécessaire pour donner la légitimité démocratique qui convient à un président et à gouvernement en remplacement des institutions transitoires actuelles.

Mais cela dépendra en grande partie de l’état de la situation sur le plan sécuritaire, état qui permettra ou non une organisation à peu près satisfaisante des opérations électorales. Or de nombreux observateurs doutent que les conditions d’une telle consultation électorale soient actuellement réunies.

Cela dépendra également de la volonté et de la capacité des responsables politiques et de la population malienne à refonder un État de droit et une véritable démocratie qui puisse accomplir de profondes transformations politiques, économiques et sociales. Ce serait la seule garantie d’une nouvelle et juste répartition des richesses.

Cela dépendra, enfin, de la volonté concrète de réconciliation des populations du Sud avec la partie nord du pays, qui a été totalement laissée pour compte par les gouvernements maliens successifs.

Sur ces différents points, le rapport de Jean-Pierre Chevènement et de Gérard Larcher nous apporte un éclairage lucide mais inquiétant sur la réalité de la mise en œuvre du processus politique et de réconciliation. C’est pourtant la condition incontournable d’une refondation démocratique.

Dans de telles conditions, sans un mandat clair et incontestable de l’ONU, le maintien de nos troupes, même allégé, ne constitue pas une solution adaptée aux difficultés du pays et de la région.

La situation y est tellement complexe et comporte tant de risques difficilement maîtrisables qu’il serait hasardeux de nous engager, par défaut, dans ce type d’opération sans avoir de solides garanties.

Au-delà de notre intervention militaire, il faut bien sûr proposer des solutions de long terme de nature à résoudre les difficultés dont souffrent le Mali et la région sahélienne. Les causes de ces difficultés viennent de loin, et c’est à elles qu’il faut maintenant s’attaquer si l’on veut durablement résoudre les problèmes.

Cependant, il ne faudrait ni oublier ni occulter les relations ambigües qu’ont entretenues les précédents gouvernements avec le Mali.

Ces gouvernements portent de lourdes responsabilités dans la dislocation de la société et l’effondrement de l’État malien.

Ils ont soutenu tous les programmes d’ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international, programmes qui ont détruit le système scolaire et la santé publique, laissant ainsi le terrain libre aux officines caritatives islamiques.

Ils ont aussi approuvé la libéralisation de la filière coton préconisée par la Banque mondiale, qui a accéléré l’exode rural et l’émigration, tout en la bloquant, alors même que les sommes d’argent envoyées au Mali par les travailleurs émigrés sont plus élevées que l’aide publique que la France alloue à ce pays.

Tout cela a contribué de manière décisive à la chute de celui-ci. Mais il ne suffirait pas de condamner : il faut radicalement changer de politique !

Ainsi, nous devons impérativement saisir l’occasion de la conférence des donateurs du 15 mai prochain, à Bruxelles, pour prendre des initiatives fortes et annoncer une véritable refondation de l’ensemble de notre politique d’aide publique au développement, qui redéfinisse ses objectifs, ses enjeux et ses moyens.

C’est l’une des raisons pour lesquelles je partage les critiques faites dans le rapport d’information de nos collègues sur l’échec de cinquante ans de coopération avec ces pays, et sur le constat accablant de l’amenuisement de notre aide bilatérale, déjà très faible, aux pays les plus pauvres. Ils ont raison de souligner l’absolue nécessité, au-delà de son augmentation, du recentrage de cette aide, en particulier sur l’économie rurale, qui est l’une de leurs richesses potentielles.

Êtes-vous décidés, messieurs les ministres des affaires étrangères et du développement, à porter fermement dans ce sens la voix de la France lors de la réunion de Bruxelles ?

Veillons désormais, par des actes concrets, à rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique.

Nouons de nouveaux partenariats, de nouvelles relations économiques avec les États, débarrassés des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques, de nos marchés, de notre accès à l’uranium ou au pétrole.

Soutenons, par exemple, les collectivités territoriales maliennes dans leur volonté d’obtenir des compagnies minières internationales la transparence de leurs activités et des contrats passés, afin qu’elles puissent négocier une juste répartition des richesses produites en faveur des territoires et des populations concernées.

Le débat que nous avons ce soir met fortement en évidence le fait que, dans ce type de crise internationale, il faut avoir une approche globale et traiter les causes et pas seulement les conséquences.

Nous craignons que le mandat qui va nous être conféré ne concerne que le seul maintien d’une présence militaire dans ce pays. Il ne nous paraît pas adapté à la nécessité d’offrir maintenant à ce dernier de réelles perspectives de développement et de souveraineté.

En conséquence, et compte tenu des éléments que nous avons à ce jour à notre disposition, le groupe communiste, républicain et citoyen a choisi de ne pas se prononcer en faveur du maintien de nos troupes sur le sol malien…

Mme Nathalie Goulet. Ah !

Mme Michelle Demessine. … et préfère s’abstenir.

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